Fons Duchateau et Bart De Wever en juillet 2014. © BELGA

Anvers: comment la N-VA met la société civile sous pression

Le Vif

Depuis l’arrivée de la N-VA au pouvoir, les autorités anversoises exercent un contrôle accru sur ses partenaires de la société civile. Toute communication externe doit être approuvée par la ville et les questions fâcheuses sont évitées. Le Vif/L’Express a pu le constater dans le cadre de son enquête pour le dossier sur Anvers paru ce jeudi.

Le centre d’accueil pour sans-abri De Vaart fait partie de la dizaine de projets qui a fait l’objet d’un appel d’offres ouvert aux sociétés à but lucratif. Pendant 18 ans, l’organisation CAW a géré ce centre, mais, fin septembre 2016, G4S a remporté l’appel lancé par le CPAS.

La société civile et l’opposition ont fortement protesté. À la suite d’une série de rebondissements, G4S s’est finalement retiré de l’offre, deux semaines avant le début théorique de sa mission. L’exploitation du centre d’accueil pour sans-abri De Vaart est restée dans le giron du CAW.

Changement de fonctionnement

Après une phase transitoire où il a fallu trouver dare-dare des employés, De Vaart rouvre ses portes en automne 2017. Mais beaucoup de choses ont changé.

L’équipe du CAW ne s’occupe par exemple plus de l’accompagnement administratif des sans-abri. Les personnes à la recherche de ce type de service sont renvoyées vers d’autres organismes. Par ailleurs, différentes organisations se rendent régulièrement sur place pour proposer leurs services, comme Médecins du Monde ou des associations qui incitent les migrants au retour volontaire.

Pour le même budget, les heures d’ouverture sont trois fois plus longues, le personnel recruté ne doit plus avoir une formation de travailleur social. « Ils ne travaillent plus avec le public, ils font du babysitting« , regrette Alexis Andries, coordinateur des projets de Médecins du Monde à Anvers.

L’échevin aux Affaires sociales, Fons Duchateau (N-VA), défend sa stratégie sur la chaîne locale ATV : « Nous sommes la première ville à utiliser ce type de système. Il y a eu des chutes pour mieux se relever. Je continue à soutenir cette manière de travailler.« 

Communication contrôlée

Avant, le personnel du CAW de De Vaart pouvait s’exprimer à la presse en toute liberté. Maintenant, un contrat entre le CPAS et l’organisme partenaire stipule que toute communication externe doit se faire avec l’approbation du CPAS. « Ils sont très stricts. Je ne voudrais pas être à la place de Geert Rombouts, l’actuel coordinateur du Vaart« , témoigne Luc Muraille, ex-coordinateur du centre.

Le Vif/L’Express a tenté de prendre contact avec Geert Rombouts le 26 juillet par e-mail. Après un rappel, la réponse tombe une semaine plus tard : « Je crains ne pas être disponible pour une interview. » Lors d’une visite sur place, il est demandé à la rédaction de suivre la procédure formelle : envoyer les questions par e-mail et De Vaart les transfèrera au CPAS.

Après plus d’un mois d’attente, le CPAS ne renvoie aucune réponse à la demande d’interview comprenant la liste de questions. Selon une source proche du dossier, le CPAS a expliqué au personnel du Vaart qu’il allait contacter la rédaction, une manière de court-circuiter la communication : aucune nouvelle pendant un mois.

« Il y a eu des problèmes là-bas, je ne suis pas demandeur d’une interview »

Le 1er septembre, Le Vif/Express s’est rendu à un événement dans la cathédrale d’Anvers auquel assistait l’échevin aux Affaires sociales Fons Duchateau (N-VA). Ce dernier a refusé de répondre aux questions posées en expliquant que toute communication se faisait via son porte-parole qui était absent ce soir-là. Notre rédaction avait déjà tenté à plusieurs reprises de joindre par téléphone Michael Lescroart, le porte-parole de Fons Duchateau. En vain.

Il a fallu se rendre à un vernissage sans prévenir le 4 septembre pour obtenir une réaction de Michael Lescroart : « Ce sont les élections, je n’ai pas eu le temps de traiter la question. Je ne suis pas la personne pour cette demande. Il y a eu des problèmes là-bas, je ne suis pas demandeur d’une interview. »

Une rencontre avec une ancienne employée du Vaart soulève pourtant des questions sur le centre : « L’hiver dernier, nous étions à des moments trois pour 130 clients épuisés, on n’osait pas prendre de pause de midi pour ne pas laisser les collègues seuls dans la salle« , témoigne-t-elle sous couvert d’anonymat. Avant d’ajouter qu’il y avait fréquemment 120 personnes en même temps alors que la capacité est de maximum 99 selon les normes de sécurité.

Selon cette même source, le coordinateur a informé à un moment que les employés que le CPAS envisageait de limiter le nombre de personnes et d’interdire l’accès aux personnes en séjour illégal : « On en discuté entre collègues et pour toute l’équipe, c’était hors de question. Heureusement, ça n’a pas été mis en place. » Michael Lescroart n’a pas démenti tout en précisant qu’il allait se renseigner.

Autocensure

Le contrat entre le CAW et le CPAS pour De Vaart prend fin en juillet 2019. Six mois avant, une évaluation aura lieu pour décider si l’exploitation du centre doit être remise sur le marché.

D’ici là, certaines personnes au sein de l’organisation redoutent les critiques dans les médias, de peur que la ville ne renouvelle pas le contrat. « L’action de la société civile est découragée, les organisations font de l’autocensure« , constate Dirk Avonts, conseiller Groen au CPAS d’Anvers. Michaël Lescroart réfute : « S’ils ont peur, c’est sur quelle base ? C’est eux qui ont déposé le projet, ils étaient d’accord avec les critères.« 

En somme, la N-VA utilise des contrats pour contrôler la communication des organisations de la société civile financées par la ville. Elle refuse également de donner suite à une demande d’interview alors que les conditions de travail d’une institution partenaire posent question.

Par Aubry Touriel.

Enquête réalisée avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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