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Cinq techniques pour avantager certains héritiers

Le Vif

On ne peut pas léguer n’importe quoi à n’importe qui. La loi protège en effet certains héritiers réservataires. Mais il est tout de même possible d’en avantager certains par rapport à d’autres.

Vous ne vous entendez plus avec un de vos enfants. Votre fils ne s’occupe pas de vous et n’attend qu’une chose : son héritage. Votre fille est criblée de dettes et ne sait véritablement pas gérer son argent. Vous souhaitez donner la totalité de votre patrimoine à des associations car vos enfants n’ont pas besoin d’argent. Votre enfant handicapé nécessite des moyens plus importants. Vous désirez privilégier vos petits-enfants dans le cadre d’une planification successorale qui permettra de réduire les droits de succession, etc. Quelle que soit la raison, vous souhaitez peut-être, comme de nombreux Belges, distribuer votre patrimoine comme bon vous semble lorsque votre dernière heure aura sonné.

Actuellement, le droit successoral vous y empêche car il protège certains héritiers : les héritiers réservataires, qui recevront quoi qu’il arrive une part minimale du patrimoine que vous avez accumulé au fil des ans (la part réservataire). Qui sont-ils ? Comment leur part est-elle calculée ? Avez-vous tout de même la possibilité de privilégier une personne en particulier ? Est-il même possible de déshériter complètement un enfant ? Réponses.

Quelle part pour les héritiers réservataires ?

Même s’il existe un projet de loi qui limitera sans doute bientôt la réserve des enfants à la moitié de la succession, quel que soit le nombre d’enfants, ce sont toujours les anciennes règles qui sont d’application aujourd’hui. S’il n’y a qu’un seul enfant dans la famille, la réserve s’élève à la moitié de la succession. Elle sera de deux tiers de la succession lorsqu’il y a deux enfants (un tiers chacun) et de trois quarts si la famille compte trois enfants ou plus. La quotité disponible, soit la part de la succession dont peuvent librement disposer les parents, s’élèvera donc respectivement à la moitié, un tiers et un quart de la succession.

Outre les enfants, il existe d’autres héritiers réservataires. D’abord le conjoint survivant, qui héritera au moins de l’usufruit de la moitié de la succession, mais la réserve ne pourra pas être inférieure à l’usufruit du logement familial et des meubles qui le composent. Par ailleurs, si le défunt ne laisse aucun enfant, ce sont les parents qui seront réservataires à hauteur d’un quart de la succession chacun.

Base de calcul : la masse fictive

Si vous avez des enfants, votre marge de manoeuvre est relativement limitée. Et ne comptez pas résoudre le problème en effectuant des donations à l’avance : toute donation doit en effet être « rapportée » lors du calcul de la masse successorale (fictive). En d’autres termes, la réserve est calculée sur le patrimoine net au moment du décès augmenté de toutes les donations réalisées par le défunt de son vivant rapportée à la valeur au moment du décès.

Exemple : Jean a deux fils, Pierre et Alexandre. De son vivant, il a réalisé plusieurs donations bancaires à Pierre pour un montant total de 125 000 euros. Lors du décès de Jean, il reste un appartement d’une valeur de 250 000 euros et des liquidités pour 75 000 euros. La réserve est dans ce cas calculée sur la masse fictive, soit 450 000 euros (125 000 + 250 000 + 75 000). Dans cet exemple, la réserve totale s’élève à 300 000 euros (deux tiers de la succession), soit 150 000 euros pour chaque enfant.

Cinq techniques

En tenant compte de la contrainte de la réserve, comment est-il possible d’avantager certains héritiers, voire carrément déshériter un héritier réservataire ?

Utiliser la quotité disponible : la réserve attribuée aux héritiers réservataires ne correspond pas à la totalité du patrimoine. Il vous est loisible de distribuer comme bon vous semble la quotité disponible, ce qui permet d’avantager un héritier par rapport à un autre. Vous devrez néanmoins mentionner expressément cette volonté dans un testament ou procéder à des donations « hors part » de votre vivant, c’est-à-dire des donations pour lesquelles vous signalez qu’elles ne constituent pas une avance sur la part successorale. Si vous ne spécifiez rien, la donation est réputée comme avoir été faite en « avance d’hoirie », c’est-à-dire en avance sur la part d’héritage.

Dans notre exemple, si Jean n’a rien mentionné lors de la donation à Pierre et qu’aucun testament n’a été rédigé, la masse fictive sera simplement divisée en deux : 225 000 euros chacun. Etant donné que Pierre a déjà reçu une donation de 125 000 euros considérée comme avoir été faite en avance d’hoirie, il recevra au décès de son père 100 000 euros tandis que son frère Alexandre touchera 225 000 euros.

Si Jean avait fait la donation « hors part », la situation serait différente. Le partage serait fait sur la masse fictive (450 000) diminuée de la donation à Pierre (125 000), soit 325 000 euros. Alexandre et Pierre toucheraient chacun la moitié de ce montant (162 500). Au total, Alexandre aurait touché 162 500 euros et Pierre 287 500. Etant donné que la part réservataire d’Alexandre (150 000) n’est pas atteinte, il n’aurait d’autre choix que d’accepter la situation.

Cette technique est donc intéressante, mais reste limitée car vous ne pouvez évidemment pas entamer la part réservataire d’un héritier.

Réduire votre patrimoine propre : si l’on veut déshériter complètement un enfant, une autre technique (drastique) consiste à réduire l’héritage à néant. Vous pouvez tout dépenser, voire vendre vos biens immobiliers en viager de manière à maintenir votre niveau de vie jusqu’à votre décès. La vente en viager vous permet en effet de céder un bien immobilier en contrepartie d’une rente à vie. Bien entendu, pour que cette construction fonctionne, il faut que les rentes soient effectivement payées et que le contrat soit équitable, sous peine d’être requalifié en donation.

Si vous êtes marié, idéalement sous le régime de la séparation des biens, vous pouvez également faire en sorte que les biens soient inscrits au nom de votre conjoint. C’est une technique qui peut être utilisée, par exemple, pour pénaliser un enfant né d’un précédent mariage. Mais elle doit être utilisée avec parcimonie et en toute conscience que le conjoint sera alors propriétaire des biens… même en cas de séparation.

Demander l’accord des enfants : les héritiers réservataires ne sont jamais obligés d’exiger leur réserve. Mais il est interdit pour l’instant (une proposition de loi a été déposée pour le permettre) de conclure un accord concernant une succession qui n’est pas encore ouvert. Autrement dit, même si vous signez un document avec vos enfants qui y stipulent qu’ils ne réclameront pas leur réserve, ils pourront toujours changer d’avis et réclamer la nullité de cet accord devant le tribunal. Il faut donc être sûr de vos enfants.

Si c’est le cas, vous pouvez très bien réduire les droits de succession en sautant une génération, c’est-à-dire en léguant votre patrimoine à vos petits-enfants. Dans ce cas, vous évitez de payer deux fois les droits de succession sur un même patrimoine. Si vous désirez que vos enfants en profitent, vous pouvez très bien léguer ou donner la nue-propriété de votre patrimoine à vos petits-enfants et l’usufruit à vos enfants. Vous pouvez également effectuer une donation à vos petits-enfants avec charge de payer à leurs parents une rente périodique.

Si l’entente avec vos enfants est au beau fixe, vous pouvez également procéder à une donation avec réserve d’usufruit pour vous à l’un de vos enfants, même pour une part supérieure à la quotité disponible, pour autant que l’enfant « lésé » donne son accord dans l’acte de donation.

Léguer au conjoint survivant : vous pouvez ajouter dans votre contrat de mariage une clause « au dernier vivant tous les biens », qui permettra à votre conjoint de récupérer la totalité des biens de la communauté. Si vous êtes marié sous le régime de la séparation des biens, vous pouvez ajouter une clause de répartition finale des biens. Mais cette technique ne concerne que les biens de la communauté et ne fait que reporter l’héritage des enfants : au décès de votre conjoint, ils hériteront en effet des biens à moins que d’autres mesures soient prises.

Déménager : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne reconnaissent aucune réserve pour les enfants. Si la situation est à ce point difficile avec vos enfants, déménager dans un pays qui ne reconnaît aucune réserve est une solution éventuelle… pour autant que le déménagement soit effectif.

Dernier conseil

Lorsqu’il s’agit de privilégier un héritier par rapport à un autre, surtout dans le cas d’héritiers réservataires, les techniques sont souvent complexes. Il en existe d’autres, encore plus délicates à mettre en oeuvre. Dans tous les cas, mieux vaut donc faire appel à un notaire ou un spécialiste de la planification patrimoniale pour être sûr de la solution. Il est également recommandé de vérifier la situation à intervalles réguliers pour s’assurer que la solution mise en place est toujours en adéquation avec vos souhaits.

Par Julien Lheureux

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