Jean-Michel Longneaux

Crise Covid: comment rester juste ? (carte blanche)

La crise sanitaire exige que des décisions soient prises. Mais pour Jean-Michel Longneaux, philosophe, chargé de cours à l’Université de Namur, le véritable enjeu est que celles-ci soient justes. « Comment s’assurer qu’on ne cherche pas à apaiser nos peurs ou à défendre des intérêts privés au détriment des autres, ou qu’on ne se laisse pas emporter par des discours séducteurs qui nous aveuglent et font de nous les complices d’injustices ? »

Dans cette crise Covid qui n’en finit pas, beaucoup ne savent plus quoi penser. Peut-on encore se fier à la science pour nous guider ? Tout le monde constate qu’en cette fin d’année 2021, les pays actuellement les plus impactés par une recrudescence des infections au Sars-Cov-2 sont majoritairement les pays riches qui ont misé sur les « vaccins »[1].

Par ailleurs, si l’on prend la peine d’écouter tous les experts, et pas seulement ceux qui nous confortent dans nos opinions, on doit bien constater qu’ils ne sont pas d’accord entre eux sur à peu près tous les sujets. Pour ne citer que les plus évidents : les produits utilisés sont-ils réellement des vaccins ? Est-on ou pas en phase expérimentale ? Ces produits sont-ils efficaces face aux variants actuels ? Sont-ils dangereux ? La pharmacovigilance est-elle fiable ? L’immunité naturelle procure-t-elle une bonne protection ? Les traitements précoces donnent-ils de bons résultats ? Les études de Pfizer ont-elles été bien menées ? On reste perplexe devant autant de questions élémentaires qui ne trouvent pas de réponse assurée.

Mais pour tout dire, même si les experts parlaient d’une seule et même voix, nous ne serions guère plus avancés car la science est sans doute extraordinaire pour comprendre le monde et développer des moyens techniques (par exemple une bombe nucléaire ou un médicament), mais reste incompétente pour nous dire s’il est judicieux ou non d’utiliser ses inventions.

Pour le dire simplement, la science s’occupe du vrai et du faux, du « comment ça fonctionne » – et en ce qui concerne la crise Covid, elle cherche encore -, alors que notre problème est éthique ou politique : comment, dans l’incertitude, agir d’une façon qui reste juste ? Car dans la panique ou l’impatience, il est tentant de faire n’importe quoi pour s’en sortir. Y compris au détriment des autres.

Existe-t-il donc un critère qui puisse nous guider pour éviter le pire ? Entre un principe qui défend le bien de quelques-uns ou qui défend le bien de tous, il semble que le second soit préférable. Est donc juste le principe qui vaut non seulement pour moi, mais aussi pour mes adversaires, qui défend notre commune humanité par-delà nos divisions et qui est donc en quelque sorte universalisable. Est par conséquent injuste un principe qui crée, au contraire, de la discrimination ou de la soumission, qui vise mon bien en sacrifiant celui des autres ou qui impose une décision aux autres mais à condition que je ne doive pas m’y soumettre moi-même.

Dans le cas de la crise Covid, quels peuvent être ces repères qui valent tout à la fois pour les vaccinés et les non-vaccinés, pour les partisans des politiques de santé publique actuelles ou leurs détracteurs ? En voici trois parmi d’autres.

  • Le consentement libre et éclairé de chacun, et donc le droit de refuser des traitements. Quand les non-vaccinés ou ceux qui refusent une troisième dose se battent au nom de ce principe, ils défendent un droit qu’ont légitimement exercé ceux qui ont librement opté pour la vaccination complète… Personne, pas même un militant de l’obligation vaccinale, ne peut vouloir se retrouver lui-même dans une situation où des autorités le contraindraient à des soins qu’il estime injustifiés. Même s’il s’agit de sauver d’autres vies ? Un autre principe universalisable rentre ici en concurrence : celui de la solidarité. En temps normal les deux principes sont respectés ensemble. Dans des situations exceptionnelles, le second peut primer : qui pourrait en effet vouloir que quelques individus, au nom de leur liberté, menacent l’ensemble de la communauté ? Mais pour qu’une telle décision grave de suspendre la liberté de choix des individus soit juste et non pas arbitraire, au moins quatre conditions doivent être remplies : qu’il y ait une menace réelle et importante pour l’ensemble de la communauté ; que le traitement imposé réponde efficacement à cette menace ; qu’on ait la garantie que ce traitement ne met personne en danger ni à court terme, ni à long terme ; qu’on ait d’abord tenté toutes les alternatives qui permettraient de respecter les deux principes ensemble. Les débats entre les différentes écoles d’experts démontrent qu’actuellement personne ne peut garantir que ces quatre conditions sont rencontrées. En conséquence, se montrer intraitable pour proposer des solutions solidaires qui respectent le consentement de chacun, c’est se battre pour que jamais personne ne soit privé de manière injustifiée ou arbitraire de sa liberté de choix… y compris ceux-là qui aujourd’hui, souvent par peur, n’ont manifestement pas ces scrupules et sont prêts à discriminer ou à soumettre une partie de la société.
  • L’accès libre à des soins. Le caractère universalisable de ce principe est évident : vacciné ou pas, qui peut raisonnablement vouloir un système de soins qui serait contraint d’exclure certains patients en fonction des enjeux ou des sensibilités du moment ? Chacun pourrait potentiellement en devenir la victime : aujourd’hui ceux dont les soins ne sont pas prioritaires sont menacés. Certains voudraient mettre à leur place les non-vaccinés. Mais demain pourquoi pas les trop vieux, les fumeurs, les alcooliques, ceux qui mangent mal, ceux qui ne font pas de sport, qui n’ont pas les moyens de payer, les sans-papiers, les personnes en situation de handicap, les délinquants, les pollueurs, etc. ? Ce sont pourtant les décisions politiques ou les logiques managériales qui, en sous-finançant le secteur de la santé, en excluant les soignants non vaccinés, en interdisant aux médecins généralistes de donner des traitements précoces, etc. mettent en péril la capacité hospitalière de prendre en charge tous les patients qui ont besoin de soins. Dénoncer et combattre de telles mesures, c’est défendre le droit pour tous, y compris pour les responsables du délabrement de notre système de santé et leur famille, d’accéder aux soins chaque fois qu’ils en ont besoin.
  • La liberté de la recherche scientifique, et par extension la liberté de pensée et d’expression. Ce principe pour le moins exigeant est en effet universalisable : il protège aussi celles et ceux avec qui on n’est pas d’accord. Actuellement, les autorités (comme l’Ordre des médecins), les Gafam (Facebook, Youtube, etc.) ou certains médias empêchent le débat scientifique, et donc la circulation des informations contradictoires (sous couvert par exemple de lutter contre ce qu’ils décrètent arbitrairement, en l’absence de consensus scientifique, être des fake news). Mais ceux qui dictent aujourd’hui le narratif officiel de la crise accepteraient-ils que demain – autres temps, autres moeurs -, on les réduise à leur tour au statut de parias en les condamnant au silence ? On peut s’attendre au contraire à ce qu’ils tentent par tous les moyens de défendre leur droit de continuer à exprimer leur point de vue – et ils auraient raison. Parce que ceux qui se battent pour la liberté de la recherche et de la pensée défendent des principes qui permettent y compris aux partisans de la censure de défendre leurs propres opinions, leur combat est juste.

La situation sanitaire exige que des décisions soient prises. Le vrai défi, pour chacun d’entre nous, vaccinés ou non, décideurs ou simples citoyens, est de savoir si nous voulons que ces décisions soient justes. Comment s’assurer qu’à travers elles, on ne cherche pas à apaiser nos peurs ou à défendre des intérêts privés au détriment des autres, ou qu’on ne se laisse pas emporter par des discours séducteurs qui nous aveuglent et font de nous les complices d’injustices ? Une seule maxime pour l’action peut nous empêcher de céder à la panique et à nos fausses certitudes : le bien que nous visons est-il universalisable, défend-il notre commune humanité à tous, y compris celle de ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord ?

[1]Cfr le site Johns Hopkins University (JHU), Coronavirus Resource Center

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