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Comment sauver nos pensions: neuf solutions qui viennent de l’étranger

Sven Vonck Journaliste free-lance

Bien que notre pays portera l’âge légal de la retraite à 67 ans en 2030, la réforme belge des retraites n’est pas aussi incisive qu’elle ne l’est dans d’autres pays. « Chez nous, tout se passe plus lentement. Le seul avantage, c’est que nous pouvons tirer de nombreux enseignements des réformes à l’étranger ».

Ces dernières décennies, l’espérance de vie a augmenté de façon spectaculaire et continue d’augmenter. D’ici 2070, l’espérance de vie moyenne des femmes devrait atteindre 90,3 ans. Et comme il n’y a pas assez d’enfants pour suivre cette évolution, une population active de plus en plus réduite devra payer les pensions d’un groupe toujours plus grand. Marjan Maes, spécialiste en pensions et chargée de cours à la KU Leuven : « nous le savons depuis longtemps. Mais paradoxalement, on a aggravé le problème lorsqu’il était déjà connu£. Dans les années 1980, on a instauré la prépension, de sorte que les employés pouvaient parfois quitter le marché du travail dès l’âge de 55 ans. On a également instauré des systèmes de chômage généreux pour les personnes âgées. Les gens sont à la retraite plus longtemps, parce qu’ils vivent plus longtemps, mais en même temps, on les encourage à quitter le marché du travail plus tôt. Par conséquent, le système de retraite actuel est impayable. »

En 2007, les dépenses de retraite représentaient encore 10 % du produit intérieur brut (PIB), qui, selon la Commission européenne, devrait encore augmenter pour atteindre 15 % en 2060. Maes : « À l’avenir, nous allons devoir investir massivement dans les services publics, les infrastructures et la transition vers l’énergie verte. Mais cela ne fonctionnera pas si année après année nous devons consacrer une part plus importante du budget aux pensions. »

Bien entendu, ce défi n’est pas propre à la Belgique. Presque tous les pays européens cherchent des moyens de garantir le caractère abordable des pensions. « La plupart des autres pays sont intervenus beaucoup plus tôt. La Belgique est à la traîne. Le seul avantage, c’est que nous pouvons tirer beaucoup d’enseignements des mesures prises à l’étranger », explique Maes.

1. Augmentez l’âge de la pension

Le relèvement de l’âge effectif de la retraite est le fil conducteur de toutes les réformes des retraites en Europe. Maes : « Presque toutes les études montrent que c’est le moyen le plus efficace et le plus équitable de maintenir la viabilité des pensions. Il n’y a pas beaucoup d’alternatives. Le gouvernement peut augmenter les impôts, mais la pression fiscale de notre pays est déjà une des plus élevées au monde. Ou bien le gouvernement peut réduire les pensions, avec le risque que de nombreuses personnes se retrouvent dans la pauvreté. Un relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite rapporte un double bonus: les travailleurs paient des cotisations de sécurité sociale pendant une période plus longue, tandis que l’État doit verser des pensions pendant une période plus courte.

Les Pays-Bas ont mené une réforme très profonde dans ce domaine, en liant l’âge légal de la retraite à l’espérance de vie. Si l’espérance de vie moyenne augmente d’un an, l’âge de la retraite est également augmenté d’un an. Cette décision a été prise en 2012 et l’âge légal de la retraite est désormais de 66 ans et 4 mois. Suite aux protestations, le lien avec l’espérance de vie a été affaibli: pour chaque année où l’espérance de vie augmente, l’âge de la retraite ne sera relevé que de 8 mois. Maes : « Cet affaiblissement était nécessaire parce que les Pays-Bas n’ont pas de préretraite légale ».

En 2015, la Belgique a décidé de relever l’âge officiel de la retraite à 67 ans. Mais elle le fait étape par étape. En conséquence, l’âge effectif de la retraite n’atteindra 67 ans qu’en 2030. Maes : « En soi, c’est évidemment beaucoup trop tard, mais c’est une bonne chose que cette décision ait été prise. C’est particulièrement important d’un point de vue psychologique. Au moins, il est déjà dans l’esprit des gens que l’âge de la retraite a été relevé et qu’ils doivent travailler plus longtemps, même si pour l’instant ce n’est pas jusqu’à 67 ans. Toutefois, un lien automatique et peut-être partiel avec l’espérance de vie – comme aux Pays-Bas et dans de nombreux autres pays – est nécessaire afin d’éviter des discussions politiques continues et des incertitudes à ce sujet. Chez nous, le Conseil Académique des Pensions l’a déjà indiqué. »

2. Une préretraite moins élevée

Depuis 2011, on peut prendre sa retraite en Norvège entre 62 et 67 ans. Cependant, ce choix implique des conséquences financières. La pension d’un Norvégien qui quitte le marché du travail à l’âge de 62 ans peut être inférieure de 30 % à celle d’un collègue qui prend sa pension cinq ans plus tard. De plus, rien n’empêche les Norvégiens de continuer à travailler après leur 67e anniversaire. Toute personne qui prend sa pension après l’âge légal de la retraite sera récompensée par une pension plus élevée. Maes : « Les études démontrent clairement qu’il est important d’inciter les gens à reporter la fin de leur carrière s’ils touchent réellement une pension plus élevée quand ils restent plus longtemps au travail. Grâce à ces corrections, il sera également possible de prévoir une pension à temps partiel – où les personnes âgées de 62 ans travailleront à 50% et toucheront 50% de leur pension – sans affecter le caractère abordable du système. Une telle pension à temps partiel est populaire parce qu’elle permet aux gens de sortir progressivement du marché du travail. »

De nombreux pays utilisent un système où les indemnités de retraite dépendent de l’âge auquel on prend sa pension. « À cet égard, la Belgique est en fait l’exception en Europe, car la plupart des autres pays adaptent les indemnités de pension à l’âge de la retraite », déclare Maes. Cela vaut notamment pour la France, l’Allemagne, le Portugal, les Pays-Bas, la Suède et l’Espagne. Notre pays a déjà eu un tel système, mais a choisi de l’abolir en 1991.

3. N’oubliez pas les ouvriers

Inévitablement, toute discussion sur le relèvement de l’âge de la retraite soulève la question des métiers pénibles. Maes : « T out le monde n’a pas un travail que l’on peut exercer jusqu’à 67 ans ou plus. Une bonne réforme des retraites en tient compte de manière pragmatique ». L’Allemagne est un bon exemple. Le pays a relevé l’âge de la retraite et accorde une indemnité inférieure aux personnes qui quittent le marché du travail avant l’âge de 67 ans. En même temps, le pays dispose toujours d’une sorte de pension de maladie à partir de 63 ans. Maes : « C’est une solution pragmatique que les spécialistes ne recommanderont jamais. Mais en pratique, le programme complet fonctionne. Des études montrent que la réforme allemande des retraites permet surtout de garder les travailleurs hautement qualifiés et les cadres au travail. D’autre part, les travailleurs peu qualifiés et les ouvriers bénéficient souvent d’une sorte de pension de maladie à 63 ans sans perte de revenu. Et après une carrière de 45 ans, on peut prendre sa retraite sans perte d’indemnités. De cette façon, tout le monde contribue un peu plus longtemps au système de pension. Parce que les travailleurs, qui ont généralement pris leur retraite à 60 ou 61 ans avant la réforme, vont continuer à travailler pendant un an ou deux de plus. En même temps, les cadres et les travailleurs hautement qualifiés devront ajouter quelques années.

4. Évitez les compensations perverses

Dans le cadre d’une réforme majeure, les mesures compensatoires bien intentionnées créent parfois des effets secondaires pervers. Par exemple, la France a mis en place un régime de pension pour les métiers pénibles, où les salariés accumulent des points de pension si leur employeur viole la législation sociale. Essentiellement, cela signifie que les employés peuvent prendre leur retraite plus tôt s’ils doivent travailler plus de nuits que permis ou s’ils sont exposés à des températures très élevées. Il est donc dans un certain sens dans l’intérêt des salariés que leur employeur ne respecte pas les règles et les expose à des conditions déplorables. C’est pervers et cela détourne l’attention du travail faisable », dit Maes. D’ailleurs, ce sont les entreprises elles-mêmes qui doivent ensuite financer la retraite anticipée des salariés. Ces coûts supplémentaires ne sont donc pas répercutés sur la société.

5. Toutes les générations doivent contribuer

Fondamentalement, il existe deux grands systèmes de retraite. D’une part, il y a un système de distribution tel que nous le connaissons dans notre pays. Les pensions actuelles sont payées avec les cotisations sociales de la population active. C’est un système basé sur la solidarité entre les générations. Un tel système devient difficile lorsque la population active diminue et doit payer les pensions d’un groupe croissant de retraités.

C’est pourquoi plusieurs pays ont déjà expérimenté un système de retraite différent : le système de capitalisation. Les salariés peuvent investir leurs cotisations sociales dans un fonds de pension (collectif). Le rendement est ensuite versé à l’âge de la retraite. Il s’agit donc d’un système où chacun finance (obligatoirement) ses propres indemnités de retraite. Maes : « Un système de capitalisation dépend moins du vieillissement démographique. Cependant, il est trop tard pour passer d’un système de distribution à un système de capitalisation. Ce n’est pas souhaitable, car la génération active actuelle devrait payer deux fois : la première fois pour payer les pensions des retraités actuels et une deuxième fois pour financer sa propre pension. La totalité des coûts du vieillissement sera alors répercutée sur la génération actuelle. Bien sûr, ce n’est pas possible. »

C’est pourquoi certains pays ont choisi un mode de financement mixte. Par exemple, la Suède a mis en oeuvre une importante réforme des retraites en 1994. Depuis lors, quelque 18,5 % des revenus de la Suède sont allés au système de retraite. 2,5% sont versés par capitalisation à un fonds de pension que les Suédois peuvent choisir. Environ 16 % des cotisations seront distribuées aux retraités de la génération actuelle. Le plus frappant, c’est qu’ils utilisent un système de comptes notionnels où la pension reflète l’évolution démographique, la fécondité et l’espérance de vie. Maes : « Cela résout le problème de la faisabilité financière, car chaque génération est confrontée au vieillissement démographique et ce problème sera également résolu au sein de chaque génération. »

D’autre part, les indemnités de retraite sont flexibles. Par conséquent, ce type de système exige également une réflexion approfondie sur une pension minimale adéquate, à laquelle les pays scandinaves se sont également efforcés de parvenir. M. Maes : « Des études ont déjà montré que le système suédois entraîne un relèvement de l’âge effectif de la retraite. Ce sont principalement les personnes ayant fait des études supérieures qui restent plus longtemps sur le marché du travail ». Des pays comme la Lettonie, l’Italie, la Pologne et la Norvège utilisent désormais également un système de comptes notionnels.

6. Mettez plus de femmes au travail

« Au niveau de l’activation des femmes, il y a encore beaucoup à gagner. Il y a donc encore une réserve importante de main-d’oeuvre. Si nous l’activons, la main-d’oeuvre active grandirait d’un coup », dit Maes. Selon l’OCDE, en 2018, le taux d’emploi des femmes dans notre pays était de près de 61 %, contre 69 % pour les hommes.

Notre pays peut s’inspirer des pays scandinaves, où le taux d’emploi des femmes est traditionnellement beaucoup plus élevé. En Finlande, en Norvège et au Danemark, le taux d’emploi des femmes est de 71 à 72%. En Suède, ce chiffre atteint les 76 %. Maes : « C’est lié aux structures d’accueil des enfants très développées dans les pays scandinaves, qui permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie privée ». Tous les enfants âgés d’un à cinq ans ont une place d’accueil garantie. De plus, les coûts sont fort subventionnés par le gouvernement, de sorte que les parents ne paient qu’une fraction des coûts réels. Outre la garde des enfants, il existe également un vaste système de congé parental.

7. Évitez les vases communicants

« Dans une réforme des retraites, il ne faut pas perdre de vue les autres voies de sortie. Trop souvent, une réforme stricte des retraites entraînera une sortie par d’autres systèmes « , déclare Maes. Elle se réfère à l’Autriche, où le relèvement de l’âge de la retraite s’est accompagné d’une augmentation sensible du chômage. Les travailleurs âgés se sont retrouvés au chômage pour les personnes âgées, créant ainsi un pont vers leur pension. C’est un effet de substitution typique. « Ceci ne peut être évité qu’en agissant sur tous les chemins de sortie en même temps. À cet égard, les Pays-Bas sont un exemple admirable. Parallèlement à la suppression progressive d’une série de régimes de retraite anticipée, un régime prévoyant que les employeurs doivent financer eux-mêmes les prestations de maladie de leurs salariés pendant les deux premières années a été introduit. Aux Pays-Bas, l’âge effectif de départ à la retraite est ainsi passé à 64,8 ans. »

8. Faites contribuer les entreprises

« Trop souvent, les employeurs recourent à divers régimes de retraite pour pousser les travailleurs âgés à la retraite, tout en répercutant la charge sociale sur les contribuables actifs », déclare Maes. Un exemple typique en est la retraite anticipée, que les syndicats et les employeurs ont utilisée avec empressement pour permettre aux travailleurs âgés de quitter le marché du travail à des conditions attrayantes.

Dans certains pays, ils adoptent une approche différente. La Finlande a introduit un taux d’expérience. Cela signifie que les entreprises versent des cotisations de sécurité sociale plus élevées lorsqu’elles recourent à un régime de retraite anticipée. Maes : « Bien sûr, vous ne pouvez pas blâmer les employés d’accepter une offre attrayante. C’est pourquoi il est également bon que les entreprises soient rendues responsables lorsqu’elles expulsent les travailleurs âgés du marché du travail et qu’elles répercutent les coûts sur les contribuables. En Finlande, l’introduction de ce système a permis de réduire considérablement le chômage des personnes âgées. »

9. Aucun système de pensions n’est parfait

De nombreuses réformes des retraites ont déjà été menées dans les pays voisins, souvent avec des mesures qui feraient déjà une grande différence dans notre pays. En fin de compte, cependant, aucun système de pension n’est parfait. L’OCDE souligne que l’Allemagne est l’un des pays qui a le mieux réussi à faire entrer plus de personnes de plus de 55 ans dans la vie active depuis 2000. En revanche, selon l’OCDE, l’Allemagne n’a pas de pension de base ou minimale. En conséquence, il n’y a pratiquement pas d’effet distributif, ce qui est particulièrement préjudiciable aux revenus faibles. Leur pension tombe à environ 55 % de leur revenu, alors que la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE est de 73 %.

Dans le passé, le système de retraite néerlandais a également été souvent glorifié pour sa solidité financière. Il ne gémit pas sous le vieillissement de la population parce que les pensions sont surtout versées par de grands fonds de pension. Ils tirent leur rendement des marchés financiers en investissant les cotisations de retraite dans des obligations, des actions ou des biens immobiliers. Mais cela rend également l’ensemble du système vulnérable aux chocs sur les marchés financiers. Et depuis la crise financière, les caisses de retraite gémissent sous les taux d’intérêt extrêmement bas. Du coup, elles n’ont presque plus de rendement sur leurs placements sans risque et risquent d’avoir trop peu de liquidités pour payer leurs futures pensions. Des millions de Néerlandais qui ont déjà pris leur retraite craignent aujourd’hui que les fonds de pension ne réduisent leurs indemnités de retraite.

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