Jan Nolf

Christine Lagarde : docteur doloris causa

Jan Nolf Juge de paix honoraire

Lors de la remise du doctorat honoris causa à Christine Lagarde, l’Université Catholique de Louvain-Courtrai (Faculté d’Economie) s’est trompée de rendez-vous, et donc forcément la directrice générale du FMI avec elle.

La scène aurait été toute autre, si la cérémonie ne s’était pas passée mardi dernier à l’initiative de la Faculté d’Economie, mais bien ce 2 novembre 2012, à la Faculté de Droit. Elle aurait pu décerner à l’ex-ministre de l’Economie de Sarkozy un doctorat doloris causa : un doctorat pour les malheurs de la justice.

D’abord la date. Aujourd’hui est le premier jour ouvrable depuis l’entrée en vigueur, hier, de la loi ‘Una Via’ du 20 septembre 2012. Les fraudeurs s’adresseront dès ce matin au Parquet dans un système de ‘pardon fiscal’ qui est maintenant au complet avec les lois du 14 avril et 11 juillet 2011 au sujet des transactions pénales, et la Circulaire du 30 mai 2012.

La nouveauté n’est pas qu’ils devront enfin payer leurs impôts avec intérêts, cela va de soi. Mais aujourd’hui les soldes commencent : la majoration fiscale qui était souvent de 50%, est de fait remplacée maintenant par une sanction pénale que le Parquet proposera de 10 à 15 %. En plus, la loi prévoit des maxima : la bagatelle de 12.500 euros pour les faits datant d’avant 2007, 125.000 euros depuis et dans le futur 3 millions d’euros.

Actuellement, Electrabel est dans le collimateur du fisc pour 285 millions d’euros. Dans cette hypothèse même l’amende de 125.000 euros fait sourire : 0,04%.

On peut donc supposer que la journée de la Toussaint n’a pas été triste pour tout le monde. Même le professeur et avocat fiscaliste Michel Maus qualifie sur son site web Everest-Law.be ce cadeau d’ « absurde ».

Ensuite le personnage. Mme Lagarde, née Lallouette, pendant 25 ans avocate d’affaires (Baker & McKenzie) et, dès le début de la présidence, ministre de Sarkozy. C’est dans sa qualité de ministre de l’Economie, qu’elle est confrontée à l’affaire Bernard Tapie. L’homme d’affaires devenu homme politique socialiste – de salon – et même ministre sous Mitterrand, porte son soutien à Sarkozy en 2007. Entre ces deux mouvements, suivent ses mises en examen, la faillite de l’Olympique de Marseille, 10 mois de prison purgés pour corruption et sa faillite personnelle dans l’Affaire Adidas.

C’est dans cette affaire qu’après une longue bataille, un arrêt de la Cour de Cassation ouvre la possibilité d’une piste pour dédommagements contre le Crédit Lyonnais et indirectement l’Etat. Finalement, l’affaire ne sera jamais jugée par un tribunal de la République Française, mais par arbitrage. L’Etat Français se soumet donc dans son propre contentieux à une privatisation de sa justice : une première.

C’est la décision de la Ministre Lagarde – selon certains sur ordre de Sarkozy. Suivra après l’arbitrage un autre record : 403 millions d’euros de dédommagements divers à Tapie. Cette décision sera décriée par l’actuel premier ministre Jean-Marc Ayrault comme « du copinage d’Etat ». Le professeur Thomas Clay, spécialiste de l’arbitrage juge l’opération « illégale ». Quand Bernard Tapie l’attaque en diffamation, il est débouté de sa demande et condamné lui-même à verser au professeur 34.000 euros pour procédure abusive.

Le 18 septembre 2012, Mediapart révèle l’ouverture d’une enquête judiciaire au sujet de cet arbitrage contesté du chef « d’usage abusif des pouvoirs sociaux » visant « implicitement ceux qui ont favorisé le recours contestable à une procédure d’arbitrage ». L’un d’eux est l’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde : Stéphane Richard, ancien inspecteur des Finances, et actuellement PDG de France Telecom.

Mais c’est contre l’ex-ministre Lagarde (depuis le 5 juillet 2011 au FMI) que la Cour de Justice de la République ouvre en août 2011 une enquête pour « complicité de faux » et « complicité de détournement de fonds publics ». Le procureur général près de la Cour de cassation en avait fait la demande auprès de cette seule juridiction compétente pour poursuivre et juger les ministres pour les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Une affaire toujours en cours et à suivre, mais Le Figaro – de l’armateur, avionneur et sénateur UMP Serge Dassault – rassure dans son édition du 4 août 2011: « L’actuelle patronne du FMI ne devrait pas comparaître devant la CJR avant plusieurs années ». En effet, un an après, elle n’est même pas encore interrogée.

En attendant, bénéficiant de l’évidente présomption d’innocence, rien de plus logique que la professeur Lagarde se livre dans son interview à De Standaard à des leçons pour l’économie belge comme si nous étions devenus à Courtrai – terre de la Bataille des Eperons d’Or – des sujets du Sarkozysme. Un régime oligarchique qui se résume bien dans l’adage ‘fort avec les faibles, faible avec les forts’.

Fort comme Ford, qui vient d’annoncer des bénéfices records, alors que la fermeture de son usine à Genk touche jusqu’à 50.000 personnes. Les 500 millions d’euros que le gouvernement doit trouver pour répondre à cette crise, c’est le budget de quelques beaux procès de fraude fiscale comme celui à Turnhout contre la Société Générale (Française) au sujet de transactions bancaires suspectes pour un montant de 89 millions d’euros. L’instruction était bien bouclée avant la loi du 14 avril 2011. Néanmoins, le Parquet fiscal Anversois arrêtait la procédure avec une transaction pénale hâtive même avant l’entrée en vigueur le 11 août de la loi réparatrice. Et quasi simultanément, début août 2011, la Société Générale annonçait un triplage de son bénéfice net jusqu’à 1,08 milliard d’euros. Cocorico, on admire le sacrifice.

Alors, un petit effort : si des économies doivent se faire autant les demander à Bernard.

Trop tard pour un autre Bernard, qui est le premier mort de froid en France de cet hiver. Il est décédé dimanche dernier, le 300ième recensé par le ‘Collectif Morts de la Rue’ cette année.

Pendant que Mme Lagarde enfilait sa toge de professeur à Courtrai, Sarkozy reprenait celle d’avocat à Paris. Y-aurait-il de l’espoir, Bernard ?

(Jan Nolf est licencié en droits et en criminologie. Il fut avocat pendant 10 ans et juge de paix pendant presque 25 ans. Vous retrouvez ces remarques critiques au sujet de la justice sur son blog juridique www.JustWatch.be et sur Twitter&@NolfJan)

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