Rosanne Mathot

C’est beau, la Révolution

Rosanne Mathot Journaliste

Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d’observation. Et un tiers de réalité.

D’un très joli trait en biseau, c’est Louis XVI lui-même qui dessina la lame qui allait lui trancher la gorge, quelques mois plus tard. Comme quoi, la vie, c’est comme la mort : jamais, elle ne tolère le sacrifice de l’ironie.

Le visage auréolé de grelots, de tulles et de perles, Koshik touille son thé, tout en gribouillant pensivement une guillotine noire, jaune et rouge sur la nappe. Dans son dos, les garçons de café tiennent méchamment concile : « Pourquoi qu’il porte tous ces trucs sur le visage, ce gros type ? S’il veut nous braquer, pourquoi qu’il enfile pas un collant sur la tête, comme tout le monde ? »

Koshik n’est pas un gangster. S’il est là, tout en masse imposante, en tissus et en voilages, c’est pour son rendez-vous « secret » avec une faction d’étudiants révolutionnaires de l’ULB. Le groupe commence d’ailleurs à montrer des signes d’impatience. D’aucuns astiquent un cor de chasse, d’autres époussètent un tambour. Mais la plupart tirent déjà grand la langue en se chauffant la voix. Un lutrin en cuivre palpite d’une lumière guerrière.

L’oeil braqué sur une partition inchangée depuis 1830, les jeunes gonflent les joues comme des trompettistes en braillant beaucoup de « A ». Des « A » qui semblent n’appartenir à aucune des trois langues nationales répertoriées dans le Royaume. De fait, cette « Brabançonne » version 2016 a été rédigée en Coréen et réduite à l’extrême par un Koshik appelé à la rescousse par un Roi Philippe qui tient à peine debout dans le tempétueux climat social. Plus que jamais, la question linguistique fait trembler le pays sur ses bases (1).

« Il nous faut une solution révolutionnaire ! », avait exigé le Roi. A l’unanimité, dans les salons feutrés de Tervuren, au cours d’une brillante partie de flipper, une Brabançonne basique, composée de six mots simples (Bonjour ! Merci ! Oui ! Non ! Assis ! Au-revoir !) fut élue panacée de l’année. La langue d’expression du nouvel hymne ? « Peu importe ! avait sangloté le Roi. Va, pour le Coréen ! De toute façon, rien ne peut être pire que ce que la Belgique connaît ! »

A l’instar d’un bombardier léger, un aigle en perruque poudrée survole la troupe fanfaronnante. Avec la régularité militaire d’un métronome, il effectue de larges mouvements amples et arrondis. Subitement, lui aussi ose quelques vocalises (2). D’effroi, Koshik en renverse sa tasse de thé et attrape le volatile par le cou. (Faut dire que c’est pas humain, le cri d’un Aigle d’or) En pirouettant, l’oiseau doré tombe raide mort sur le sol. Des étincelles floconnent sur la terrasse. C’est beau, la Révolution.

Mais, point d’insurrection sans boisson. C’est la base. Koshik goûte la tisane qu’on vient de lui servir. Ses papilles se crispent fort. L’eau a un goût de brûlé ! Comme si elle avait été saisie au barbecue. « Bouilloire folle, Monsieur ! Thermostat cramé ! La bouilloire est morte. Elle a beaucoup crié, vous savez. Ça a été une agonie terrible. On aurait bien eu besoin de votre guillotine, tiens ! »

« Godverdomme ! Si l’eau se met à brûler, la Belgique n’en a plus pour longtemps », réfléchit Koshik, en planquant son briquet. Même sa Brabançonne II n’y pourrait rien ! Il n’avait plus le choix : il actionna son zippo.

Alors, de flaque en nuage, le pays tout entier communia enfin d’une seule voix, dans un grand ronflement rauque et brûlant. Au début, tout le monde n’y vit que du feu. C’était déjà arrivé. En 1789. Le jour de la prise de la Bastille, dans son journal intime, Louis XVI nota : « Rien ».

Mais ce n’est pas tout ça ! L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur La Une, à 20h15 !

(1) Koshik n’est pas un personnage fictif ! C’est le seul éléphant au monde, capable de parler comme un humain. Il connaît six mots de coréen. C’est pour cacher sa nature éléphantesque qu’il est présenté ici, revêtu de voilages et de tulles.

(2) La Brabançonne aurait été jouée, pour la première fois, dans le café bruxellois L’Aigle d’or, en 1830.

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