François Gilmant

Ceci n’est pas un casseur

François Gilmant Professeur d'arts

Ce mardi, Deborah, Francesca, Renaud, Nicolas, François, François et moi étions à Bruxelles pour exprimer, montrer un sentiment, une opinion, un désir, bref pour MANIFESTER !

C’est étrange comme cette définition résonne en moi, professeur d’arts. Alors certes, je suis plutôt Piet Mondrian que Jackson Pollock, et qu’à la manifestation, il y avait des partisans de différents courants, des sensibilités diverses. Vu de l’intérieur, en tout cas, le cortège était pacifique : très peu de personnes inquiétantes, masquées, agressives, imbibées… Et pourtant, cette manifestation nous l’avons parcourue : pour chercher le char de notre centrale, pour attendre l’une de nos brebis égarées ou simplement pour se retrouver après un arrêt aux toilettes (en raison de l’eau et non de la bière que nous buvions) !

Bon ne soyons pas naïfs : de la bière il y en avait, des pétards aussi (il y en a toujours même si on s’en plaint et qu’on invite les manifestants à ne pas en prendre), puis des gens irrespectueux qui jettent leurs déchets par terre (dans tous les phénomènes de foule, la bêtise humaine est soudain exacerbée).

En fin de cortège, j’ai quitté mes collègues qui rentraient en train me laissant la possibilité d’observer cette étrange ambiance : des photographes cherchaient le cliché parfait, les journalistes interviewaient différents groupes, les stands de frites, hot dog et gaufres de Bruxelles ne désemplissaient pas. Un calme relatif ponctué par les derniers pétards. J’ai rejoint ensuite mon car et une fois celui-ci rempli, il fut temps de rentrer. Quittant son emplacement, le car est passé devant la place sur laquelle je me tenais quelques minutes auparavant. Les autos-pompes de la police aspergeaient des manifestants qui semblaient bien inoffensifs.

Dans le car, ce fut soudain le désolation car nous savions que de notre message il ne resterait plus rien.

Une fois rentré chez moi, réflexe fatal d’un homme de ma génération, je consulte le NET. Ce merveilleux outil, parfois si mal utilisé, où chacun peut se prendre pour un journaliste. Où les journalistes professionnels, afin de ne pas perdre de précieuses parts de marché, doivent relayer des cartes blanches sensationnalistes. Ces articles que n’importe quel quidam peut commenter (bien souvent en ne lisant que le titre) traitant d’un sujet quelconque ou d’un événement (auquel il n’a pas participé).

Sur une heure de temps, j’ai eu droit à tous les poncifs du genre : tous les manifestants sont des fainéants, des casseurs, des profiteurs. Ils ont bloqué le pays, ils doivent évoluer (le même commentateur taxait, plus haut, les manifestants de gauchos progressistes… logique). Et on nous ressort Raymonde, des photos de manifestants en terrasse buvant des bières après la manif (depuis quand faire fonctionner l’horeca local avec des produits régionaux dans une capitale à l’agonie économique est devenu un scandale?!). Chacun y va de son commentaire assassin, de son like patriotique (il faut sauver l’économie belge), de son partage de communiqué de presse d’un parlement qui rappelle qu’il est ouvert au dialogue (je décide, tu acceptes, mais tu restes à la table). J’enrage !

Alors toi, le pilier de Facebook qui se complaît dans la critique à distance, le frustré bloqué dans ta bagnole (alors qu’en ouvrant n’importe quel journal tu pouvais connaître le tracé du parcours), la chroniqueuse au rabais qui crée le buzz avec des propos racistes. Je te propose un truc : à la prochaine manif, je ferai comme toi : j’irai bosser.

Et quand mon boss me dira que je dois rester jusqu’à 67 ans au boulot, je serai content et je lui proposerai de bosser encore plus pour un salaire moindre. Quand les journalistes me parleront de l’évasion fiscale, je regretterai qu’on ne laisse pas tranquilles ces pauvres gens car ils donnent du travail à tellement de personnes dans le pays. Quand je mangerai des pesticides et respirerai l’air pollué par le tout à la voiture, je me dirai qu’il faut bien mourir de quelque chose et qu’il n’y a quand même que les illuminés de bobos pour croire qu’acheter du bio et rouler en vélo va changer la situation. Quand nous aurons signé le traité transatlantique, je sabrerai le champagne car enfin l’american dream sera possible en Europe.

Et quand je regarderai derrière moi, au crépuscule de ma vie (à cette allure-là, 50-60 ans), je serai fier de moi : j’aurai écrasé les autres pour survivre, j’aurai tué le milieu naturel des générations futures (mon gazon et ma bagnole, ça n’a pas de prix), je serai en burn-out (le travail c’est la santé), mon corps sera malade (mais je paierai mes soins, je ne suis pas un assisté), ma vie sentimentale se résumera à la seule consommation sexuelle, je serai content d’avoir des nouvelles de mes enfants via leurs tweets et de temps en temps un rendez-vous chez le directeur de leur école.

Certains diront « mais il existe des alternatives à la grève ». Alors, oui ! On a celle de ceux qui ont déjà perdu, qui ne font rien parce qu’ils s’en foutent ou parce qu’ils pensent que c’est perdu d’avance. Puis il y a celle des utopistes (encore plus que moi) qui pensent que d’autres actions sont possibles. Ceux-là imaginent, je suppose, que si les Français avaient coupé des têtes en carton et que les ouvriers du 19e avaient coulé du chocolat pour protester, nos vies aujourd’hui seraient semblables. Reste le meilleur moyen qu’offre notre société : les élections. Encore faudrait-il pouvoir voter pour un parti qui réalisera ses promesses en faisant fi des lobbys ultras puissants tout en ne communiquant pas des mensonges destinés aux moutons.

Je n’ai pas l’habitude de baisser les bras : je sais que pour obtenir quelque chose il faut agir.

Je préfère donc être un casseur, gaucho, fainéant, assisté, etc.

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