Dave Sinardet

Confessions d’un Flamand de service

DEPUIS 2008, LA PRÉSENTE RUBRIQUE vous apporte chaque semaine une analyse, un billet d’humeur « vu de Flandre ». Cette fois-ci, c’est donc moi, le « Flamand de service ».

Dave Sinardet, Politologue à la VUB et à l’université d’Anvers

L’appellation « Flamand de service » est à la mode ces dernières années pour désigner de façon humoristique les invités flamands à des émissions télévisées, à des débats politiques et autres conférences francophones, notamment quand on parle « communautaire ». Tout comme on invite un allochtone si on aborde le thème de l’immigration.

Ayant toujours soutenu qu’un des problèmes qui touchent la Belgique est l’absence d’un espace public fédéral conjuguée au nombre insuffisant de « voix » qui se font entendre des deux côtés de la frontière linguistique, je n’ai jamais hésité à passer ladite frontière pour participer à des émissions de radio ou de télévision ou à des conférences, d’Arlon à Tournai. Aussi je constate qu’on m’attribue parfois ce fameux label de « Flamand de service ».

Or cette étiquette suscite chez moi des sentiments mitigés. D’une part, elle indique que l’on attache de l’importance à avoir des chroniqueurs flamands dans les magazines et journaux francophones et des voix flamandes dans les émissions radio et télé. Ce qui est bien sûr une excellente chose, car cela évite qu’on discute de la politique belge et notamment du communautaire rien qu’entre francophones. Cela peut rendre le débat plus objectif. Il faut reconnaître aussi qu’en général l’effort accompli dans ce sens par les médias francophones surpasse celui de leurs confrères flamands.

Mais, d’autre part, cette étiquette peut aussi irriter, car elle a parfois tendance à réduire l’invité à son statut linguistique. Qu’il soit flamand ou francophone, un politologue devrait quand même surtout être considéré pour sa qualification, aussi parce qu’il est supposé être au-dessus des conflits linguistiques et autres qu’il analyse. Personnellement, j’essaie d’étudier et de suivre la politique belge dans sa globalité, puisque c’est selon moi la seule façon de bien la comprendre. Donc, je peux probablement être considéré comme un « belgologue ». Mais dans un paysage politico-médiatique traversé par un fossé linguistique, tout et tout le monde est vu à travers un prisme communautaire.

L’étiquette devient carrément contre-productive et une insulte à l’intelligence quand le « Flamand de service » est considéré comme un porte-parole de la « Flandre ». Ainsi, on me demande parfois : « Monsieur Sinardet, qu’en pense la Flandre ? » Question à laquelle je suis tenté de répondre : « Si c’est cela que vous vouliez savoir, il aurait fallu inviter la Flandre. » Même si le terme « Wallon de service » n’existe pas vraiment, la manière dont sont traités les francophones dans les médias flamands est quelquefois similaire : ils sont censés représenter « les francophones » (ou les Wallons, tout le monde en Flandre n’a pas encore bien saisi la différence). Paradoxalement, la louable intention d’inviter des personnes issues de l’autre communauté renforce ainsi l’idée que celle-ci constitue un bloc homogène. Cette tendance à homogénéiser désinforme et c’est là justement que le rôle des médias a souvent posé problème dans les débats communautaires.

Si, en tant que « Flamand de service », je peux contribuer à nuancer cette image d’homogénéité, mes efforts n’auront pas été vains.

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