Olivier Mouton

Chers électeurs flamands, je vous ai compris…

Olivier Mouton Journaliste

Deux jours après ce scrutin qui a secoué le pays, j’avais envie de vous adresser ces quelques mots. Tandis que j’écris, les présidents de la N-VA et du PS consultent chacun de leur côté, en multipliant les exclusives : l’un ne veut pas des gauchistes du PS et d’Ecolo, l’autre ne veut pas de la N-VA et bien sûr pas des extrémistes – comme par hasard, ils se regardent en chiens de faïence.

Ce mercredi, le Roi a reçu le président du Vlaams Belang – une première depuis 1936 : l’heure est grave. La meilleure preuve que quelque chose d’inédit est en train de se passer, c’est que personne ne hurle contre le Palais, même le président du CDH se contente de dire que cela « fait froid dans le dos » et la plupart des observateurs considèrent que le Roi doit reconnaître le signal que vous avez envoyé au Nord du pays. Soit. Comme Bart De Wever le suggérait, on évoque désormais ouvertement un chemin vers le confédéralisme. Que la crise politique soit aussi longue que celle de 2010/11 ou pas, que l’on finisse par retourner voter ou pas, elle marquera un nouveau tournant pour le pays.

Chers amis flamands, avant toute chose, pouvez-vous me dire si j’analyse bien le signal que vous avez envoyé dimanche, en votant massivement pour des partis indépendantistes et porteurs d’une vision restrictive de l’immigration ? Tout d’abord, vous avez visiblement peur. Un collègue et ami me disait que sa maman, pourtant ouverte et plutôt supportrice des écologistes, exprimait sa crainte d’être un jour contrainte de porter le voile. Curieusement, le lendemain, je voyais une photo dans la presse d’une dame, visiblement électrice du Belang, brandissant un panneau lors d’une manifestation clamant à Charles Michel qu’on ne lui imposerait jamais la burqa. Tout le monde a évidemment le droit d’avoir peur et il y a mille raisons pour que ce soit le cas dans ce monde à la fois complexe et bousculé. D’ailleurs, les enquêtes universitaires montent que ce sentiment d’inquiétude existe tout autant du côté francophone. A l’heure de la globalisation technologique, les communautarismes se renforcent, les tribus serrent les coudes et les identités cherchent à se défendre. Le lendemain du scrutin, j’ai directement commandé le dernier livre de Bart De Wever, Over Identiteit. Pour mieux comprendre. Depuis des années, il construit son discours sur l’importance de la communauté. Au fond, il cherche à vous rassurer comme le fait Elio Di Rupo avec le clientélisme socialiste chez nous. Seuls les tonalités changent et s’opposent. Mais nous cherchons, au fond, les mêmes réponses.

Chers amis flamands, je comprends votre peur, même si je me demande dans quelle mesure on ne l’instrumentalise pas à des fins politiques. Comme tous les francophones, je suis par ailleurs surpris que cette crainte-là dépasse celle, autrement existentielle pourtant, du risque de la fin de l’humanité et la nécessité d’agir urgemment pour ralentir le réchauffement climatique. Le mouvement des Jeunes pour le climat n’a-t-il pourtant pas pris de l’ampleur chez vous, avec cette jeune femme dont le nom, Anuna De Wever, contraste ironiquement avec celui du leader nationaliste ? Votre Région n’est-elle pas en première ligne du futur combat contre la montée des eaux ? J’ai bien entendu, durant la campagne, qu’il y avait une foi plus grande, de votre côté, sur les perspectives offertes par les progrès de la science. Nos interprétations divergent peut-être sur le choix de sortir rapidement ou non du nucléaire. Ou sur la nécessité d’adapter plus ou moins fortement rapidement nos modes de vie. Mais franchement, ce combat-là ne nécessite-il pas une réponse commune, européenne même ?

Chers électeurs flamands, je comprends votre ras-le-bol. Vous en avez marre de ces francophones arrogants, moralisateurs et donneurs de leçons. Croyez-bien que cela me dépasse souvent, moi aussi. Je ne comprends pas pourquoi on ne respecte pas la majorité de ce pays et pourquoi l’on prétend aimer la Belgique sans chercher à vous comprendre. Cela m’énerve d’entendre le président du PS prôner à un moment à ce point délicat de faire un gouvernement sans majorité flamande – même si je trouve gonflé votre courroux après une législature avec le MR ultra-minoritaire. Et cela m’irrite de lire des opinions pour dire que l’on quittera le pays si l’extrême droite arrive au pouvoir en Flandre – c’est tellement facile, tellement réducteur. Je sais encore votre exaspération historique à l’égard de l’attitude hautaine des francophones – même si l’ère des ‘fransquillons’ est depuis longtemps révolue. Je sais aussi votre crainte de la tache d’huile qui menace votre culture et votre langue minoritaire. Vous en avez, par ailleurs, marre de payer pour la Wallonie et tout autant marre d’avoir pour capitale une ville de Bruxelles gérée de façon chaotique. Puis-je être sincère ? Cela me rend fou, moi aussi, de voir que cela prend tant de temps pour reconvertir notre économie, pour remettre de l’ordre dans nos institutions et faire les choix audacieux qui s’imposent. Nous avons été écoeurés par les affaires des dernières années et nous sommes loin de la caricature de ces « Wallons dans leur hamac » lancée de façon provocatrice – je devrais dire « électoraliste » – par Jan Jambon. L’urgence absolue consiste à transformer l’essai d’une Wallonie prospère. Voulez-vous que je vous dise quelque chose ? Si vous cherchiez à comprendre, vous comprendriez que les votes très à gauche des électeurs francophones, dimanche dernier, sont tout autant l’expression de peurs que les vôtres. Elles disent un ras-le-bol de ne pas être entendu et d’être méprisé. Ce sont, comme dans votre cas, un appel à une autre politique. Et à un parler vrai. Car oui, on sait aussi reconnaître de notre côté le talent d’un Bart De Wever, son courage de reconnaître sa défaite au soir des élections et, quand ce n’est pas trop teinté de cynisme, sa capacité à appeler un chat un chat. A ne pas user de la langue de bois.

Chers amis flamands, je vous ai compris. Et je ne pense pas que votre vote de dimanche exprime un désir d’indépendance de la Flandre. Du moins pas explicitement. J’aimerais, au fond de moi, vous parler de la nécessité de reconstruire un dialogue entre nous et de faire pression pour la mise en place d’une circonscription fédérale permettant à nos politiques de reparler à nos deux opinions publiques. Mais au fond de moi, je pense qu’il est trop tard, que c’est inaudible et qu’il est temps de regarder les choses en face. Ne nous séparons pas, non, gardons un lien commun, un Etat que l’on peut appeler « confédéral » si l’on veut et préservons Bruxelles comme trait d’union, mais jetons les bases d’une autre cohabitation, plus simple, plus claire, plus compréhensible. Allons au bout du chemin vers l’autonomie, en réformant l’Etat sur base de critères et de valeurs simples : une plus grande démocratie, une plus grande lisibilité et une plus grande efficacité. Croyez-moi, en disant cela, je ne saute pas de joie à l’idée de construire un Etat wallon « éco-communiste », bien au contraire. Je pense qu’en prenant le temps de clarifier les choses, nous prendrons nos destins en mains. Et paradoxalement, nous réapprendrons à nous respecter. Et, qui sait, à trouver des réponses communes à ces maux qui ne sont pas si différents d’une Région à l’autre.

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