Christophe Van Gheluwe, spécialiste du référencement sur les moteurs de recherche, passe tout son temps libre depuis huit ans à développer Cumuleo, le "baromètre du cumul des mandats". © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Christophe Van Gheluwe (Cumuleo), le « Mr. Propre » citoyen

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Cumuleo, c’est lui. Tout seul. Les déçus de la politique l’encouragent, les élus le critiquent. Christophe Van Gheluwe est devenu le chantre de la transparence. Même s’il garde lui-même quelques secrets.

Certains passent leur temps libre sur les réseaux sociaux, d’autres surfent sur les sites d’info. Catherine Morenville, elle, traîne sur Cumuleo. Déformation professionnelle. Si la conseillère communale saint-gilloise et conseillère du groupe Ecolo au parlement bruxellois s’était adonnée à un autre passe-temps virtuel, ce jour-là, le Samusocial n’aurait jamais éclaté.  » Catherine a remarqué que les mandats des administrateurs étaient rémunérés, du jamais-vu dans une asbl sociale, raconte le député Alain Maron, qui suit la thématique du sans-abrisme depuis des années. On a introduit une première série de questions, puis une autre… Et l’affaire a commencé.  »

Christophe Van Gheluwe ressort volontiers l’anecdote. Un scandale, grâce à son site !  » Permettre aux gens de creuser, c’est vraiment l’objet de Cumuleo « , sourit-il, attablé dans son propret appartement bruxellois, le dos tourné à l’ordinateur devant lequel il passe jusqu’à 14 heures par jour. Pas seulement pour son boulot de webdesigner indépendant.  » Certains utilisent leur temps libre pour faire du basket ou collectionner des timbres, compare son comparse Claude Archez, cofondateur de Transparencia. Lui, son truc, c’est ça.  » Chasser les conflits d’intérêt, traquer les mandats non déclarés, pousser les élus hors de l’opacité.

 » En 2005, lorsque la première publication des mandats a été diffusée, je l’ai cherchée sur le site de la Cour des comptes. Il m’a fallu 1 h 30 pour la trouver ! « , raconte-t-il. Cette  » fausse transparence  » l’a irrité. D’autant que cette fameuse liste avait mis une décennie à être publiée. L’obligation, pour les politiques, de déclarer leurs mandats, fonctions et professions avait été votée en… 1995. Il fallait rendre confiance aux citoyens : trois ans plus tôt, le Vlaams Blok avait fait un carton aux élections, tout comme Ecolo, tous deux boostés par l’affaire Agusta. Mais les indispensables arrêtés d’exécution, eux, avaient traîné. Jusqu’en 2005. Perdus dans les limbes du Sénat, non votés pour cause de députés volontairement absents, remis en cause par l’Open VLD… Et puis ça ? Un austère fichier PDF de plus de 1 000 pages ?  » Il fallait faire quelque chose, ça me restait en tête.  »

30 heures non-stop

Christophe Van Gheluwe passe à l’acte en 2009, créant un site qui rend lisibles les données de la Cour des comptes. Depuis, c’est devenu un rituel. Chaque dernier jour ouvrable avant le 15 août, dès la publication de la liste par la Cour des comptes à 6 heures du matin, un marathon de  » 30 heures de boulot non-stop  » débute. Le Bruxellois repère les distraits et les boulimiques. Comme ce  » champion  » incontesté, cerné la première année : un représentant de la Banque nationale, 120 mandats à son actif. Depuis, le record ne cesse de baisser, pour atteindre 57 en 2016. Effet Cumuleo ? A la marge. Car le nombre global de mandats, lui, reste stable. Par contre, les édiles en défaut de déclaration n’ont jamais été si peu nombreux : 125, contre 195 l’année précédente et… 645 en 2007. Effet Publifin ?

En Belgique, on n’obtient rien en demandant gentiment !

Les malheurs liégeois ont en tout cas fait le bonheur du site. Pic de fréquentation ! Jusqu’à 200 000 visites par mois. Et pic d’ambition, pour Christophe Van Gheluwe. Le discret est devenu plus agressif. Haussement de ton assumé.  » En Belgique, on n’obtient rien en demandant gentiment !  » Sa campagne lancée en juin dernier ne faisait pas dans la dentelle. Une photo d’élu (souvent peu flatteuse), diffusée sur Facebook, barrée d’un gras  » cumulard  » et du sous-titre  » député ou bourgmestre/échevin, faites votre choix « . Tant pis si cela prenait des allures de délation.  » On me l’a reproché, on m’a dit que ça rappelait d’autres temps, reconnaît-il. Mais le seul objectif était le devoir de publicité à l’égard du citoyen.  »

Depuis, le Bruxellois est passé au  » mandats leaks « . Soit la révélation, chaque lundi, de mandats non déclarés, qu’il s’applique à débusquer, parfois aidé par les tuyaux d’internautes. Le nouveau gouvernement wallon en a fait les frais. A peine installés, six des sept ministres MR-CDH étaient alpagués pour leurs omissions. Un poste d’administrateur dans un club de volley oublié par-ci, une démission dans une asbl actée avec retard par-là…  » Une tempête dans un verre d’eau, peste le libéral Jean-Luc Crucke, ministre du Budget, via son porte-parole. Cet esprit d’inquisition fait croire à des abus, alors qu’il s’agit de postes gratuits, dérivés de nos fonctions.  »

L'ancien bourgmestre de Bruxelles Yvan Mayeur fait son entrée à la commission du Samusocial. Sans Cumuleo, le scandale n'aurait peut-être pas éclaté.
L’ancien bourgmestre de Bruxelles Yvan Mayeur fait son entrée à la commission du Samusocial. Sans Cumuleo, le scandale n’aurait peut-être pas éclaté.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Retour de flamme

A force de vouloir frapper plus fort, Christophe Van Gheluwe se ramasse quelques contrecoups.  » Ses campagnes m’indiffèrent, assure le député wallon CDH Dimitri Fourny, épinglé comme « cumulard ». J’assume mes mandats. Mais toutes les données publiées ne sont pas exactes. Quand on veut jouer au grand, on le fait correctement. Il fait le jeu du populisme.  » Le mot est lâché.  » C’est un paradoxe souvent observé, remarque Alain Eraly, professeur de sociologie à l’ULB. Plus on produit de transparence, plus ça semble alimenter une méfiance supplémentaire.  » Paul Magnette n’en pense pas moins.  » Il y a un côté poujadiste dans la manière de présenter les choses, regrette le bourgmestre socialiste de Charleroi. Le site ne fait preuve d’aucune pédagogie. Des mandats sont comptabilisés alors qu’ils n’en sont pas. Par exemple, dès qu’on commence à compter dans un parti, on devient membre du bureau et d’une série de structures. Ou quand on est bourgmestre, on est automatiquement membre de la zone de secours. C’est fort différent de celui qui siège dans quatre intercommunales.  »

Jean-Michel De Waele, professeur de science politique à l’ULB, abonde.  » Avoir X mandats ne veut pas dire grand-chose. Quels sont ceux qui collent à la fonction ? Quels sont ceux qui sont pris en plus ? La question n’est pas seulement de savoir s’ils sont rémunérés ou non.  » Maxime Felon, président des Jeunes socialistes, estime avoir fait les frais de ce type de raccourcis. En juin dernier, il plaidait dans la DH pour un décumul intégral. Le lendemain, le site du Vif/L’Express dédiait un article à ses 17 mandats.  » Ca a créé un amalgame énorme. On m’a dit : « Comment tu vis ! ? », alors que j’ai gagné 6 500 euros brut annuels.  » Il se déclare pourtant partisan de Cumuleo. Il en était même devenu souscripteur payant.  » Mais, honnêtement, j’en suis venu à me poser des questions. Au départ, la démarche était informative. C’est devenu un combat politique.  »

Pour Georges-Louis Bouchez, la bonne intention des débuts nourrit désormais l’antipolitisme. Le délégué général du MR et conseiller communal à Mons regrette un manque de nuance, propose de pondérer les postes selon leur importance, souhaite une meilleure distinction entre mandats, fonctions, professions et désire surtout que le public reprenne la main.  » Monsieur Van Gheluwe a fait bouger les choses, mais maintenant il faut perfectionner et professionnaliser l’outil.  » Tous les partis opinent : que la Cour des comptes réalise désormais son propre site. Le gouvernement wallon MR-CDH a inscrit dans sa déclaration de politique régionale sa volonté de mettre sur pied un cadastre public. La question a aussi été abordée au parlement bruxellois et dans le groupe de travail  » renouveau politique  » à la Chambre. Christophe Van Gheluwe fait la moue.  » Ce serait dommage de créer un site qui referait la même chose.  » Et puis, il n’a pas confiance.  » Le public vérifierait-il tout ?  » Douze ans tout de même que personne d’autre que lui ne bouge…  » Personne ne l’empêche de continuer. Mais on a parfois le sentiment qu’il réagit comme si on lui enlevait son jouet, glisse Georges-Louis Bouchez. Beaucoup de gens aiment avoir acquis un petit pouvoir et de l’attention médiatique. J’espère que ce n’est pas son cas.  »

« Ça doit être gratuit »

La campagne
La campagne « Cumulard », lancée avant l’été par Cumuleo. Un ton agressif qui a suscité des critiques.© SDP

 » Quid, demain, si M. Van Gheluwe en a marre et arrête ?, s’interroge Alain Maron. Il n’y a pas de raison de privatiser la transparence.  » L’Ecolo se sent également mal à l’aise s’agissant du caractère payant du baromètre des mandats. Celui qui souhaite savoir combien gagne un bourgmestre ou un député doit débourser au minimum 1 euro par mois.  » Ça ne va pas ! Ce sont des données publiques, elles doivent être gratuites, même si j’imagine que le but n’est pas ici de s’enrichir.  » Difficile à vérifier. Le fondateur détaille volontiers que l’argent qu’il reçoit sert à couvrir différents frais, comme l’hébergement ou la traduction en néerlandais. Mais il refuse de dévoiler combien de comptes payants sont ouverts et quels montants sont versés.  » Parce que ça pourrait paraître beaucoup pour certains, mais peu pour d’autres « , justifie-t-il. Et puisque Cumuleo n’a pas de statut légal, aucun compte annuel ne doit être publié.

Christophe Van Gheluwe ne souhaite pas davantage divulguer le nom du parti traditionnel dont il a été membre.  » Adhérent, rectifie-t-il. Je n’étais pas actif. Je recevais juste du courrier et je payais une cotisation.  » Il ne l’est plus, de toute façon. Et, actuellement, il ne  » donnerait son aval à aucune formation « . On lui propose régulièrement de former un nouveau parti. Il est  » toujours prêt à donner (sa) vision « , d’ailleurs il conseille de temps à autre quelques élus, dont il tait les noms. Mais se lancer, lui ? Non merci ! On le traite de populiste ?  » Au contraire, je suis effrayé de ce manque de confiance des citoyens, car il empêche de se rassembler autour d’un projet commun. Mon objectif, c’est ça : favoriser la transparence pour qu’on puisse travailler ensemble.  » Pour ça, il n’espère pas un réveil politique. Mais citoyen. Que chacun baisse sa tolérance au sujet des dérives.  » Si, dans chaque commune, il y avait un groupe de personnes qui surveillait, ça aurait déjà des effets vertueux.  »

Ses campagnes m’indiffèrent. J’assume mes mandats » – Dimitri Fourny, député wallon CDH

Pile-poil l’objectif d’Anticor et de Transparencia, deux initiatives lancées il y a un an. Anticor, d’abord : un mouvement citoyen constitué en France, en 2002,  » sous la houlette d’élus qui voulaient lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique « , relate son vice-président Eric Alt. Christophe Van Gheluwe s’en est inspiré, avec Claude Archer et Patrick Installé. Le premier, habitant de Schaerbeek, s’implique dans les audits citoyens et les contrats de quartier bruxellois. Le deuxième, résident de Tubize, militant PS pendant trente ans avant de rejoindre le parti Pirate, a mis sur pied Droitderegard.be, une plate-forme regroupant l’ensemble des ordres du jour des conseils communaux wallons.  » Chacun de notre côté, on se rendait compte des difficultés à savoir comment l’argent public est attribué, retrace Claude Archer. Nous sommes entrés en contact et nous avons lancé Anticor Belgium. Notre idée est d’armer les citoyens d’outils de contre-pouvoir.  »

Le nouveau gouvernement wallon MR-CDH : première cible de la campagne
Le nouveau gouvernement wallon MR-CDH : première cible de la campagne « mandats leaks » de Christophe Van Gheluwe. Six des sept ministres ont omis de déclarer certains mandats.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Cumuleo et Anticor ont donné naissance à Transparencia, un site qui permet de réclamer des comptes à une administration ou un cabinet, en vertu de l’article 32 de la Constitution, selon lequel  » chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s’en faire remettre copie « .  » Car l’information, juge Patrick Installé, c’est le pouvoir.  » Transparencia représente, au dernier décompte, 371 demandes (60 ont abouti). De la volonté de connaître l’ensemble des marchés publics attribués par une commune à la liste de rémunérations perçues par un collège en passant par les dispositions en matière de castration des chats errants. Les entités bruxelloises sont les plus sollicitées. Au grand dam de certains bourgmestres, qui se sont réunis pour adopter une position commune. C’est que répondre aux demandes parfois fastidieuses (exemple : transmettre l’ensemble des permis d’urbanisme accordés) prend un sacré temps.  » Et puis, quelle est la finalité ? , s’interroge Olivier Maingain, président de DéFI, député et bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert. On nous demande ainsi de fournir tous les plans de sécurité des écoles. Or, on ne peut pas diffuser ça sur le Web et prendre le risque, en ces temps de niveau d’alerte terroriste niveau 3, que cela tombe entre les mains de gens moins bien intentionnés.  »

 » On ne fournit des réponses qu’aux personnes qui ont un intérêt à les recevoir. Car on ne veut pas que les informations données en viennent à susciter des craintes « , détaille Christophe Magdalijns (DéFI). Le bourgmestre faisant fonction d’Auderghem est pourtant loin d’être hostile à la transparence. Il avait d’ailleurs envoyé ses rémunérations brutes à Christophe Van Gheluwe. Elles n’ont pas été publiées sur Cumuleo.  » Ce site, comme Transparencia, n’auraient pas de raison d’être si tout était facile d’accès. Ils sont nécessaires parce que le politique ne communique pas assez. Certains élus se débrouillent bien tout seul pour alimenter le populisme.  »

Christophe Van Gheluwe, Claude Archer et Patrick Installé travaillent sur d’autres projets. Comme  » Cabinetto « , sorte de Cumuleo sur la composition des cabinets, ou encore une plate-forme de surveillance des marchés publics. Ils n’avancent pas seuls. Ils se sont rapprochés du Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative), ils suscitent l’intérêt de groupes locaux qui veulent concrétiser des antennes d’Anticor à Liège ou Charleroi. Ils sont entourés d’autres bénévoles, dont ils n’entendent pas dévoiler les noms.  » Pour ne pas les exposer.  » Décidément difficile, la transparence totale.

Cumuleo & cie : qui est quoi ?

• Cumuleo : site qui recense les professions, fonctions et mandats de chaque élu.

• Anticor : mouvement citoyen, inspiré d’une initiative française, qui entend lutter contre la corruption politique.

• Transparencia : plate-forme en ligne créée par Anticor qui aide tout citoyen à demander copie d’un document administratif à un pouvoir public.

• Droitderegard.be : site qui rassemble les ordres du jour des conseils communaux wallons (plus mis à jour pour le moment).

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