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Ah! La belge vie: le Ruffus de Raymond

Sandrine GOEYVAERTS
Sandrine GOEYVAERTS Sommelière, caviste, blogueuse et auteure de Jamais en carafe (à paraître)

Un terroir, c’est quoi ? Et si c’était, tout autant que ce qu’on produit, les souvenirs qui y sont rattachés, les moments passés, et ceux qui se profilent à l’horizon : la vie est belge, croyez-moi.

Il y a des personnages qui s’écrivent tout seuls comme des romans. Raymond est de ceux-là : un type que vous ne pouvez que remarquer. Ou entendre. Ça commence par la voix, qui porte comme on dit. La toute première fois que je l’ai croisé, il était en retard. Très en retard. Il avait faim, il nous a embarqués, ma timidité et moi. La brasserie ressemblait à mille autres : les panneaux publicitaires émaillés pour Spa, ou Duvel. L’éclairage mal pensé, les tables en bois foncé, les banquettes.

Vous savez ce que vous allez y manger : américain tartare, croque-monsieur, croquettes aux crevettes ou au fromage, et puis des frites  » à volonté  » qu’on apportera dans un bol inox. D’habitude, j’aime bien observer qui s’y trouve, comment, avec qui. Qui triture ses couverts, lisse le set de table en papier, les timorés, les premiers rendez-vous, les copains retraités qui viennent s’enquiller un godet et des boulets. Pas là : je suis tout entière absorbée par Raymond. Ses grands gestes manquent une fois, deux fois de renverser les flûtes. Pas grave.  » On en a plein, allez buvez !  » Et je bois. Des bulles égrillardes, un peu d’agrumes, de la pomme verte.

J’aimerais bien lui dire mais il me coupe.  » La viande est tendre, hein ?  » Il rit, se ressert de frites, sproutch de mayonnaise.  » Le vin, ça a toujours été mon truc. Mais je voulais en faire, pas juste le vendre.  » Alors, il a repéré ce bout de terrain à patates, ou à betteraves, on ne sait plus bien. Et c’est un sketch : le vieux paysan qui ne voulait pas céder, à ce fou qui voulait faire pousser du raisin. Ça a mis le temps. Au volant, il me raconte toute l’histoire : il a 10 ans et vient de piquer toutes les billes à ses copains, ou presque. L’équipement, le cuvier, le pressoir champenois, et finalement Ruffus.  » Tiens, goûte ça, c’est mon côtes-du-rhône.  » On est passés au tutoiement dans son salon en un battement de cil, simple et direct. On ne peut plus belge : démarrer comme une blague, vendre des milliers de bouteilles, partout, et finir sur le podium devant des champagnes. Et ça va faire vingt ans que ça dure.

Avoir une caisse de six de Ruffus par an ou, mieux, douze bouteilles, c’est comme un petit Lotto : ça servira pour le baptême de la gamine, au printemps. On en ouvrira une à Noël, avec les huîtres. Ou si le grand passe son diplôme. Et s’il ne le passe pas, on le boira quand même, pour se consoler, faut pas le laisser perdre.  » Ce n’est pas du champagne, c’est autre chose.  » De mieux ? Peut-être un peu dans le coeur des Belges : c’est de la bulle qui fait relever la tête, qui montre qu’à petit pays mais grandes idées, rien d’impossible. Surtout pas quand on s’appelle Leroy.

Domaine des Agaises, Ruffus, vin mousseux.

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