Alain Destexhe © BELGA

Alain Destexhe : « Je ne suis pas ce méchant type qui dérape »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Alain Destexhe se plaint d’être ostracisé depuis qu’il dénonce l’islamisme.

Alain Destexhe, sénateur et député bruxellois, est un libéral décomplexé, qui accumule les polémiques en raison de ses positions tranchées en matière d’immigration. L’ancien secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF) veut combattre l’image « abominable » que l’on dresse de lui dans les médias. Sans renier ses positions tranchées. Il se confie au Vif/L’Express.

Le Vif/L’Express: Votre éviction des listes MR pour les élections communales à Ixelles a été évoquée dans la presse, sans confirmation officielle. Vous êtes exclu ou pas ?

Alain Destexhe: Pas à ma connaissance. Et je n’ai pas dit mon dernier mot. Mais je trouve cette polémique indécente dans les circonstances actuelles où se posent de vrais problèmes : les suites des attentats, les grèves, le Brexit… On parlera de ça début 2018, pas maintenant.

Cela montre toutefois que vous dérangez…

Sans doute. Mais je pense qu’une partie des Ixellois veulent que je sois candidat puisqu’en 2012, j’ai fait le troisième score du MR, et aux régionales de 2014, le meilleur score de tous les Ixellois. Donc, j’estime avoir ma place.

Mais on rappelle sans cesse vos dérapages anti-islam.

Je ne me reconnais pas du tout dans l’image faite de moi dans les médias ! J’habite Matonge, un quartier très cosmopolite, mes proches sont toujours très étonnés de voir la façon dont on me décrit, j’ai beaucoup d’activités internationales… Et j’ai écrit plus d’une dizaine de livres sur la politique belge. Mais ce qu’on retient, ce sont une ou deux petites phrases. On attaque ma personne pour ne pas débattre du fond des idées.

Parce que vous mettez le doigt sur des sujets qui font mal ?

Oui, notamment l’immigration et l’islamisme. En 2009, j’ai dû faire un choix : soit je continuais sur des sujets assez consensuels, soit je m’attaquais à ces problèmes de fond de la société belge – et les attentats ont prouvé en 2016 que j’avais raison. Je l’ai fait au risque d’une certaine impopularité auprès des médias et d’une partie des élites.

C’était donc un choix conscient ?

Oui, parce que je suis un homme de conviction. D’ailleurs, dans le livre Lettre aux progressistes qui flirtent avec l’islam réac, écrit avec Claude Demelenne, il y a un chapitre qui s’intitule Les flammes du bûcher où l’on explique ce qui va nous arriver : de l’ostracisme ! On nous a mis dans un coin parce que nous avons osé nous attaquer à ce fameux mythe de la société multiculturelle et du vivre ensemble. Nous écrivions en 2009 : « Le nombre de citoyens belges impliqués dans des affaires de terrorisme à retentissement international est sans proportion avec la petite taille de notre pays. La disproportion est encore plus flagrante à l’échelle de la Région bruxelloise. » Mais il n’y a jamais eu de débat à ce sujet.

Pourquoi ?

Nous vivions dans le déni total : médiatique, politique, intellectuel. Les exceptions se comptaient sur les doigts de la main. En politique, il y avait Daniel Ducarme, Corinne De Permentier et moi. Dans les médias, votre collègue du Vif/L’Express Marie-Cécile Royen, une des rares journalistes à avoir perçu le problème longtemps à l’avance. Mais c’est à peu près tout. Ce déni nous a pété à la gueule, littéralement.

Vous avez fortement critiqué Philippe Moureaux, ancien bourgmestre PS de Molenbeek…

La fascination qu’il a exercée est extraordinaire. Il a réussi à mettre en place une stratégie communautariste et clientéliste, doublée du fait que toute personne le critiquant était immédiatement accusée d’être xénophobe. Il a muselé le débat.

Mais vous avez aussi dénoncé les accommodements raisonnables de l’actuelle bourgmestre Françoise Schepmans, MR, elle aussi…

En interne au MR, oui, et je regrette que ce soit sorti dans la presse. J’ai simplement voulu poser la question de la légalité de ce qui se faisait à Molenbeek, où on laissait les commerces fermer plus tard lors du ramadan. J’habite tout près d’une grande artère et tous les commerces ferment à l’heure prévue par la loi. Il n’y a pas de raison que ça se passe autrement à Molenbeek. Des exceptions liées à la religion sont des accommodements raisonnables. Dans des écoles de Bruxelles, on continue à nier des problèmes majeurs. Des jeunes filles ne vont pas au cours de gymnastique ou de natation pendant toute l’année, certains contestent les cours de biologie, la liberté d’expression de Voltaire ou les nus, l’antisémitisme empêche d’enseigner la Shoah…. Les ministres de l’Enseignement successifs ne veulent même pas essayer de quantifier le problème : c’est une proposition du MR. Le déni persiste.

Vous dites qu’on vous critique dans les médias…

L’image de moi qu’a la majorité des médias est abominable : islamophobe, xénophobe… Quand la RTBF interroge mon président de parti, Olivier Chastel, c’est pour dire : « Destexhe s’est attaqué à la communauté musulmane… » La question induit déjà un jugement. Or, je n’ai jamais fait ça! Et je défie quiconque de le démontrer.

Mais ce message que vous aviez posté sur Facebook pour ironiser sur les « amis norvégiens » de votre collègue Marion Lemesre, quand même…

Vous n’allez pas encore me ressortir ça ! J’ai déjà expliqué une dizaine de fois que c’était une private joke et que je ne savais même pas ce que ce terme de « norvégiens » exprimait. J’ai écrit une quinzaine de livres et c’est tout ce qu’on me ressort ? S’il vous plaît : discutons de la façon dont l’Etat gaspille notre argent, de la place des syndicats ou de l’islamisme. A propos, j’ai écrit ce livre sur l’islamisme avec un homme de gauche, Claude Demelenne, et je me sens proche d’Elisabeth Badinter ou de Manuel Valls. Je regrette que l’on n’ait pas l’équivalent, au PS belge, de ces responsables laïques tenant un discours clair face à l’islamisme. Durant toute ma carrière politique, j’ai essayé d’anticiper les grandes évolutions. Récemment, un institut a annoncé que nous serions treize millions dans notre pays en 2050, deux millions de plus qu’aujourd’hui ! Je pourrais me pencher là-dessus.

Vous êtes une sorte de lanceur d’alerte, au fond : un rôle difficile ?

Ce n’a pas été difficile jusqu’à ce que je m’attaque à l’immigration et à l’islamisme. Avant, chacun de mes livres me valait des problèmes en interne, cela a beaucoup tangué, mais cela passait. J’étais l’ancien MSF sympathique qui pointait les vrais problèmes. Aujourd’hui, je suis présenté comme étant le méchant type un peu louche qui dérape.

Cela vous a coûté des postes, aussi ?

Bien entendu. Je n’ai pas été échevin à Ixelles, malgré mes scores électoraux. On ne m’a jamais confié de poste ministériel.

Vous l’espériez ?

Non. Celui qui espère ça ne peut que souffrir. Mais j’espère qu’un jour, le parti me donnera sur les listes électorales les places que j’estime mériter. Je ne désespère pas…

Vous écrivez désormais des chroniques dans Le Figaro…

Ça me plaît et me peine. On a un vrai problème de pluralisme médiatique en Belgique francophone, il n’y a pas de médias de droite classique comme Le Figaro, Causeur ou Valeurs Actuelles. Pourtant, je ne dis jamais autre chose que Cameron, Rajoy, Merkel, Sarkozy ou Juppé…

Charles Michel, aussi ?

Il est plus à droite que son père et, personnellement, cela me convient. Je soutiens d’ailleurs ce gouvernement à 100 %, c’est formidable ce qu’il essaie de faire. Mais là aussi, il y a un décalage très grand avec la représentation faite dans la plupart des médias.

Bart De Wever dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ?

J’aime bien Bart De Wever, je ne vais pas tourner autour du pot ! A l’époque où il était ostracisé au MR, je lui demandais d’écrire la préface de mon livre sur la Flandre. C’est un intellectuel qui réfléchit à ce qu’il dit. Je suis souvent d’accord avec lui sur le socio-économique, le terrorisme ou l’immigration. La seule différence, c’est que je ne suis pas un nationaliste flamand, je suis plutôt unitariste. Quand Bart De Wever déclare qu’il faut revoir la Convention de Genève sur les réfugiés, tout le monde du côté francophone hurle en disant qu’il ne faut pas y toucher. Mais pourquoi ne pourrait-on pas en discuter ? Au départ, cette Convention avait été rédigée pour protéger des dissidents politiques, pas pour gérer des grands flux migratoires. Madame Merkel a imposé sa vision à toute l’Europe. Résultat ? L’extrême droite a fait 49,7 % en Autriche. Et le Brexit n’aurait peut-être pas eu lieu sans la crise migratoire car cela a été le thème de la campagne. Le refus du débat nourrit les extrêmes. Les peuples européens veulent réduire l’immigration et, en tout cas, mieux la contrôler.

Vous voulez être un rempart contre l’extrémisme ?

Absolument. Je suis au MR, et pas ailleurs. C’est en parlant des problèmes que l’on évite la montée des extrêmes. En Flandre, pendant longtemps, le Vlaams Belang progressait car il avait un monopole sur ces sujets. Le jour où Bart De Wever, que je considère comme un parfait démocrate, s’en est emparé, le Vlaams Belang a fortement baissé. En France, la droite et la gauche ont laissé trop longtemps le monopole de ces sujets à Marine Le Pen.

Que pensez-vous d’un Robert Ménard, ancien secrétaire général de Reporters sans frontières devenu maire de Béziers avec le soutien de Marine Le Pen ?

Il a été encensé pendant très longtemps, plus maintenant… Je regrette qu’il soit devenu l’allié de Marine Le Pen. Il aurait pu dire un certain nombre de choses qu’il dit maintenant, et qui ne sont pas fausses, sans cette alliance avec l’extrême droite.

Il y a des pas à ne pas franchir ?

Evidemment. Nous sommes bien d’accord.

Le MR occupe un espace large, pour empêcher la montée du PP à votre droite ?

Le parti est dirigé par Charles Michel, Olivier Chastel et Didier Reynders, ce sont eux qui s’occupent de ces réflexions stratégiques. Moi, je revendique juste d’avoir ma place. Au sein du MR, je milite pour que l’on ait un discours un peu plus à droite, bien entendu. Mais si l’on veut changer les choses en politique, il vaut mieux faire partie d’un grand parti qui peut arriver un jour ou l’autre aux commandes. Avoir raison tout seul, cela ne m’intéresse pas. Certains disent que je ne fais que des sorties médiatiques, mais en vingt ans, j’ai pu influencer un certain nombre de décisions. J’ai été plus utile en faisant cela qu’en siégeant dans des Parlements. Chacun a sa façon de faire de la politique. Cela dit, heureusement qu’il y a aujourd’hui les médias sociaux qui permettent de contourner le quatrième pouvoir. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais survécu. La diabolisation est telle…

C’est à ce point difficile à vivre ?

Pour mes proches, surtout. Pour moi, c’est le prix à payer pour lutter contre le politiquement correct. Je suis devenu proche d’Alain Finkielkraut et d’Elisabeth Lévy qui sont victimes du même ostracisme. Ce sont les autres qui sont intolérants, pas nous. Il faut vivre avec. Ou alors, ne plus faire de politique, mais j’ai l’intention d’en faire encore quelques années.

« Il n’y a pas de problème Destexhe ! »

La ligne d’Olivier Chastel, président du MR, se veut claire : il n’y a pas de problème Destexhe. « Il y a eu un recadrage après ses propos malheureux du 21 juillet 2015, dit-on. Depuis, il n’y a plus eu de dérapages publics. » Ce jour-là, le Bruxellois avait défrayé la chronique en se moquant de la RTBF : dans un reportage consacré à la Fête nationale, la chaîne publique avait interrogé une seule personne, une jeune fille voilée favorable à la Belgique. « C’est un peu comme si lors de la Fête nationale congolaise, on interviewait un Blanc et un seul », avait écrit Destexhe. Choquant tout le monde. En parlant de « recadrage », le président Chastel aurait surtout exprimé son courroux d’être interpellé sur ce terrain-là. Et si le trublion libéral s’en est vivement pris à sa collègue Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek, lors du bureau de parti le 13 juin dernier, le MR reste zen : « La liberté de parole est totale en interne, il a le droit de dire ce qu’il veut. » Ixelles, où Alain Destexhe aurait été exclu des listes pour les communales de 2018 ? Chastel ne s’en mêle pas. Curieusement, alors que l’échevin libéral Yves de Jonghe d’Ardoye crache son venin dans la presse sur cet élu local accusé de « créer une polémique, se bagarrer, puis disparaître dans la nature », Dominique Defourny, bourgmestre et cheffe de file locale du MR, refuse de confirmer au Vif/ L’Express l’exclusion de Destexhe. « Je ne communiquerai pas à ce sujet », nous répond-elle. Rideau.

Entretien: Olivier Mouton

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