Nicolas De Decker

Décumul : le PS est en train de se suicider, et au fond il l’aura bien cherché

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

C’est presque certain désormais : à son congrès extraordinaire de ce dimanche 2 juillet, et malgré les efforts de Paul Magnette, le Parti socialiste adoptera la mesure la moins sévère possible en matière de cumul de mandats.

Elio Di Rupo voulait sauver son parti de la division au prix d’un petit moment de ridicule. Le Parti socialiste en sortira divisé et ridiculisé, incertain même quant à sa propre survie. C’était à peu près sa dernière chance, au PS et à son président, et elle était toute petite. Son parti était censé montrer l’exemple, s’appliquer rigoureusement la vertueuse médecine du décumul. Il restera celui des cumulards parce que le président l’a senti proche de l’explosion. Entre ceux qui disaient vouloir montrer l’exemple et ceux qui ne le voyaient pas comme ça, on va solidement se mettre sur la gueule, dès dimanche, mais encore au-delà. Et le PS n’y gagnera pas une voix, bien au contraire.

Dimanche 2 juillet, aux Barrages de l’Eau-d’Heure, la majorité des 353 délégués au congrès extraordinaire du Parti socialiste décidera, comme le choix des militants l’impose, de permettre à un parlementaire de cumuler avec un mandat dans un exécutif communal, échevin, bourgmestre, président de CPAS, à condition de l’exercer gratuitement. Ce « décumul financier » était la moins radicale des deux mesures soumises au suffrage des militants socialistes. L’autre, celle du « décumul intégral », celle que l’air du temps imposait, et donc celle, aussi, que prônait fougueusement Paul Magnette, a été rejetée.

Pourtant, le principe du décumul intégral des mandataires socialistes, au plus tard en 2024, avait été validé par un récent bureau politique présidé par Elio Di Rupo. Les députés-bourgmestres, très influents au bureau, avaient grondé contre Elio Di Rupo. Ce principe du décumul intégral des mandataires socialistes avait ensuite été rejeté par le rassemblement militant du 2 juin Les adhérents présents, très influents dans les rassemblements militants, avaient grondé contre Elio Di Rupo. Ils avaient trouvé ce délai trop lointain, forçant Elio Di Rupo à revoir sa proposition. Il l’a revue.

C’est donc finalement une mesure moins radicale que celle dont le PS prône l’adoption depuis des mois qui sera adoptée. Et des dispositions moins avancées que celles que chacun brandit depuis que la langue de feu de la bonne gouvernance a léché le crâne de Benoît Lutgen. Le PS pouvait s’imposer en accélérateur du décumul, il en sera un frein.

Il fallait un geste fort et une ligne claire. Le geste socialiste est très faible et sa ligne, brisée.

Le geste est faible car le décumul financier ne donnera aux socialistes aucun argument contre ceux qui leur crient « tous pourris, et surtout vous ». Les autres formations vont en effet toutes adopter des dispositions similaires. C’est d’ailleurs ce qu’a, mercredi, expliqué Elio Di Rupo aux coprésidents écologistes, Zakia Khattabi et Patrick Dupriez : son parti s’appliquera le décumul financier, mais si les autres veulent légiférer vers le décumul intégral, le PS suivra le mouvement, leur a-t-il dit en substance.

La ligne est brisée, moulue même, parce que ce piteux compromis n’est pas de ceux qui ressoudent. Elio Di Rupo, Laurette Onkelinx (qui en mars annonçait que sa fédération de Bruxelles s’appliquerait le décumul intégral) et Paul Magnette ont voulu imposer l’idée. Les deux premiers se sont rapidement aperçus qu’à l’étage inférieur de la pyramide partisane, la plupart des parlementaires, et en particulier ceux qui exercent comme bourgmestre ou comme échevin, n’en voulaient pas. Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx s’en sont rapprochés, l’un pour sauver sa présidence, implicitement menacée, l’autre pour conserver son siège de cheffe de groupe à la Chambre, explicitement mis en cause. La fédération du Montois s’est prononcée à deux tiers pour le décumul financier, celle de la Schaerbeekoise s’est positionnée…contre, à deux tiers : elle y est à peu près aussi en danger qu’à la Chambre. Paul Magnette, lui, s’est obstiné. Le rassemblement militant du 2 juin, puis les gesticulations de #grouponsnousetdemain, pétition de centaines de signataires des étages inférieurs de l’édifice socialiste, très opposés au cumul, ont pu laisser croire qu’il allait l’emporter. L’unanimité en faveur du décumul intégral proclamée, dans des conditions étranges, par sa fédération de Charleroi, a également pu entretenir l’illusion. Il ne fallait pas s’y tromper. Sa rupture avec les députés-bourgmestres, qui se voient comme des sans-grades, mais aussi avec Liège, où on lui reproche ses sorties contre Stéphane Moreau et André Gilles, ont en fait isolé Paul Magnette.

L’isolement de la principale figure du renouveau socialiste est le prix payé par Elio Di Rupo pour préserver l’unité de son parti. Mais elle n’est pas assurée pour autant. D’une part parce que Paul Magnette ne cache pas son désarroi, et que le PS souffrirait fort de le voir s’éloigner pour de bon, tant les candidats sérieux à la succession d’un Elio Di Rupo plus abîmé que jamais sont rares, au Boulevard de l’Empereur.

Et d’autre part parce que les députés-bourgmestres sont rancuniers : certains ont déjà promis de présenter des Listes du Bourgmestre plutôt que des étiquettes PS aux communales de 2018, et de ne pas participer à la campagne de 2019. En particulier dans certaines fédérations (Bruxelles, Charleroi, Namur, etc.) où ils sont minoritaires et où les autorités fédérales pourraient tout de même les contraindre au décumul intégral.

On continuera donc bien à se mettre sur la gueule, même après ce Congrès où les applaudissements ne couvriront pas les grondements séditieux. Et le PS continuera ne pas montrer l’exemple, tandis que ses corps intermédiaires auront cassé les dents de celui qui était censé incarner le futur visage du socialisme francophone. Ca sent l’éruption de la fin.

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