Paul Piret

C’est quoi, ce prurit belgicain, M. Bouchez ?

Paul Piret Journaliste pensionné

La sortie unitariste du président du MR traduit soit une ignorance inquiétante de notre histoire, soit un irrecevable déni des contraintes belgo-belges.

Un jour viendra, sans doute, où l’establishment du MR sera mis en demeure d’expliquer pourquoi et comment il aura intronisé aussi massivement un jeune candidat à sa présidence que l’agitation, l’impétuosité et le goût pour la provocation rendaient jusqu’il y a peu infréquentable.

Ce jour viendra, peut-être, plus vite que redouté ou espéré dans l’hypothèse où Georges-Louis Bouchez multiplierait les coups comparables à celui qu’il vient de commettre, au point de rendre impossible son maintien en fonction présidentielle. C’est que, dans la livraison hivernale du magazine « Wilfried », le pétulant Montois a développé une vibrante profession de foi en l’Etat unitaire que l’on a des raisons de juger problématique, sinon absurde. « On doit tout remettre au niveau national. (…) Faut arrêter ce délire », assène-t-il de cette manière tranchée et si simple qui aujourd’hui fait trop souvent office de débat.

Le problème, évidemment, n’est pas qu’un président de parti exprime son attachement à son pays. C’est même, à l’inverse, la rareté de pareille posture qui condamne notre non-Etat à cette espèce d’apathie dont la gravité, ces temps-ci, s’étale plus crûment que jamais.

Le problème n’est pas davantage qu’au jugement par trop lapidaire sur l’efficience de la Belgique fédérale (« Je ne connais pas une seule compétence régionalisée qui soit mieux organisée aujourd’hui qu’elle ne l’était au niveau national »), s’ajoute l’expression d’un « attachement sentimental » qui le fait « tenir très fort » à la Brabançonne ou au drapeau. Pourquoi pas aussi le moules-frites, Manneken-Pis et Toots Thielemans. Soit, les goûts et les couleurs…

Le problème n’est pas non plus, ou pas d’abord, qu’il se soit ainsi exprimé sous une vareuse, même dépenaillée, de co-informateur royal. Convenons que l’occurrence n’est pas la meilleure. Elle aurait dû brider sa liberté d’expression. Mais s’appesantir sur le moment fait trop commodément l’économie sur le contenu.

Car le problème, sous couvert de démangeaison émotionnelle qu’il lui faudra soigner, c’est que le jeune président vient accréditer le cliché persistant chez de nombreux concitoyens du Nord que les francophones ne comprennent décidément rien et ne comprendront décidément jamais rien à la Belgique, à ses équilibres et rapports de force, à ses aléas et évolutions, voire resteraient preneurs des temps jadis où les locuteurs du français tenaient avec arrogance le haut du pavé – arrogance que nous continuons à expier bien malgré nous.

Car le problème, surtout, c’est que le réformateur affiche soit volontairement, tant le hante la visibilité, un déni de l’histoire belgo-belge que l’on ne peut accepter ; soit inconsciemment une ignorance de ladite histoire qui laisse perplexe sinon pantois.

M. Bouchez, quoique diplômé juriste en finalité droit public, croit-il que ce fut par hasard, par distraction ou par masochisme que trois ou quatre générations politiques avant la sienne se sont ingéniées et esquintées à réformer l’Etat, à protéger les intérêts de ses minorités en pagaille, à tenter d’intégrer les besoins et soucis singuliers de chacune de ses entités ?

M. Bouchez méconnaît-il que l’émergence de la Belgique fédérale est le fruit de revendications variées et divergentes, exprimées non sans conflits ni tensions, que portèrent durant des dizaines d’années divers mouvements d’émancipation culturelle, d’affirmations identitaires, de réformes socio-économiques, fût-ce à intensité variable et cyclique ?

M. Bouchez oublie-t-il en particulier, et c’est cocasse, que le Mouvement qu’il préside eut pour devanciers le PRL, avant lui le PRLW, lequel puisa pour l’essentiel dans le vivier du Rassemblement wallon, pionnier du fédéralisme à une époque où le terme était encore tabou et où les unitaristes d’alors firent bien plus mal que mieux en tentant d’en ralentir et compliquer l’édification ?

M. Bouchez a-t-il l’idée du niveau d’incapacité totale auquel était arrivé le pouvoir encore national à gérer maints domaines avant leur communautarisation, tel l’enseignement, ou leur régionalisation, tels les secteurs économiques en péril ? A l’inverse, estime-t-il que des sujets comme, entre autres exemples, l’octroi des fonds européens, l’aboutissement d’infrastructures jugées indispensables, le développement des aéroports de Charleroi et Liège, l’installation d’activités à leurs alentours, la politique des subventions culturelles, le souci des défis sociaux et multiculturels propres à Bruxelles auraient été mieux traités ou seraient mieux pris en compte s’ils étaient restés dans le giron national ? A-t-il conscience que les causes du déclin wallon, pour reprendre le titre d’un ouvrage fondateur de l’économiste Michel Quévit en 1978, trouvent largement leur origine dans les rapports de force internes aux structures belges, démographiquement défavorables aux francophones, quand bien même les élites wallonnes ne s’en trouvent pas pour autant disculpées, loin s’en faut, de leurs propres atermoiements, errements et dysfonctionnements ?

Alors, tout remettre au national…

M. Bouchez imagine-t-il un instant que la Belgique unitaire de ses voeux ne serait pas toujours celle de la majorité qui la domine, laquelle ne manque pas de s’accommoder de l’Etat quand il sert ses propres intérêts ? Ignore-t-il que la Flandre est une nation, logée dans une Belgique qui n’en est pas une ? Conçoit-il l’affirmation régionale comme une chimère, et l’Europe des Régions comme une maladie ? Finalement, considère-t-il que la Belgique qu’il aime tant existerait encore si ses entités fédérées n’avaient pu croître en son sein ? Serait-ce plic-ploc, tant bien que mal, vaille que vaille…

Car on ne veut pas, ici, enjoliver la situation. L’impéritie de notre Belgique fédérale est régulièrement patente et confondante ; les plus-values du système, osons écrire : du modèle, sont souvent cachées, voire torpillées, par ses blocages, dérives et instincts centrifuges. La faute à un pays qui, s’il est complexe par nature, est plus encore compliqué par habitude ; la faute à des dilutions, éclatements et cloisonnements notamment électoraux que l’on n’a voulu ni prévenir, ni freiner ; la faute à des développements régionaux à plusieurs vitesses, où qu’en soient les responsabilités ; la faute à des réformes étatiques successives qui, en ordre croissant, se sont distanciées de desseins institutionnels légitimes pour rencontrer des opportunités politiques de circonstance – jusqu’à cette funeste sixième, dernière en date, qui n’eut d’autre objectif que de parvenir à constituer un gouvernement, ce qui suffit à expliquer son ratage et à faire comprendre le discrédit qu’elle jette sur tout ce qui précède. Il faut évaluer, modifier, améliorer, ô combien ; et il est bon que de plus en plus de voix s’en disent preneuses. Mais ce n’est pas en paraissant nostalgique de la Belgique du XIXème siècle – sur ce coup-ci au moins, la saillie de Bart De Wever est imparable – que celle du XXIème parviendra à sortir la tête hors de l’eau !

Toute une nouvelle génération politique est en train de prendre ses marques. On s’en réjouit : ce n’était pas évident, en plein désenchantement démocratique. Encore faut-il éviter que certains de ses éléments ne nous embarquent sans bagage dans notre périple commun.

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