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Après le 22 mars, la dérive populiste n’a pas eu lieu

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le débat ne s’est pas (trop) envenimé après le 22 mars. La Belgique n’est ni l’Amérique de Trump, ni la France de Marine. Mais n’est-ce pas le calme avant la tempête ?

La digue démocratique n’a pas rompu. Pas encore, du moins. Dans l’année qui a suivi les attentats de Bruxelles et de Zaventem, on aurait pu craindre en Belgique une surenchère politique surfant sur l’essor d’un ressentiment anti-islam. Ou assister à l’émergence d’un discours radical décomplexé, incarné par des élus ou des leaders d’opinion. Rien de tout cela n’est arrivé. Globalement, le ton des débats est resté digne. Si tout le monde convient que, depuis le 22 mars 2016, rien ne sera plus comme avant, que la société belge a perdu une part de son innocence, elle n’est pas traversée par les convulsions constatées dans d’autres pays comme la France, les Pays -Bas, l’Allemagne ou les Etats-Unis.

Pas de Marine Le Pen, de Geert Wilders, de Frauke Petry ou de Donald Trump pour souffler sur les braises. Il y avait pourtant un risque : accusations sur les responsabilités du passé, dysfonctionnements dans l’enquête sur les auteurs des attentats, paysage politique transformé en champ de bataille permanent entre majorités fédérale et régionales… Il est vrai que politiquement, chez nous, le virage a eu lieu avant. A l’automne 2014, l’arrivée au pouvoir fédéral de la N-VA, indépendantiste et ultraconservatrice sur le plan de l’immigration, a emmené notre pays en territoire inconnu. Les attentats de Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, ont immédiatement incité la nouvelle majorité, dirigée par le MR Charles Michel, à multiplier les mesures antiterroristes. En d’autres termes, on avait anticipé Zaventem et Maelbeek.

La faiblesse extrémiste

Une polarisation du débat a bien eu lieu après le 22 mars, à la suite des propos controversés tenus à la mi-avril par le vice-Premier ministre nationaliste Jan Jambon : il avait suscité une vive polémique en déclarant qu’  » une part significative des musulmans  » de Belgique a dansé après les attentats. Mais l’homme a été tout de suite recadré. Sur la forme, pas sur le fond : la question de la radicalisation – réelle…- d’une partie de la jeunesse figure désormais à l’agenda politique. Et aujourd’hui, il ne se trouve guère de monde pour s’offusquer lorsque le même Jan Jambon affirme que  » le pays est plus sûr qu’il y a un an « .

Si elle a évité le chaos, la Belgique n’est cependant pas sortie de ce drame unie et rassemblée

Notre pays est entré dans une nouvelle ère, dans laquelle nos représentants avancent à pas de loup. On aborde de front les  » vrais problèmes « , en veillant à respecter un équilibre entre sécurité et libertés. On surmonte les tabous. Il est loin le temps où une déclaration de Daniel Ducarme, alors président du MR, suscitait un rejet unanime en affirmant que  » l’intégration est un échec  » – c’était au début des années 2000. Aujourd’hui, le vice-Premier Didier Reynders répète le constat sans heurter, tandis que le fils de Daniel Ducarme, Denis, a repris le flambeau d’un positionnement ferme, mais audible, sur l’immigration.

Si notre pays n’a pas sombré dans un climat délétère en dépit de la peur sourde qui l’habite désormais, sans doute le doit-il à la faiblesse des vrais extrémistes. En Wallonie, les petits partis à la droite du MR s’entredéchirent et peinent à trouver de l’audience – également grâce à un cordon sanitaire médiatique qui reste bien vivace. Au nord, le Vlaams Belang reprend du poil de la bête et tente de surfer sur la vague populiste qui submerge l’Europe, mais il est fragilisé par les différences de ton internes entre un Tom Van Grieken, jeune président qui veut oeuvrer à une dédiabolisation du parti, et un Filip Dewinter, figure historique anversoise, adepte d’une ligne plus musclée. Il n’y a pas de chef charismatique et menaçant…

Dans ce contexte, une personnalité a tiré son épingle du jeu en 2016-2017 et engendré quelques vagues : Theo Francken (N-VA). Le secrétaire d’Etat fédéral à l’Asile et la Migration poursuit, en réalité, la politique  » humaine, mais ferme  » lancée par ses prédécesseurs Melchior Wathelet (CDH) et Maggie De Block (Open VLD). Ses expressions médiatiques et ses tweets tour à tour rageurs ou fanfarons (son  » yesss  » en réponse à l’arrêt de la Cour de justice européenne dans l’affaire du visa pour une famille syrienne) l’ont propulsé au top des hit-parades de popularité et transformé en un candidat sérieux pour la succession de Bart De Wever à la tête de la N-VA. C’est lui que Laurette Onkelinx, cheffe de groupe PS à la Chambre, vise en dénonçant ces ministres incitant à la polarisation.  » Nous ne sommes pas sortis du traumatisme du 22 mars « , insiste-t-elle.

Peut-être. Mais les politiques n’ont pas sombré dans la récupération et le cynisme.

Le contrat social brisé

Si elle a évité le chaos, la Belgique n’est cependant pas sortie de ce drame unie et politiquement rassemblée. Le Premier ministre, Charles Michel, n’a pas tendu la main à l’opposition au lendemain du drame. Aucun plan fédéral n’a été élaboré pour une stratégie commune en matière de prévention contre le radicalisme. Des mesures, comme l’allongement à 72 heures du délai de garde à vue pour les infractions terroristes, restent bloquées à la Chambre, un an après, faute de la nécessaire majorité des deux tiers pour modifier la Constitution. Quant à la commission d’enquête parlementaire chargée d’émettre des résolutions pour améliorer notre architecture de sécurité et lutter contre le radicalisme, elle prolonge ses travaux au-delà de l’anniversaire du 22 mars. Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre, a déjà exprimé au Vif/L’Express son souhait d’obtenir l’unanimité. Mais en ajoutant que, faute d’accord, son parti prendrait ses responsabilités et ferait cavalier seul. La grande union nationale reste improbable.

Le malaise démocratique est néanmoins palpable en Belgique. Le sentiment antipolitique croît dans la population et a pris d’autres expressions ces derniers mois, sur fond de crise sociale. La succession d’affaires – du Kazakhgate à Publifin – et les révélations en cascade de rémunérations démesurées ou de conflits d’intérêts gangrènent le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus. Au MR, on n’est certes pas fâché de voir la tension médiatique se déplacer, ces derniers mois, vers la majorité PS-CDH en Wallonie. Mais cette lame de fond nourrit un autre populisme au sud du pays : le PTB pourrait être le grand vainqueur des prochains scrutins de 2018 et 2019. Avec, dans une moindre mesure, Ecolo.

La Belgique a-t-elle tourné la page du 22 mars en douceur ? Peut-être. Mais la transformation en profondeur du contrat social est latente. Les élections communales et provinciales de 2018, qui serviront de préambule aux fédérales et régionales de 2019, risquent d’alourdir l’atmosphère politique, a fortiori si d’autres incidents ou attentats ont lieu d’ici là. A Anvers, notamment, la grande confrontation entre Bart De Wever, Kris Peeters et Filip Dewinter va envenimer le débat sécuritaire au nord du pays. Dans les villes wallonnes, les municipalistes risquent de payer l’addition Publifin et consorts. Conséquence ? Au fil des scrutins à venir, le gouffre entre la Flandre et la Wallonie pourrait devenir insurmontable, créant un nouveau blocage politique d’envergure en 2019. Si le PTB et Ecolo décollent au sud, et si la N-VA et le Belang sortent vainqueurs au nord, bonjour la gueule de bois !

Ce n’est encore que de la politique fiction. Mais, groggy après le 22 mars, nous vivons peut-être une période étrange, caractérisée par une forme de calme avant la tempête.

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