Tom Van Grieken © Belga

Comment les médias flamands ont fait sauter le cordon médiatique autour du Vlaams Belang

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Si le Vlaams Belang triomphe aux élections de dimanche, on se tournera vers les médias. Pas comme après le dimanche noir de 1991 – quand, selon certains, ils avaient aidé le Vlaams Blok de l’époque en gardant le silence sur le parti – mais pour avoir normalisé le Vlaams Belang ces dernières années. Si le cordon sanitaire existe toujours après le 26 mai, le cordon médiatique a disparu depuis longtemps.

Si les membres du Vlaams Belang restent persona non grata dans les émissions de divertissement de la VRT, leur président Tom Van Grieken a participé à l’émission De Grote Karrewiet Verkiezingsshow, diffusée sur la chaîne pour enfants de la VRT Ketnet. Entre-temps, les journalistes politiques de tous les médias flamands traitent à peu près le Vlaams Belang comme un parti comme les autres, tandis que les services commerciaux de ces sociétés de médias continuent à bloquer les publicités du parti. Dans les années 1990, les médias ont beaucoup réfléchi, peut-être trop, à leurs relations avec le Vlaams Blok, mais maintenant ils n’en parlent plus du tout. Les décisions sont prises de manière purement intuitive.

Les années 1990 étaient évidemment une autre époque. Le Vlaams Blok était un parti de collaborateurs, de conservateurs antidémocratiques et de néonazis, le racisme était une position du parti, et le parti d’extrême droite a grandi élection après élection. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer le danger qu’il représentait : les gens avaient peur du Blok. Tom Van Grieken sera ravi ce dimanche d’un résultat à des kilomètres de ce que son parti a réalisé en 2003 et certainement en 2004. Dans ces années-là, le président Frank Vanhecke a essayé de faire du Vlaams Blok/Vlaams Belang un parti respectable, mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. Quand Filip Dewinter a perdu contre Patrick Janssens (sp.a) à Anvers en 2006, on a senti le soulagement partout dans le pays.

Depuis lors, la Flandre a été l’une des premières régions du monde à apprendre que l’extrême droite peut aussi perdre des élections. Comparé à la chute du Vlaams Belang de 2007 aux élections fédérales de 2014, la descente du sp.a dans ces mêmes années a tout d’une promenade de santé. Le parti est devenu complètement inoffensif – et c’est probablement la première raison pour laquelle les journalistes réfléchissent moins à la façon de le gérer. Filip Dewinter apportait une touche comique pendant les débats. Dès lors qu’ils semblaient coûter des voix à son parti, ses débordements grotesques n’impressionnaient plus.

Entre-temps, le paysage des partis en Flandre a changé radicalement. En partie à cause de l’influence du Vlaams Belang, le centre s’est déplacé vers la droite, rendant plus difficile de voir la différence avec les autres partis. La proposition la plus extrémiste de ces dernières années vient toujours de Hendrik Bogaert, tête de liste CD&V en Flandre-Occidentale et dans les profondeurs de son esprit déjà président du parti : une interdiction générale du port du voile dans les villes où vivent plus de 5% des musulmans.

Entre-temps, la N-VA est devenue le numéro un incontesté. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un certain nombre de gens à gauche préfèrent voir le Vlaams Belang gagner des voix plutôt que le parti de Bart De Wever : après les élections, les Vlaams Belang sont enfermés par le cordon sanitaire, alors que la N-VA occupe tout le terrain depuis presque dix ans.

Cette position de pouvoir centrale de la N-VA a également détourné l’attention des journalistes. Au lieu de poser un regard critique sur les positions du Vlaams Belang en matière d’immigration, ils ont poussé les politiciens du VB à fustiger la politique de Theo Francken, secrétaire d’État à l’Asile et aux migrations de la N-VA du gouvernement Michel. Personne ne sait mieux qu’eux comment le frapper.

Il y a d’autres raisons pour lesquelles les membres du Vlaams Belang sont entrés plus facilement dans les médias. Non seulement le paysage des partis a changé, mais le monde a changé. Surtout après la crise des réfugiés, aucun journaliste ne veut être accusé de ne pas oser évoquer « les problèmes ». Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016, aucun journaliste ne veut s’entendre dire qu’il n’accorde pas d’attention aux perdants de la mondialisation. C’est comme s’il fallait presque faire preuve de compréhension envers le racisme. Et depuis le référendum du Brexit en Angleterre, plus personne ne veut être targué d’un enthousiasme excessif pour l’Union européenne. Peut-être bien à sa propre surprise, Gerolf Annemans, ténor du Vlaams Belang en fin de carrière politique, est devenu un observateur très demandé de l’Union européenne.

Le Vlaams Belang a-t-il vraiment changé? C’est la question à un million. Quelle est la différence entre Eigen volk eerst et Eerst onze mensen, si ce n’est que le slogan du Vlaams Blok d’antan sonne mieux que ce que Tom Van Grieken en a fait ? La base du parti est à peu près la même qu’il y a vingt ans. Et quelle est la différence entre la xénophobie du passé et la critique de l’islam d’aujourd’hui? C’est peut-être une question de confiance. Croyez-vous que Van Grieken dise la vérité et que secrètement il n’est pas aussi raciste qu’avant ?

La réponse peut décevoir. Les collègues journalistes qui ont donné la parole à Dries Van Langenhove en tant que garçon décent, conservateur et de droite qu’il voulait être, ont dû être choqués de voir les mèmes haineux, racistes et misogynes du reportage Pano sur son mouvement de jeunesse extrémiste de droite, Schild & Vrienden. Plus tard, Van Langenhove devient tête de liste indépendante pour le Vlaams Belang dans le Brabant flamand. La même chose peut se produire pour d’autres membres du Vlaams Belang interviewés, également par Knack. Même si un intervieweur pose des questions extrêmement critiques, ce qui n’arrive même pas toujours, on ne peut l’éviter.

Il ne s’agit évidemment pas d’imposer le silence aux membres du Vlaams Belang. Ce qu’ils ont à dire reste intéressant, et certainement pertinent. Mais la nonchalance avec laquelle leur parti a été traité dans les médias ces dernières années doit cesser : nous devons prendre le Vlaams Belang et les dangers de ce parti au sérieux.

Le journaliste indépendant Aubry Touriel s’est infiltré à la N-VA d’Anvers pour Le Vif. Sa conclusion en a peut-être surpris plus d’un. « Le langage soft de Bart De Wever contrastait plutôt bien avec les déclarations tranchantes que Theo Francken fait parfois sur les réseaux sociaux », déclare-t-il. En interne, De Wever semblait plus modéré que Francken sur Twitter.

Tom Van Grieken aime être sympathique envers les journalistes, parfois au point que cela en devient embarrassant. Mais comment se comporte-t-il quand il ne parle qu’aux membres du parti ? Ses propos sont-ils toujours plus modérés que les tweets de Filip Dewinter ? Ce n’est que lorsqu’un journaliste infiltré aura enquêté sur cette affaire que nous saurons si c’était une si bonne idée de faire sauter le cordon médiatique.

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