© Romain Garcin

Damso est-il vraiment sexiste?

Stagiaire Le Vif

Nous nous sommes penchés sur tous les textes du rappeur afin de répondre à une question lancinante: son fonds de commerce est-il le sexisme ou bien y a-t-il quelque chose de plus profond derrière? Analyse à froid, quelques jours après la polémique.

Une victoire pour l’égalité des sexes pour les uns, une véritable atteinte à la liberté d’expression pour les autres. C’est ce qu’a suscité l’Union belge de football, lorsqu’elle a finalement décidé de se séparer du rappeur Damso. Lui qui devait se charger de l’hymne des Diables Rouges en Russie se retrouve à poster un bref extrait sur Twitter de ce qui est sans doute son hymne. Hors du scandale, il arrive à tirer son épingle du jeu. Bad buzz is good buzz, comme disent les anglophones.

Niveau bad buzz, ce sont surtout ses textes dans les chansons du « parrain » Booba qui ont fait réagir. Le rappeur français vendant les albums par millions, le couplet de Damso a eu beaucoup d’écho. Dans Pinocchio, il dit par exemple « Elle suce pas très bien, n’a pas profonde gorge / La trap française, moi j’l’éjacule sur le torse / Salope, ferme ta gueule, pour le prix d’un j’te mets deux doigts / Connexion Bruxelles jusqu’à Aulnay-Sous-Bois ». Il a suffi que cela arrive aux oreilles des sponsors et associations pour que la polémique s’enclenche. Mais quid de ses propres productions? Sont-elles également remplies de ce genre de paroles? Afin de voir si les critiques de sexisme étaient fondées, nous avons lu tous ses textes depuis les premiers datant de 2014.

Comment avons-nous procédé?

Avant de commencer, petite précision qui a son importance: dans notre démarche, nous sommes passés par le site Genius, un agrégateur de paroles de chansons. Ce dernier a la particularité de laisser chacun commenter la chanson entière, ou des paroles précises. Chacun, dont l’artiste lui-même. Et Damso ne s’est pas privé. Pour cet article, nous avons lu les paroles de toutes les chansons en notant combien tenait des propos sexistes, et en notant les thématiques générales.

Nous avons défini comme sexiste tous les propos qui rabaissaient les femmes, qu’il soit au premier ou au second degré. Nous n’avons pas compté dans ces derniers les propos sexuels crus qui tiennent du langage fleuri, non du sexisme. Ainsi par exemple, les paroles « Cachoteries dans parking souterrain / J’m’en vais et je viens entre tes reins / Loin des menottes, genoux au sol » de la chanson Signaler ne furent pas comptées comme sexiste, tandis que les paroles « Dévergondée, la tepu est mal vêtue / J’la baiserai direct sans mettre de doigt » de la chanson Quedelavie.

Nous tentons de nous situer tant bien que mal au milieu: sans être de mauvaise foi, mais sans non plus voir le mal partout.

Dernière précision. Il existe de très nombreux féminismes: féminisme pro-sexe, féminisme radical, anarcha-féminisme, féminisme intersectionnel, xénoféminisme, etc. Comme dans tous les mouvements sociaux, ces différentes branches ne dénoncent ou n’acceptent pas les mêmes choses. Si l’on prend les propos sexuels que Damso tient, le féminisme pro-sexe pourrait les accepter car pour lui le sexe et la prostitution sont des moyens d’émancipation de la femme, tant qu’il y a consentement. Ce qu’il semble y avoir dans les textes de Damso. À l’opposé, le féminisme radical est un rassemblement de nombreux courants de pensées qui ne voient dans le sexe qu’un outil de domination de l’homme sur la femme. Dans tout ceci, nous tentons de nous situer tant bien que mal au milieu: sans être de mauvaise foi, mais sans non plus voir le mal partout.

Premier album: Salle d’attente

Commençons avec le premier album, qui n’est techniquement pas Batterie faible, sorti en 2016, mais bien Salle d’attente sorti en 2014. Ce dernier regroupe de nombreuses chansons écrites séparément par le rappeur avant 2016. Au nombre de 11, nous en dénombrons 4 qui tiennent des propos sexistes: Ma Putain, Dems, On n’est jamais mieux compris que par soi-même et Vagabond.

Dans Ma putain, par exemple, Damso dit « Le cul entre deux chaises, la queue entre deux fesses / Tu veux prendre cher dans le boule, ça te coûtera la peau des fesses ». Autre exemple dans Vagabond: « Tu m’fais la bise, j’sais même pas qui t’as sucé / La place de ta bouche est dans mon caleçon / Impression qu’ma queue est une ture-voi vu le nombre de garages à bite ». Clairement, les propos sont qualifiables de sexistes.

Il y a pourtant d’autres thématiques que le Bruxellois aborde dans cet album, et dans tous les autres. Le racisme, comme dans Le talent ne suffit pas (« Sors ton biff de la rue, check le bourgeois dire « sale putain de nègre » ») ou la violence de rue dans Truand (« J’vais t’péter le sternum / Préviens déjà ta mutuelle / Que j’suis à ma huitième Gordon Platinum »).

Cette violence dans ses propos, il s’en était expliqué dans nos pages lors de la sortie de Batterie faible: « Avant de rapper, j’écrivais déjà depuis longtemps des histoires assez trash, qui ne finissaient pas bien. Je n’aimais pas les happy ends (sourire). Je ne sais pas d’où ça vient. Peut-être du fait d’avoir grandi pendant une période trouble à Kinshasa… (le régime de Mobutu tombe quand il a cinq ans, NDLR). » »

Second album: Batterie faible

u0022Je suis jeune, j’ai encore plein de choses à vivre, des choses qui pourraient influer sur ma plume et lui permettre de s’affiner avec le temps.u0022

La violence, qu’elle soit physique ou sexuelle, est très présente dans son deuxième album Batterie faible. Sur 14 titres, 11 tiennent des propos sexistes et 6 parlent de violence. Dans une moindre mesure, 3 parlent de racisme et 3 d’amour. Puisque c’est sur cela que le scandale se base, et par souci de précision, les seules chansons à ne pas être sexiste selon nous sont Exutoire, Iscariote et Amnésie. On peut argumenter sur cette dernière, dans laquelle Damso dit pourtant « Mais j’suis pas doué dès qu’on s’éloigne des draps / J’suis plus dans le « suce-moi et concentre-toi » ». Nous avons décidé de ne pas la ranger dans le sexisme car dans le contexte de la chanson, dans laquelle le chanteur parle d’une de ses anciennes conquêtes qui s’est suicidée par sa faute (selon ses dires), c’est du langage sexuel cru. Pas du sexisme au sens propre du terme.

Les thématiques se mélangent et s’entrecroisent dans quelques chansons de l’album. Comme dans Graine de sablier, une des chansons phares de l’album qui aborde le passé de Damso ainsi que sa mère malade. On y retrouve tout: le sexisme (« Quelques salopes malveillantes voudraient qu’on cause / J’m’éloigne des gros culs aux talons aiguilles »), le racisme (« Maîtresse m’en veut car j’suis noir comme Dark Vador / Maîtresse est-elle raciste? »), l’amour (« Le temps j’aimerai pouvoir le manier / Trouver les graines du sablier / M’emparer de l’avenir, du destin de ma mère à venir / Lui dire qu’elle n’est plus obligée de s’en aller ») et enfin la violence (« J’ai grandi à l’époque des pillages / Les tirs de kalash m’empêchaient de rêver / Rebelles ennemis armés dans les parages / Apeuré à ne plus savoir qui j’étais »).

Dans la même chanson, il aborde d’ailleurs la vulgarité de ses textes et ce que ses proches lui en ont dit. Dans les commentaires du site, il note ainsi: « À l’époque mes proches me disaient que j’étais bon mais que je devais changer mes paroles. Je leur répondais que je m’en fous et que je n’ai pas l’intention de me censurer. Des tubes je sais en faire, sans prétention, mais ça ne m’intéresse pas de rapper quelque chose qui ne me correspond pas« . Il conclut ensuite en disant qu’il pourrait changer ses textes à l’avenir. « Après tout, je suis jeune, j’ai encore plein de choses à vivre, des choses qui pourraient influer sur ma plume et lui permettre de s’affiner avec le temps. Peut-être que cela changera dans le futur mais ce sera naturel, spontané, pas calculé. Il reste toujours une solution: On peut toujours biper les morceaux. On le fait en Amérique, pourquoi pas ici? » La question est lancée.

Dernier album: Ipséité

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Alors que Batterie faible y allait franco dans le sexisme (autre exemple: « J’ai juste assez d’monnaie pour baiser une prostituée / J’m’en vais à rue d’Aerschot solo pour m’faire lécher les couilles / J’vais niquer sa mère, lui faire r’gretter son métier-er » dans Quotidien de baisé), l’album Ipséité en contient moins: 6 titres sur 14 le sont, 7 sur 14 si l’on parle de violence.

Toujours dans le sexisme, on peut noter Macarena, le single de l’album (« Tu baises avec moi, tu baises avec d’autres / Même si j’fais pareil, c’est pas la même chose »). Une chanson très intéressante dans le cadre de cet article, c’est le titre Kietu. Comme son nom l’indique, Damso y aborde son identité et ses propos, que lui-même ne comprend pas toujours. Les paroles « Dis-moi c’que t’as contre les filles / Dis-moi si c’était vrai pour Amnésie » sont accompagnées d’une critique de Damso sur la vision que les gens ont de la musique. « J’ai compris qu’artistiquement parlant les gens n’étaient pas prêts. C’est bizarre, ils n’arrivent tellement pas à dissocier l’artiste et la vie réelle. Je fais un son, c’est juste un son. Ne cherche pas à essayer de me connaître à travers un son. Si mes parents ne me connaissent même pas vraiment c’est pas quelqu’un d’autre qui va le faire. »

Pourtant, il affirme lui-même ne pas toujours se comprendre. Et avoir parfois peur de ce qu’il y a au fond de lui: « Il y a une partie de moi-même qui ne veut pas assumer ce que je suis, qui ne veut pas assumer mes actes, qui ne veut pas assumer ce que je pense, ce que je dis. Damso n’est que ma partie la plus libre, c’est celle que j’exprime sans tabou, je peux dire n’importe quoi dans mes sons. » William Kalubi utiliserait donc Damso comme exutoire de ses pensées les plus secrètes? Plutôt comme moyen de parler de la réalité. Lors de la sortie de son second album, il nous avait confiés se contenter de « dire les choses comme elles sont. La vérité est toujours sombre. Elle pique. Même pour moi, elle est parfois difficile à encaisser. Mais je préfère l’affronter plutôt que de laisser les autres me la balancer à la figure, parce qu’alors elle gratte encore plus. » Damso serait celui qui dénonce le sexisme d’une certaine population masculine, plutôt que celui qui l’entretient? La philosophe Benjamine Weill le pense, elle qui disait que « derrière les clichés pornographiques, le rap de Damso dit la misère affective masculine« .

Alors, sexiste ou pas sexiste?

C’est la question qui se pose à la suite de cette analyse: Damso est-il sexiste ou non? Les chansons que nous avons notées en contiennent, nul besoin de faire un récapitulatif des scores aussi inutiles que peu représentatif. Peu représentatif, car à la lecture des paroles et du passé du chanteur, c’est autre chose qui nous semblait devoir être souligné. Oui, Damso est sexiste dans certains de ses titres, parfois la majorité si l’on s’en tient à un seul album. Mais est-ce que c’est son fond de commerce, comme nous le suggérions en introduction? Pour nous, la réponse est non.

Damso est-il celui qui allume le feu du sexisme, de la violence; ou bien n’est-il qu’une braise parmi tant d’autres, conséquence d’un problème plus profond que le seul chanteur?

Marie, jeune femme de 20 ans, nous expliquait son attrait pour Damso en ces termes: « Quand j’écoute Damso, j’écoute une musique comportant des termes crus et violents certes, aussi bien au sujet des femmes que des vices en général, mais ce n’est pas pour autant que je vais me sentir vexée. […] (Il) raconte des histoires profondes et parfois délicates à travers un langage qui est dur (comme la vie, quoi), mais qui permet de donner de l’ampleur et de l’intensité à la story.« 

Damso parle crument de tout: de sexe, de son rapport avec les femmes qui est tantôt agressif («  »Oui, j’t’ai trompé et cela par ta faute » / M’a dit cette pute pour qui sentiments j’avais / M’a dit cette pute pour qui j’ai tant bavé »), tantôt amoureux (« Elle porte notre avenir dans son ventre / Première fois que je parlerai d’amour / En chanson pour faire court » quand il parle de sa fille à naître et de sa femme). Mais aussi du racisme que les noirs subissent au quotidien, ou bien de la violence omniprésente dans la vie. Que ce soit celle de la rue près de la Gare centrale, dans laquelle il a été sans-abri pendant un temps, ou celle de Kinshasa lors de la guerre civile.

Dès lors, une autre question émerge: Damso est-il celui qui allume le feu du sexisme, de la violence; ou bien n’est-il qu’une braise parmi tant d’autres, conséquence d’un problème plus profond que le seul chanteur? Damso a sa réponse: « Si t’aimes pas c’est que j’rappe c’que tu n’vis pas ».

Thomas Modave

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