Jeunes Défense
Passer de civil à militaire peut être un choc et exige une phase d’adaptation, pour certains jeunes qui se lancent dans la Défense.

«Je sais que c’est peu commun, mais j’aime beaucoup mon pays»: pourquoi les jeunes s’engagent-ils dans la Défense?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Entrer à la Défense peut être éprouvant, mais cette perspective séduit de nombreux jeunes. Plus de 10.000 ont postulé en un an pour être militaire dans le cadre actif. Ils y trouvent une panoplie de métiers différents, mais également du sens.

Il y a comme un paradoxe, avec la Défense. D’un côté, se félicite-t-on tant à l’armée que chez les experts en la matière, les syndicats et le monde politique, les candidats sont nombreux, qu’il s’agisse de les intégrer au sein du personnel militaire, comme personnel civil ou comme réserviste. La campagne de recrutement –4.800 postes à pourvoir l’an prochain– est annoncée en grande pompe, et des publicités fort bien réalisées donnent l’envie à de nombreuses personnes de se lancer dans l’aventure.

L’autre face de la médaille, c’est un taux d’attrition de formation (de départs avant la fin du cursus) plutôt élevé, jusqu’à 40 % chez les volontaires. Et avec cela, la réputation d’un métier assez difficile, peu enviable à certains égards, sans doute.

Voici trois ans, à l’occasion d’un échange à la Chambre, les autorités militaires livraient aux députés membres de la commission de la Défense quelques-uns des enseignements issus des entretiens menés avec les candidats ayant quitté le navire au cours du premier mois. On y retrouvait, entre autres explications, une difficulté d’adaptation à l’environnement militaire, en l’occurrence la vie en groupe, en internat, dans un cadre jugé «trop structuré». Les problèmes physiques étaient également invoqués, en raison de blessures ou de formations jugées trop éprouvantes, mais aussi les difficultés d’ordre intellectuel face à l’exigence. Des facteurs plus personnels intervenaient également, comme une trop grande distance entre le lieu de formation et le domicile, des considérations familiales ou relatives au bien-être.

«Devenir militaire est éprouvant, tant sur le plan physique que mental», reconnaît Marc Thys, ancien vice-chef de la Défense. Certains candidats apprécieront le cadre, la discipline, les efforts à fournir. D’autres seront moins à l’aise avec ce type de contraintes. Telle est la réalité d’un engagement dans l’armée.

«On en tient de plus en plus compte, je dirais depuis une dizaine d’années, mais il est évident que le choc est parfois grand. On pourrait presque parler d’un choc culturel, qui demande une phase d’adaptation», poursuit le lieutenant-général en retraite. De quoi parle-t-on, concrètement? «Se lever très tôt, abandonner son téléphone, recevoir des ordres, aller au-delà de ses capacités: ce sont quelques éléments qui entrent en ligne de compte. Mais les jeunes, bien souvent, ont ces ressources en eux et il faut leur faire découvrir.»

Ne serait-ce qu’une question d’état d’esprit? «Pas uniquement, mais toute formation est d’abord une question de cet ordre. Il faut avoir trouvé une certaine confiance en soi pour y parvenir et, par exemple, devenir rapidement le chef de personnes qui ont deux fois votre âge.»

19%

des 10.000 candidats qui ont postulé pour devenir militaires entre les mois de septembre 2024 et 2025 étaient des femmes.

De nombreuses professions

Brossé de la sorte, le tableau peut sembler bien rude. Mais, assure Marc Thys, la Défense ne manque certainement pas d’atouts pour attirer de potentielles recrues. Parce que le secteur comprend de nombreux métiers, une panoplie de parcours dans lesquels pratiquement chacun pourrait trouver à s’épanouir. «C’est une chose dont le grand public ne se rend pas forcément compte, mais la Défense, c’est presque tout un monde parallèle. Une société à l’intérieur de la société. On y retrouve pratiquement tous les métiers», observe ainsi, au détour d’une conversation, un jeune sous-officier entré récemment à l’armée.

«Cette diversité est un des grands atouts, ajoute Marc Thys. De parachutiste hyperspécialisé dans les forces spéciales en passant par maçon, chirurgien, psychologue ou charpentier, vous trouverez toutes ces professions à la Défense.» Au moment d’annoncer sa campagne de recrutement de 4.800 personnes en 2026, elle a d’ailleurs insisté sur cette dimension plurielle, en particulier sur les métiers dans l’air du temps, qui promettent de travailler avec des équipements de haute technologie, dans le domaine de la cybersécurité (une nouvelle «Force Cyber» est en cours de création), ou encore aux côtés d’avions de combat F-35 fraîchement débarqués.

«C’est presque un monde parallèle. On y retrouve pratiquement tous les métiers.»

«Etre militaire ne signifie plus uniquement être fantassin, pilote de chasse ou paracommando. Nous recherchons également des profils en technologies de l’information, logistique, renseignement, administration, etc.», communiquait d’ailleurs l’armée. C’est cela aussi, le côté sexy avec lequel la Défense aurait renoué, comme l’a formulé le ministre de tutelle, Theo Francken (N-VA).

Près de 10.000 candidats ont postulé pour devenir militaires dans le cadre actif, entre les mois de septembre 2024 et 2025, dont 48% de néerlandophones et 52% de francophones – et 19% de femmes. Cela traduit indiscutablement un intérêt pour cet employeur, qui n’est pas apparu du jour au lendemain. C’est du moins l’observation établie par le responsable du syndicat SLFP-Défense, Boris Morenville. Depuis son avènement en début d’année, la coalition Arizona, et singulièrement son ministre de la Défense, ont certainement cherché à redorer le blason de l’armée. «Il faut toutefois reconnaître que cet attrait est dans un premier temps dû à une grosse campagne menée par le précédent gouvernement et la ministre Ludivine Dedonder (PS), recontextualise-t-il. L’image de la Défense a évolué en matière de modernité et de visibilité.»

Le déploiement de militaires en rue, dans le contexte des attentats terroristes voici une décennie, a aussi contribué à renforcer la visibilité de la Défense et de ses militaires, poursuit-il. «L’arrivée d’une option consacrée à la défense et à la sécurité dans le troisième degré de l’enseignement secondaire a également contribué à créer des vocations ou à permettre à de jeunes adultes de prendre connaissance de ces métiers», à un moment où ils se posent des questions sur leur avenir.

Il faut parfois accepter des ordres dénués de sens et accepter une formation «à la dure». © BELGA

Le job restera-t-il attractif?

En tant que syndicaliste, Boris Morenville insiste: son regard est peut-être un peu critique, mais il veut éviter d’être «un empêcheur de tourner en rond». Il préconise une analyse nuancée de cette campagne de recrutement fièrement arborée par le pouvoir politique. Les objectifs sont louables, assure le responsable du SLFP-Défense, «mais je dois aussi dire que les grandes annonces, de manière générale, sont faites de façon un peu théorique. Il faut des drones, il faut ceci, il faut cela. En théorie, la vie est toujours belle. En pratique, c’est plus compliqué.»

En l’occurrence, rappelle-t-il, «la Défense a été une variable d’ajustement budgétaire pendant des années». Considérer qu’un réinvestissement massif résoudra tout en un claquement de doigts, tant sur le plan matériel qu’humain, serait un peu chimérique. «Quand quelqu’un sort à peine la tête de l’eau, vous ne lui replongez pas immédiatement dedans. Il faut du temps pour reconstruire sur des bases solides», prévient-il.

Les débats autour de l’accord social proposé par Theo Francken, qu’une part du banc syndical n’a pas approuvé, ou la question de l’âge réel du départ à la retraite peuvent ternir un peu l’attractivité du métier. Il y a quelques jours, le syndicat a adressé une mise en demeure au ministre de la Défense, pour exiger que l’ensemble des heures prestées soient rémunérées. Ce débat intervient au moment où il est question d’un retour des militaires dans la rue, dans le contexte de la lutte contre le narcotrafic. «Il ne s’agit pas de réclamer plus, mais de rétablir de l’égalité» pour une profession qui doit se caractériser par son dévouement, précise Boris Morenville.

De belles conditions pour les jeunes à la Défense

Une conversation avec quelques recrues récentes permet tout de même d’identifier plusieurs atouts, du moins plusieurs raisons qui les ont poussées à se lancer dans un secteur encore perçu comme offrant des conditions intéressantes. Très clairement, la stabilité de l’emploi constitue un argument régulièrement mis en avant. «Quand tu ne sais pas trop ce que tu vas faire de ta vie, franchement, entrer dans la Défense offre des perspectives assez rassurantes», entend-on.

«On ne va pas s’en cacher, certains avantages pèsent aussi dans la balance, commente une autre recrue. L’assurance hospitalisation comprise dans le package, certaines facilités obtenues en cas de crédit hypothécaire ou encore les réductions de-ci, de-là obtenues via l’Ocasc (NDLR: l’Office central d’action sociale et culturelle de la Défense), ce n’est pas négligeable.»

L’importance accordée à l’activité sportive, les possibilités de formations et d’évolution de carrière ou encore la diversité des tâches à accomplir sont encore mentionnées au rayon des motifs de satisfaction.

«Honnêtement, quand je tends l’oreille, j’entends aussi des gens considérer que ce qu’ils voient à la Défense ne correspondait pas tout à fait à ce qu’on leur avait vendu», sourit encore un jeune militaire. C’est qu’il faut accepter un brin de bureaucratie, des ordres semblant parfois dénués de sens, la formation «à la dure», les quelques abus d’autorité, sans oublier les joies du dropping nocturne au beau milieu de la forêt, au cours de la formation.

Pour les jeunes, une noblesse dans l’engagement

Dans les conversations, en outre, des motivations d’un autre type sont également avancées. Elles portent plutôt sur le sens de l’engagement, bien au-delà des opportunités de carrière ou des aspects plus matériels.

«Moi, je préfère travailler au service de mon pays que d’un patron, résume encore un jeune militaire. Etre utile à la société belge, contribuer aux missions de maintien de la paix ou d’assistance à la population, ça compte. Je me souviens bien des images de militaires déployés lors des inondations de juillet 2021, pour vous citer un exemple.»

Une certaine noblesse de l’engagement pour la collectivité, c’est en premier lieu ce qui motive Aurélien. Ce jeune homme de 18 ans a pour objectif d’intégrer l’Ecole royale militaire (ERM) l’an prochain, pour y mener des études d’ingénieur civil – polytechnique. L’idée lui «trotte dans la tête» depuis une bonne année désormais, un éducateur l’ayant aiguillé au détour d’une conversation sur son avenir.

Occupé à terminer ses études secondaires, il s’est déjà largement renseigné, a participé récemment à une journée d’information et s’est passablement enquis de ce qui l’attendait. «La décision finale, arrivée comme une certitude pour moi, date d’une visite de découverte de l’ERM en début d’année. Cette journée m’a permis de visiter le campus, de rencontrer des étudiants, etc. J’ai compris que c’est ce qui me correspond», raison pour laquelle il a entrepris de tenter sa chance.

«Je sais que c’est peu commun de nos jours, mais j’aime beaucoup mon pays.»

Aurélien, lui, éprouve ce besoin d’être utile à la société. «Evidemment, tous les métiers sont utiles. Mais ma façon de concevoir l’utilité, c’est de venir en aide aux gens. Je pourrais aussi être pompier, par exemple. Mais l’armée a pas mal d’avantages, notamment le fait de pouvoir y faire des études universitaires. Et quand bien même je serais pompier, je pense que je serais aussi réserviste à la Défense.»

L’étudiant l’affirme volontiers, il possède cette petite fibre patriotique qui ne fait que renforcer son envie d’entrer dans les rangs. «Je sais que c’est peu commun de nos jours, mais j’aime beaucoup mon pays. J’ai envie de protéger les habitants, mais aussi la nation en tant que telle. D’être là en cas de problème.» Pour Aurélien, cette aspiration revêt pratiquement une dimension intime. En proie à des difficultés personnelles par le passé, confie-t-il, il éprouve aujourd’hui le besoin de rendre à la collectivité une forme d’aide qu’elle a pu lui apporter dans ces moments.

Puis, c’est loin d’être une rareté au sein de la Défense, cet engagement fait aussi partie de l’histoire familiale, depuis les arrière-grands-parents actifs dans la Résistance ou dans l’armée jusqu’à son frère qui a lui-même entamé les démarches pour devenir militaire. Et, s’il a conscience des aspects plus éprouvants de la formation, il ne ressent pas particulièrement de crainte à ce sujet. «La seule chose qui me fait un peu peur, honnêtement, c’est l’examen d’entrée.» Pour l’après, si tout se déroule pour un mieux, c’est la force terrestre qui aura sa préférence.

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