Sandrine GOEYVAERTS

Ah! La Belge vie: le peket de Marguerite

Sandrine GOEYVAERTS Sommelière, caviste, blogueuse et auteure de Jamais en carafe (à paraître)

Un terroir, c’est quoi ? Et si c’était, tout autant que ce qu’on produit, les souvenirs qui y sont rattachés, les moments passés, et ceux qui se profilent à l’horizon : la vie est belge, croyez-moi.

Le carrelage suinte l’humidité.  » Essuyez vos pieds, j’ai fait mon samedi.  » Curieux comme passé un certain âge, il n’y a plus que des samedis dans la semaine. Elle se tient devant nous, son gilet de laine boutonné jusqu’en haut, les mi-bas impeccablement tirés sur ses mollets maigres. Bobonne a froid. Comme toujours, malgré les trente degrés extérieurs, le poêle tourne.

 » Asseyez-vous. Une jatte ? Vous avez bien le temps pour une jatte, quand même.  » Alors, les fesses timidement posées sur les chaises de cuisine, un coude sur le formica, on attend. Bobonne s’affaire, prend un air tracassé, s’excuse de ne pas avoir mieux comme bonbons à proposer –  » Si j’avais su que vous veniez, j’aurais repris des Delacre, ceux dans la grosse boîte avec le roi Albert.  »  » Et une petite goutte de peket, hein ? Un grand gars comme toi, ça ne peut pas lui faire de mal.  » Je souris, le  » grand gars  » n’a pas l’air si sûr, mais allez donc contrarier Bobonne, vous. Déjà qu’on lui salit son carrelage, on peut bien la laisser nous engueuler tendrement, entre deux gorgées de g’nièv’. C’est du Saint-Hubert, parce qu’on ne va tout de même pas boire flamand. Je pourrais lui expliquer que, pourtant, l’eau-de-vie de genièvre, c’est un truc de médecin batave mais ça lui filerait des aigreurs et ce serait bien un comble : l’excuse première pour distiller des baies de genévrier, c’était de combattre les maux d’estomac.

Le café fume dans l’Arcopal fleuri et, à côté, la goutte attend.  » Du Vieux Système, du trente, c’est le mieux. Allez m’fi.  » Entre les arômes de la chicorée, la douceur de la peau frottée au crin et au savon Sunlight de Bobonne, le parfum fort du grain se fraie un chemin. Saint-Hubert, c’est une distillerie à l’ancienne, où on pourrait croire que le temps s’est arrêté, les étiquettes comme témoins. Je pense à ces vieux garçons, en bleus de travail près de l’alambic, au chien qui gronde à l’approche. La gentillesse extrême. Ce qu’ils mettent de coeur et de soin méticuleux à produire leurs eaux-de-vie. Hors des modes. Le peket, ce n’est pas que les fêtes du 15 août, c’est une ponctuation. La goutte du facteur, à midi, quand il apporte la pension. La bouteille toujours au frigo qu’on sort dès qu’un visiteur est là. Le petit coup qui réchauffe les nez gelés de bise. Le g’nièv’, c’est ce monde où l’accent colore n’importe quelle phrase anodine, fait oublier les fins de mots, on ne va pas s’embarrasser. Ce n’est pas sophistiqué comme peuvent l’être les whiskies, aristocratique comme le cognac, rondouillard comme le rhum. C’est clapant, réconfortant, et ça dit combien on est parfois riche de petits riens.

Distillerie Saint-Hubert, Vieux Système 30°.

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