Bart De Wever © Belga

Comment Bart De Wever a réagi au signal du Palais

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Le président de la N-VA, Bart De Wever, a mis la formation flamande sur pause en attendant d’avoir plus de clarté au niveau fédéral. Ce faisant, il bouleverse ses propres principes.

En termes de Formule 1, on dirait : ces derniers jours, De Wever a pris une chicane, c’est-à-dire deux virages qui se suivent rapidement non dénués de danger.

Premier virage: le week-end dernier, il a invité les présidents du CD&V, de l’Open VLD et du sp.a à consulter la note du formateur flamand. La rédaction de ce texte a fait couler beaucoup d’encre, car De Wever avait très fort impliqué le VB – ou du moins avait donné l’impression que c’était le cas.

Lorsque les présidents des « trois partis au pouvoir classiques » – il n’y a pas d’autre terme collectif pour les désigner – ont vu le texte, ils ont vu un travail encore inachevé, mais dont on pouvait parler. Il y avait un volet social développé et un chapitre solide avec des mesures plus strictes sur la migration et la société multiculturelle.

Cependant, les personnes qui ont consulté la note affirment que l’on n’y retrouve pas la patte du Vlaams Belang. Elle préconiserait une politique plus stricte, mais pas de changement de cap motivé par l’extrême droite et qui serait de toute façon inacceptable pour les autres partis. « Il n’y avait rien dans le texte dont on ne pouvait pas parler ».

S’il y a si peu de fuites sur cette partie, c’est fort lié au fait qu’aucun parti n’a reçu une copie de la note : Bart De Wever a présenté ses propositions aux autres partis et les a autorisés à les examiner, et c’est tout. C’est pourquoi on a dit par la suite que De Wever voulait éliminer les files d’attente dans le secteur de la santé (flamand) – quel parti pourrait s’y opposer, qui (démocrate-chrétienne, libérale ou socialiste) pourrait être contrarié par cette « nouvelle » ? En même temps, cependant, on a pu constater que les partis n’ont rien dit sur les propositions potentiellement plus difficiles dans le dossier de la migration.

Bref, c’était dimanche et lundi matin. Il y a eu une satisfaction prudente, car Bart De Wever avait – enfin – cesser d’inviter le VB dans les négociations. Il semblait que, plus d’un mois après les élections du 26 mai, la formation du gouvernement flamand avance enfin. Le formateur De Wever n’avait pas expressément invité les partis de gauche Verts et PVDA, bien que tous deux aient été  » gagnants  » des élections, l’un plus que l’autre, il est vrai.

Mais au moment où les informateurs fédéraux Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (sp.a) devaient rendre leur mission au roi, il semblait que l’ensemble des formations gouvernementales de ce pays allait finalement suivre le schéma attendu. En juillet, les régions formeraient assez rapidement leurs gouvernements et, à partir de début août, on étudierait sur base de ces réalités régionales réunies, comment assembler un gouvernement fédéral. Bart De Wever peut également se permettre le luxe de jouer avec le choix définitif en Flandre : la N-VA opterait-elle pour un modèle dit « bourguignon », comme à Anvers (c’est-à-dire avec SP.A et Open VLD) ou pour un gouvernement de centre droit à la « suédoise » (N-VA, CD&V et Open VLD) ?

Ce n’était pas clair dimanche dernier, et ce ne sera pas avant longtemps.

Pré-préformateurs

Tout ça à cause du deuxième virage, lundi. Tout a commencé de manière relativement innocente, semble-t-il, sauf que c’était à nouveau le moment de rire: le Palais n’a pas dit, comme prévu, au duo apparemment inutile d’informateurs Reynders et Vande Lanotte : « Messieurs, vous pouvez disposer ». Le Palais leur a explicitement demandé de prolonger leur mission d’un mois, jusqu’au 29 juillet, afin de rédiger d’ici là une note qui pourrait servir de point de départ aux discussions « pré-formation ».

Vous lisez bien : dans un délai d’un mois, il faut rédiger un texte qui ne soit pas à la base d’une formation sérieuse de gouvernement, deux mois après le scrutin, mais d’une « préformation » tâtonnante et, espérons-le, non plus entièrement sans engagement. Les informateurs en tant que « pré-réformateurs ».

Il est intéressant de noter que les conversations n’auront plus lieu par parti, mais par (ancienne) famille politique, et que l’on considère la majorité simple. Quiconque veut des majorités spéciales – pour des réformes étatiques, pour des développements confédéraux spéciaux – devra convaincre les autres partis par ses propres moyens. Il pourrait s’agir d’une première poussée vers l’isolement de la N-VA, ou d’une première semonce envers ce parti pour rendre progressivement son discours plus réaliste.

Aussi subtil que soit le signal en provenance de Laeken, il a été capté au siège de la N-VA. La réaction de Bart De Wever ne s’est pas fait attendre. Comme on ignore à quoi ressemblera le cap fédéral, De Wever suspend également les négociations flamandes pour le moment. Son communiqué précise qu' »il est sage de ne pas entamer de formation formelle flamande pendant cette période. L’informateur flamand continuera à travailler sur « la clarification des points de convergence en termes de contenu « . C’est ce qui est écrit littéralement: Bart De Wever prendra le temps de  » clarifier les points de convergence en termes de contenu « . Où est passé l’authentique Bart De Wever ?

Entre-temps, la N-VA s’était également fait entendre : après une réunion du bureau du parti de la N-VA, il y a eu une annonce flamande plus classique. Le malaise actuel est lié aux élections simultanées, c’est une honte que les autres partis ne prennent plus en compte la victoire électorale du Vlaams Belang, et le PS est accusé de ne pas répondre au confédéralisme auquel la N-VA aspire tant. Plus concrète, l’observation qu’Ecolo et le PS continuent à dire qu’ils ne veulent pas discuter avec la N-VA. Conclusion du parti qui met les négociations flamandes en suspens pour une durée indéterminée : « Pour résoudre les problèmes, il faut au d’abord au moins se parler ».

En tout état de cause, les observateurs sérieux signalent des développements parallèles en Flandre et en Belgique francophone. En Flandre, la N-VA doit lâcher le VB pour se positionner sur la carte fédérale. En Wallonie, le PS d’Elio Di Rupo ne pourra tendre la main à la N-VA qu’après que Bart De Wever aura lâché la main de Tom Van Grieken, Filip Dewinter et autres Dries Van Langenhove. Et puis Di Rupo doit d’abord prendre un autre virage, à savoir avoir une discussion raisonnable avec le MR – le parti de Charles Michel a été le grand croquemitaine du PS pendant la campagne électorale.

2019 n’est pas 2014

Il n’y a pas que la N-VA qui a besoin de temps : la manoeuvre dilatoire de Bart De Wever joue aussi en faveur du parti qui est censé être le grand ennemi de la N-VA, le PS. En ce sens, les plus grands partis en Flandre et en Belgique francophone sont dans le même bateau : aujourd’hui, ils ne sont pas encore prêts pour des négociations fédérales. Et parce qu’il n’y a absolument aucune clarté sur les partenaires fédéraux, on traîne aussi dans les régions. C’est pourquoi aujourd’hui seule la formation d’un gouvernement germanophone est terminée.

La manoeuvre de la N-VA peut donc compter sur une certaine compréhension. Car s’il y a une chose qui frappe, c’est qu’aucun  » parti au pouvoir  » flamand ne laisse tomber De Wever. Au contraire, les réactions officielles – s’il y en a – sont réticentes et modérées, de même que les remarques officieuses. Bien sûr, le fait que tout comme les Eyskens de ce monde, même le plus jeune enfant comprend que Bart De Wever a dû lâcher la rhétorique flamande classique.

En théorie, cela aurait été le moment idéal pour former un gouvernement flamand et pour passer à la table de négociation fédérale muni d’une solide position flamande. Mais 2019 n’est pas 2014. A cette époque, la N-VA et le CD&V avaient en quelque sorte uni leurs forces, comme cela s’était déjà produit entre le CD&V et MR avant les élections – ou du moins entre Wouter Beke et Charles Michel.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ni depuis Flandre, ni de la N-VA, car tout commence toujours avec Bart De Wever, qui conserve la liberté de choisir son partenaire de coalition. Il a déjà montrer à Anvers qu’il est prêt à laisser tomber le CD&V sans scrupules pour le sp.a, et que cela mène à une formule de gouvernance assez solide.

Mais la N-VA craint que le PS ne fasse tout ce qui est en son pouvoir pour gouverner sans la N-VA : si nécessaire dans une nouvelle alliance pourpre-vert, avec ou sans démocrates chrétiens. Mais certainement pas avec les nationalistes flamands. Tout d’abord, De Wever veut s’assurer qu’il ne sera pas mis à l’écart au niveau fédéral à l’automne par des partenaires qu’il emmènerait au gouvernement flamand dans une ambiance estivale.

Donc on attend. Les photographes surtout peuvent se tenir prêts pour le premier entretien entre la N-VA et le PS, donc probablement entre Bart De Wever et Elio Di Rupo. Il s’agit de voir s’il y aura beaucoup de choses à dire, mais c’est une phase qui est de toute façon inévitable dans une logique fédérale – une logique approuvée noir sur blanc depuis hier De Wever. Ce n’est que si les deux plus grands partis ne se trouvent vraiment pas que les autres scénarios gagneront en crédibilité politique. Mais ce n’est pas pour maintenant.

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