© Belga Image

D-Day : des résistants parfois imprudents

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’imminence de l’assaut allié conduit à des prises de risques parfois inutiles. Elle mène des dizaines de patriotes au poteau d’exécution.

« La frondaison des arbres vous cache le vieux moulin. » Aux quatre coins du pays, une armée des ombres dresse l’oreille en entendant le message balancé par la BBC le 1er juin. C’est l’ordre masqué de mobilisation générale. L’appel codé à se préparer à sortir du bois, dans quinze jours au plus tard.

Pas trop tôt. Résistants et agents de renseignements belges sont depuis des semaines sur des charbons ardents. Leur impatience est de plus en plus difficile à contenir. Un responsable de réseau s’en est inquiété auprès de Londres, en janvier 1944 : « Les gens s’attendent tous à un débarquement imminent. Beaucoup d’agents du service ne sont presque plus à tenir […] Il ne faut pas demander si cette surexcitation fait le jeu de la Gestapo qui a rarement enregistré un aussi grand nombre d’arrestations. »

Fâcheux et dangereux relâchement des consignes de prudence, prises de risques inutiles. Or, les alliés comptent beaucoup sur le travail de renseignement pour connaître le déploiement et l’ordre de bataille allemands dans la zone belge. Les réseaux de résistants s’acquittent de cette tâche cruciale avec une efficacité redoutable. Hubert Pierlot, Premier ministre en exil à Londres, s’en félicitera : « Au moment du Débarquement, la Belgique était une maison de verre pour les alliés. »

La transparence est à sens unique. La Résistance reste dans l’ignorance de la date et du lieu où les forces anglo-saxonnes frapperont. Depuis Londres, où il assure la direction générale des services secrets, William Ugeux, ex-dirigeant du Service Zéro, est logé à la même enseigne : « Nous n’avons évidemment pas su que le Débarquement aurait lieu en Normandie. J’ai pris conscience des préparatifs alliés en participant, avec des agents britanniques, à la mise au point de quelques leurres destinés à tromper les services secrets allemands. Mais nous ne savions rien au sein des services secrets. »

Un été meurtrier

« Le roi Salomon a mis ses gros sabots. » Deux jours après le Débarquement, second message codé, reçu cinq par cinq par la Résistance. Elle est invitée à passer franchement à l’action pour aider les alliés à remporter la bataille de Normandie qui s’engage. Sans relâcher leur surveillance des mouvements de troupes ennemies, les résistants font intensément parler la poudre. Moyens et voies de communication sont soumis à une vague impressionnante de sabotages.

La lutte finale déclenchée par le D-Day devient une lutte sans merci. La guerre est désormais totale entre « une mobilisation tous azimuts de l’ensemble des structures de la Résistance et une répression allemande qui ne fait plus dans le détail », souligne l’historien et chercheur au FNRS Emmanuel Debruyne (UCL). L’été est meurtrier : plus de 600 agents sont arrêtés durant les trois mois qui séparent le Débarquement de la libération du pays. 250 arrestations recensées rien qu’en juin, « peut-être du fait de nombreuses imprudences consécutives au D-Day », avance l’historien. Ce mois-là est dramatiquement abondant en patriotes conduits devant le peloton d’exécution.

Mais début septembre, lorsque les alliés entrent en Belgique, l’Armée secrète peut être fière du travail abattu depuis le 8 juin : elle revendique 116 déraillements, 95 ponts de chemin de fer, 285 locomotives et 15 écluses détruits ou endommagés.

La guerre secrète des espions belges 1940-1944, Emmanuel Debruyne, éd. Racine

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire