Carte blanche

Asile : « Un état qui néglige tous les contrôles, c’est l’apanage d’un failed state, non ? »

Dans notre pays, la loi n’est pas la même pour tous les demandeurs d’asile. Pire même, la loi est systématiquement foulée aux pieds, déclarent Charlotte Vandycke de Vluchtelingenwerk Vlaanderen et Hilde Geraets de l’ASBL ORBIT. « La politique en vigueur est illégale et entraîne des conséquences désastreuses et inhumaines. »

Nous accueillons tous ceux qui demandent l’asile, car nous sommes un pays civilisé. Nous ne laissons pas les gens survivre dans la rue. L’accueil est primordial pour que les gens puissent attendre en toute dignité de bénéficier ou non d’une protection internationale et de préparer leur avenir, ici ou ailleurs. Et c’est justement l’Agence fédérale pour l’Accueil des Demandeurs d’asile, Fedasil, qui ne partage pas cet avis. Depuis quelques années, elle met systématiquement une partie des demandeurs d’asile, ceux qui soumettent une deuxième ou un nombre plus élevé de demandes d’asile, à la rue.

Notre Loi d’accueil fédérale est pourtant très claire à propos de ce droit d’accueil, y compris pour ceux qui demandent l’asile une seconde fois, car parfois la situation change dans un pays. Parfois certaines preuves cruciales sont révélées tardivement. Du coup, il est aussi important de pouvoir demander asile une deuxième fois sur base d’éléments nouveaux, et dans le nombreux cas, c’est ce qui fait la différence entre la vie et la mort. Les chiffres montrent que dans 4 cas sur 10, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) estime ces nouveaux éléments suffisamment convaincants pour passer à une analyse plus approfondie.

Au fond, on ignore pourquoi l’état belge refuse systématiquement l’accueil aux « demandeurs multiples ». En cas de demande d’asile multiple, Fedasil a le droit de refuser l’accueil si la nouvelle demande d’asile sert uniquement à « faire traîner le choses ». Ces refus doivent être motivés individuellement. On ne met pas une femme sur le point d’accoucher ou un bébé de quatre semaines à la rue.

La pratique belge

C’est sans compter la pratique belge, qui refuse l’accueil à tous ceux qui font une demande multiple sans motivation individuelle. Cela ressemble fort à du harcèlement. Ces dernières années, beaucoup de familles ont été mises à la rue par Fedasil avant d’être finalement reconnues comme réfugiées. Déjà en octobre 2014, Hilde Geraerts de l’ASBL ORBIT est tombée sur un père, une mère et trois enfants de moins de 12 ans, ayant passé cinq nuits à errer désespérément à Bruxelles. Lors de la soumission de leur deuxième demande d’asile, ils ont été mis à la rue sans ménagement. Ils ne savaient pas quoi faire, ils n’avaient pas d’adresse et aucune idée du suivi de leur procédure. Des particuliers leur ont procuré un logement, et ils ont obtenu un logement par la voie légale. Fin juin 2015, la famille a été reconnue comme réfugiée, mais cette période traumatisante passée en Belgique a laissé des traces.

Ce qui frappe c’est la durée de cette pratique. Parlons d’une crise d’accueil cachée. Cette invisibilité est due justement à la position vulnérable de ces personnes. Quand on est sans-abri et sans accompagnement, il est difficile de trouver quelqu’un qui vous aide à arracher vos droits. Une conséquence désastreuse supplémentaire c’est que le séjour en rue complique encore davantage l’échange de correspondance importante et le suivi de la procédure d’asile.

Une mesure absurde

On sait que l’état complique très fort la vie de ces gens. Dans les couloirs, on entend parfois que cette pratique doit empêcher les demandeurs d’asile de se sentir « trop confortable » dans l’accueil ou de lancer une nouvelle procédure d’asile injustifiée. C’est une mesure absurde, quand on sait que tous les gens qui démarrent à juste titre une nouvelle procédure d’asile et qui ont besoin de protection (comme la famille ci-dessus) sont punis de la même façon et avec des conséquences très poussées. Une telle politique est illégale et a des conséquences désastreuses et inhumaines. C’est bien la dernière chose que nous pouvons attendre de l’état fédéral. Pour les avocats et les travailleurs sociaux sur le terrain, c’est également une pratique incompréhensible. Après avoir mûrement réfléchi, on conseille aux gens d’introduire une deuxième demande d’asile, mais on sait que cela va les faire atterrir à la rue.

Asile : Un état qui néglige tous les contrôles, c’est l’apanage d’un failed state, non ?

« Celui qui n’est pas d’accord avec l’exclusion de l’accueil, n’a qu’à aller devant le juge », dit-on. Une formule banale de la part de différents services d’état et une évolution extrêmement fâcheuse, estiment Vluchtelingenwerk Vlaanderen et l’ASBL ORBIT. Il n’est pas possible que l’état outrepasse systématiquement la loi, ni que ceux qui résident dans notre pays doivent passer par un juge pour qu’on leur accorde leurs droits de base. Tant la Cour constitutionnelle que les tribunaux du travail que le médiateur fédéral et le Commissaire flamand aux droits de l’enfant se sont exprimés en ce sens.

Un état qui néglige tous les contrôles, c’est l’apanage d’un failed state, non ? Ou cette négligence est-elle tolérée parce qu’il s’agit de personnes qui sont en fuite ? Vluchtelingenwerk et ORBIT demandent avec insistance aux responsables au sein du gouvernement de cesser immédiatement cette approche illégale. Parce que nous sommes un pays qui traite tout le monde avec respect, et qui n’inflige pas de traumatismes supplémentaires aux réfugiés. En plus, il ne peut être trop demandé de respecter nos lois et de réserver le même traitement à tout le monde.

Hilde Geraets, Collaboratrice migration et asile ASBL ORBIT

Charlotte Vandycke, directrice Vluchtelingenwerk Vlaanderen

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