Yves Leterme et Bart De Wever en 2007 © BELGA

Bart De Wever commet-il la même erreur qu’Yves Leterme ?

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

« Mon meilleur mauvais sondage que j’ai jamais eu ! Réveille-toi, N-VA!  » Avec ces mots, Bart De Wever tentait de tirer un enseignement optimiste du sondage très décevant du début de ce mois. Et en effet: depuis lors, le parti a corrigé son cap.

Le résultat du sondage de VTM, Het Laatste Nieuws, RTL et Le Soir fait peur au plus grand parti du pays. La N-VA est créditée de 26,5%, loin en dessous des 32,5% des élections de 2014. C’est ce qu’on appelle une chute libre. Une perte de 6% signifie que le parti a perdu 18,5% de son électorat. C’est près d’un électeur sur cinq.

« J’ai une bonne intuition de ce que pense la Flandre, mais je ne m’attendais pas à cela », admet le président de la N-VA Bart De Wever.

En politique belge, la règle veut que le succès aille au politicien et au parti qui font le plus souvent la une. C’était également le point de départ de la stratégie de la N-VA: le parti a lâché un tapis de bombes de communication politique sur le pays. Le peuple flamand est submergé de propos durs de Bart De Wever et de tweets véhéments de Theo Francken qui ont contraint les autres partis à la défensive. C’est ainsi que le débat politique continue à tourner autour des thèmes chers à la N-VA. Depuis un an ou deux, c’est l’Islam, la migration, les réfugiés, c’est-à-dire en un mot: les étrangers.

Que Francken, qui est Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration le fasse, encore soit. Les sujets font partie de son travail. Au fond, cela vaut aussi pour les autres membres N-VA du gouvernement, comme Jan Jambon à l’Intérieur, Liesbeth Homans à l’Intégration et Zuhal Demir à l’Égalité des chances. Mais il est moins évident que le président du parti, Bart De Wever, se soit aussi jeté sur le thème identitaire. En tant que bourgmestre d’Anvers, il peut miser sur d’autres problèmes sociaux, tout ne doit pas tourner autour des étrangers. D’autant plus qu’au cours de la législature précédente, il n’y a pas eu de gros troubles dans sa ville, du moins pas comparé aux guéguerres du temps de la bourgmestre Leona Detiège (sp.a) contre la Ligue arabe européenne de Dyab Abou Jahjah. Après les attaques à Zaventem et à Maelbeek, il n’y a pas eu à Anvers d’affrontements armés avec des djihadistes terroristes, comme à Verviers ou Molenbeek. Il s’agissait donc d’un geste délibéré et volontaire de la part de Bart De Wever d’attirer continuellement l’attention sur les musulmans, les demandeurs d’asile et les cortèges de mariage turcs.

Tous les cadres de la N-VA ont dû se plier à la règle. Le ministre flamand du Bien-être animal Ben Weyts ne s’est pas contenté d’une interdiction d’abattage sans étourdissement, il a également salué l’abattage des arbres le long des routes destiné à attraper les transmigrants. Même le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, a dû exiger que la Banque nationale calcule d’urgence le coût économique de la migration. À l’approche des élections municipales d’octobre, les mandats locaux ont également pu revendiquer leur part d’attention des médias. À Malines, l’échevin de la N-VA, Marc Hendrickx, a fait une affaire d’état d’une fiancée musulmane qui ne voulait pas lui serrer la main. Le président du CPAS d’Anvers, Fons Duchateau, ne laisse passer aucune opportunité: « Je pense que nous donnons souvent de nombreuses opportunités d’études aux réfugiés », a-t-il déclaré. Et aussi: « En tant qu’échevin, je me sens concerné, mais pas responsable de la grande pauvreté parmi les enfants. C’est dû à l’afflux de personnes venues récemment vivre à Anvers. »

Theo Francken

L’accueil de nouveaux membres tels que l’activiste féministe belgo-iranienne Darya Safai cadre également dans cette stratégie. Se origines iraniennes incitent Safai à lutter contre le foulard, et elle le fait avec beaucoup d’énergie et peu de nuances. Son message est entendu. Peu de temps après l’arrivée de Safai, De Wever a posté un tweet remarquable – particulièrement pour un bourgmestre d’une grande ville qui compte une importante population musulmane: « Je rejoins la doctrine du pastafarisme et j’envoie mes enfants à l’école avec une passoire sur la tête. Égalité de traitement pour toute conviction. #soumission. » En impliquant ses enfants, De Wever semble suggérer que l’affaire le concerne non seulement politiquement, mais aussi personnellement.

Le nouveau gratuit

C’était juste la énième illustration que la N-VA n’est plus le même parti que celui qui a remporté une victoire électorale historique en 2010. Les positions se radicalisent, le ton devient plus impétueux. Même Theo Francken, qui connaît pourtant bien ses dossiers, s’est fourvoyé en observant « un grand nombre » de Bengalis sur le navire Aquarius. Il s’est avéré qu’ils étaient trois. Cela correspond à ce qu’il ose faire depuis longtemps. En avril, Francken a annoncé sa proposition ultime: « Plus du tout de demandeurs d’asile en Belgique ». Cela semblait plus dur que ce qu’il voulait vraiment dire, mais les grands mots étaient lâchés. Aucun. Zéro. Même le Vlaams Belang ne peut dire moins.

Cela rappelle ce qui est arrivé au sp.a et son discours de politique gratuite il y a quinze ans. Zéro euro: personne ne pouvait faire mieux. Stevaert a commencé par les transports publics gratuits suivis de soins dentaires gratuits pour les enfants. Le « gratuit » a eu du succès, et soudain tous les socialistes flamands ont lancé leurs idées, toutes « gratuites ». Le journal De Morgen a fait la liste : ampoules économiques gratuites, billets de concert gratuits, patchs de nicotine gratuits, tickets de boisson gratuits au théâtre, Internet gratuit, bus de nuit gratuits, barbecues de quartier gratuits, déplacements domicile-travail gratuits, pilule gratuite et même frites gratuites. Les « gratuits » du sp.a sont devenus les étrangers de la N-VA : un discours entamé par la direction du parti et repris avec enthousiasme par la base. En 2003, le sp.a ne semblait plus le parti de protecteur social, mais des bienfaiteurs déchaînés. Aujourd’hui, la N-VA n’est plus le parti des Flamands fiers et sûrs d’eux, mais de gardes envieux et méfiants de leur bien. Leur slogan c’est « hors de mon jardin ». La N-VA est pieds et poings liés au débat des étrangers.

La question Leterme

Seulement, il y a déjà un parti flamand anti-étranger et anti-réfugié: le Vlaams Belang. C’est certain, depuis la création de son parti Bart De Wever a toujours légitimé l’existence de la N-VA comme la négation de ce VB : son parti fournirait la preuve que le nationalisme est un courant moderne, démocratique et politique, sans côté raciste. Mais quand un membre du gouvernement fédéral déclare que les demandeurs d’asile ne sont plus les bienvenus dans ce pays (même si c’était une exagération rhétorique), quand des dizaines de milliers de musulmanes croyantes sont mises sur le même plan qu’une poignée de joyeux pastafaristes, la différence entre la N-VA et le VB devient microscopique. La N-VA a-t-elle commis l’erreur fatale à plus d’un parti : suivre l’élan au point de s’oublier ?

C’est arrivé à Yves Leterme il y a quelques années. En 2004 et 2007, le CD&V a brillamment remporté les élections (en cartel avec une N-VA encore petite). Leterme avait fait du programme communautaire son fer de lance. En trois ans, le discours autrefois si large du CD&V s’est réduit à une poignée d’exigences communautaires, la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde en tête. Le CD&V n’était plus que flamand, et plus chrétien ou démocratique. Il semblait que tout ce qu’il avait à dire sur le secteur de soins, de familles, d’enseignement, ou de compromis politiques pour faire progresser ce pays complexe n’avait plus d’importance. Le nouveau cap était celui d’un parti radical qui opte sans compromis pour les intérêts flamands. Mais ce dernier existait déjà : la N-VA n’a pas laissé passer ce cadeau, et depuis 2010 elle est de loin le plus grand parti – sept ans après que seul Geert Bourgeois atteigne le seuil électoral en Flandre-Occidentale.

Chacun de la partie

La N-VA a-t-elle commis la même erreur avec le VB ? Un sondage ne suffit pas à tirer une conclusion générale, mais tout de même. Ipsos, le bureau qui a réalisé le « Grand sondage » a également étudié les « flux migratoires sous-jacents » entre les partis. Celui-ci révèle que la N-VA attire toujours de nouveaux électeurs, surtout de (la droite) du CD&V et de l’Open VLD. Cependant, l’exode est beaucoup plus important : 28% des électeurs qui votaient encore N-VA en 2014, voteraient pour un autre parti, avec notamment 2% pour le CD&V, 3% pour Groen, 4% pour sp.a ou Open VLD, et pas moins de 10% pour le VB.

La N-VA connaît aussi ses chiffres, et on dirait qu’elle agit en conséquence. Le thème des étrangers est moins présent dans la communication du parti. La semaine dernière, le ministre-président flamand Geert Bourgeois a évoqué la nécessité d’ambition de l’enseignement flamand. Samedi, le Vice-Premier ministre Jan Jambon déclarait dans La Libre Belgique qu’après les élections, la N-VA ne livrerait pas le Premier ministre, car c’est trop difficile à avaler en Belgique francophone. Dimanche, Bart De Wever faisait du bruit en exprimant ses positions sur le F-16 et sur Arco.

Theo Francken reste évidemment en charge de l’asile et de la migration. Il se tient à sa ligne, mais semble tempérer son ton. La semaine dernière, il s’est distancié de la politique du président américain Donald Trump à la frontière mexicaine. Après que Donald Tusk, président du Conseil européen, mette l’UE sur la voie de camps d’accueil pour réfugiés en Afrique du Nord, la N-VA, autrefois si eurosceptique, est soudain devenue européenne pur-sang. Francken s’est saisi des propositions de Tusk pour revendiquer un leadership nouveau et même « visionnaire » pour son parti : « Ce que dit l’Europe aujourd’hui, c’est ce que nous avons toujours plaidé. »

La question, c’est à quel point la N-VA a corrigé son cap. L’électeur soutiendra-t-il un parti qui embrasse le nouveau cap européen, mais qui ces dernières années n’a pas raconté grand-chose de positif sur l’Union européenne, et était généralement opposé au cap de la chancelière allemande Angela Merkel ? Comment les ténors de la N-VA peuvent-ils cogouverner une nouvelle UE en se réjouissant de la victoire électorale d’un leader de la Lega Matteo Salvini en Italie ? Le nouveau ministre de l’Intérieur Salvini veut faire baisser la criminalité en limitant la présence de Roms étrangers. C’est pourquoi il exige « un recensement » et ajoute : « Malheureusement, nous devons garder les Roms italiens, car nous ne pouvons pas les expulser. »

En Autriche, le nouveau Premier ministre Sebastian Kurz a engagé la lutte contre « l’islam politique ». Son gouvernement expulse les imams et ferme les mosquées. Dirigeant de l’ÖVP, Kurz est chrétien-démocrate, mais quelqu’un de moins informé voit en lui le cousin autrichien du président du Vlaams Belang Tom Van Grieken – leur style et leur comportement sont similaires. Quel politicien flamand sera l’allié le plus crédible de Salvini et Kurz : Tom Van Grieken ou Theo Francken?

Et puis il y a l’intrigant exemple bavarois. Avec leur discours anti-réfugié, les chrétiens-démocrates locaux (CSU) s’insurgent contre la chancelière plus modérée Merkel, dans l’espoir de garder l’AfD, d’extrême droite, petite. D’après les derniers sondages, le CSU perd plus que 7% par rapport à 2013. Il y a même plus d’électeurs bavarois que les purs et durs du CSU Markus Söder et Horst Seehofer.

La N-VA a encore jusqu’aux élections fédérales pour déterminer son cap avec précision. En politique belge, c’est une éternité, donc cela devrait suffire. Mais qu’en est-il de Monsieur tout le monde? L’homme de la rue pensera-t-il et parlera-t-il différemment ? Comment votera-t-il ? Twitter et Facebook diffusent ce qui est dit au café, à table ou au travail : la méfiance à l’égard de musulmans et d’étrangers n’a pas diminué, la compassion n’a pas grandi. Apprécie-t-il le nouveau leadership de la N-VA ?

La semaine dernière, la chaîne locale limbourgeoise TV Limburg parlait d’une traque d’illégaux ayant fui d’un parking vers un quartier résidentiel . La première réaction en ligne ne s’est pas fait attendre : « Quand lâche-t-on les chiens? »

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