Min Reuchamps

Combiner élection et tirage au sort à tous les niveaux de pouvoir

Min Reuchamps Professeur de sciences politiques à l'UCL

Min Reuchamps, professeur de sciences politiques à l’UCL, propose d’étendre les expériences de démocratie participative pour lutter contre la désaffection politique.

Au coeur de l’idéal démocratique est l’élaboration de normes collectivement admises, malgré nos différences et nos divergences (puisque sans ces différences et divergences, il n’y aurait probablement pas besoin de démocratie). Comment faire dès lors pour atteindre cet idéal alors que le rapport à la norme est – de plus en plus – individualisé ? Il s’agit d’une question de légitimité. Celle-ci peut venir de l’élection de représentant·es qui prennent, en notre nom, des décisions. La représentation implique par nature un décalage entre représentant·es et représenté·es, c’est ce qui fait la force et la faiblesse de tout mécanisme de représentation. Mais ce décalage est plus ou moins grand en fonction des contextes et de nombreuses études montrent que ce décalage est fortement ressenti à l’heure actuelle. À la légitimité de la représentation, la démocratie peut compter également sur la légitimité de la participation. Ces deux légitimités sont complémentaires bien plus que contradictoires.

L’histoire de la démocratie montre que la participation à la chose publique tend à être – fortement – inégalitaire. La participation peut prendre de nombreuses formes et parmi celles-ci le tirage au sort est la forme la plus susceptible de lutter contre les inégalités d’auto-sélection. En d’autres termes, le tirage au sort offre la même chance à toute personne d’être invitée à participer à la chose publique. Le tirage au sort est donc un moyen, et non une fin en soi. L’objectif final étant d’élaborer des normes collectivement admises, ce qui passe par la délibération. Un nombre grandissant d’institutions politiques ont recours à cette combinaison de tirage au sort suivi de délibération, en complément des mécanismes de représentation basés sur l’élection (ou, dans les pays qui l’autorisent, de mécanismes de consultation populaire, voire de référendum).

Tout comme la Belgique avait été pionnière à la fin du 19e siècle en introduisant notamment le vote obligatoire, l’isoloir ou des formules de proportionnalité (comme la devenue célèbre clé D’Hondt), elle l’est encore en ce début de 21e siècle avec des initiatives telles que le dialogue citoyen permanent de la Communauté germanophone chargé de faire des recommandations aux parlement et gouvernement ou les commissions délibératives initiées par le Parlement régional bruxellois et le Parlement francophone bruxellois (COCOF) qui verront des citoyens tirés au sort aux côtés de parlementaires élus, à côté de nombreuses initiatives au niveau local. Ce mouvement pourrait être amplifié par deux propositions concrètes afin que notre système démocratique bénéficie davantage de la combinaison des deux sources de légitimité, distinctes mais complémentaires.

La première : transformer les votes blancs et nuls lors des élections communales (et pourquoi pas provinciales) en tirant au sort le pourcentage que ces votes représentent en conseilleurs communaux (ou provinciaux) parmi toutes les personnes qui ont pris part à l’élection. Les votes blancs et nuls représentent un pourcentage non négligeable des votes lors d’une élection, mais ils ne sont pas pris en compte lors de la répartition des sièges. Une façon très visible de les matérialiser serait de laisser des sièges vides en proportion équivalente. Pour le – bon – fonctionnement des conseils, cela serait peut-être symbolique, mais difficilement tenable dans la pratique. Une alternative rendant compte de la réalité des votes blancs et nuls tout en permettant aux conseils de compter sur un ensemble complet de membres serait donc de convertir en sièges tirés au sort le pourcentage de ces votes blancs et nuls. C’est donc un système flexible puisque s’il n’y a aucun vote blanc ou nul, 100 % des membres restent élus et, à l’opposé, si l’ensemble de l’électorat décide de voter blanc ou nul, 100 % des membres seraient alors tirés au sort parmi l’électorat. Dans la réalité, on serait vraisemblablement entre ceux pôles, et on peut aussi imaginer que le ratio évolue d’une élection à l’autre, en fonction du souhait des électrices et des électeurs.

La deuxième : ajouter 100 sénatrices et sénateurs tiré·es au sort parmi la population, aux côtés des 50 sénatrices et sénateurs des entités fédérées. On aurait ainsi au Parlement fédéral, 150 représentant·es élu·es directement à la Chambre et 50 représentant·es des entités fédérées avec 100 citoyen·nes tiré·es au sort au Sénat. On sait que les prérogatives du Sénat ont largement diminué depuis les dernières réformes de l’État mais la haute assemblée reste compétente pour certains enjeux, dont les réformes de la Constitution. Des citoyen·nes y seraient ainsi directement impliqué·es. On pourrait imaginer siéger pour deux ans, avec une rotation par moitié chaque année. Surtout, intégrer des citoyen·nes au Sénat serait l’occasion de poser la question du rôle de cette assemblée. De nouvelles idées et propositions de réforme de notre démocratie y apparaîtraient certainement.

Min Reuchamps, professeur de science politique à l’UCLouvain

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