Le gouvernement lance une nouvelle régularisation fiscale. C’est la quatrième amnistie offerte aux fraudeurs. Reste-t-il beaucoup de capitaux à rapatrier ? N’a-t-on pas épuisé le filon ? Comment persuader les contribuables concernés de s’absoudre ? Décryptage de la DLU-4.
Pressentie, attendue, quasi-annoncée à l’avance, la DLU est de retour pour un quatrième tour de piste, dès 2016. Bien entendu, pour éviter le ridicule, on ne parlera plus officiellement de Déclaration libératoire unique (DLU), mais bien d’opération de régularisation fiscale. Quoi qu’il en soit, la DLU est devenue une véritable institution en Belgique. Depuis près de douze ans, cette opportunité offerte aux fraudeurs de se repentir à moindre frais a été quasi continue.
« On s’assied sur l’éthique et sur la justice »
Il est d’ailleurs piquant d’observer que, début octobre, l’annonce de la DLU-4, dans la liste des mesures du tax-shift avancées par le gouvernement Michel, a provoqué très peu de remous, comme si ce type d’absolution était définitivement entré dans les moeurs. Les ruades les plus significatives sont venues d’Ecolo. « Nous avons toujours été clairs sur le sujet, affirme le député Georges Gilkinet. Cette quatrième DLU est un nouvel aveu de l’incapacité du gouvernement à lutter efficacement contre la fraude fiscale. C’est surtout un énième cadeau pour les fraudeurs. On nous parle de pragmatisme, mais on s’assied sur l’éthique et sur la justice. C’est d’autant plus choquant que le gouvernement se montre particulièrement dur à l’égard d’autres catégories de personnes comme les allocataires sociaux. »
Cette fois, l’équipe Michel met tout de même la barre un peu plus haut que lors de la DLU-ter, en 2013. Selon nos sources, la négociation a néanmoins été rude entre les partis au pouvoir, surtout sur le tarif d’amende frappant les capitaux qui sont fiscalement prescrits mais auxquels la DLU offre une immunité pénale. C’est l’amende la plus lourde. Le MR voulait la maintenir à 35 %, comme pour la précédente opération de régularisation. Le CD&V exigeait un taux de 40 %. Et le cabinet du ministre des Finances N-VA a proposé un taux de départ de 36 %, augmentant graduellement au fil des ans, vu que cette DLU-4 sera permanente comme l’était la DLU-Bis (2006-2013). C’est cette dernière proposition qui l’a emporté. Certains y ont vu la patte, à la fois ferme et pragmatique, de Gerda Vervecken, la nouvelle Madame anti-fraude de Johan Van Overtveldt.
Y a-t-il encore beaucoup de capitaux belges à l’étranger ?
Que peut rapporter cette nouvelle DLU ? L’exécutif table prudemment sur 250 millions d’euros de prélèvements fiscaux sur les capitaux qui seront déclarés. Cela paraît peu ambitieux par rapport à ce qu’ont permis de récolter les précédentes opérations. La première DLU (2004) a rapporté près d’un demi-milliard d’euros aux caisses de l’Etat, lit-on dans plusieurs réponses parlementaires de ministres des Finances. Selon les rapports annuels du Service de décision anticipée (SDA), créé en 2005, la DLU-bis a permis de récupérer 1,5 milliard d’euros et la DLU-ter, 670 millions. En outre, pour ces deux opérations, des dossiers sont toujours en cours de traitement. Ceux-ci devaient alimenter le trésor public de 264 millions d’euros supplémentaires en 2015.
Y a-t-il encore beaucoup de capitaux belges à l’étranger ? « En 2013, j’avais demandé à un banquier luxembourgeois – pas le plus grand – combien de ses clients belges pourraient bénéficier d’une DLU, témoigne l’avocat fiscaliste de Wavre Thierry Litannie. Il m’a répondu : 12 000. Cela vous donne un indice… » 12 000, c’est quatre fois le nombre total de dossiers traités lors de la DLU-ter.
Selon la Banque nationale, les capitaux belges à l’étranger s’élevaient à 57 milliards d’euros, il y a quelques années. Ce montant concernait tant les dépôts bancaires que les constructions juridiques off-shore, nous dit-on à la BNB. Entre-temps, les DLU ont permis de régulariser 13,5 milliards de capitaux et les enquêtes fiscales concernant les clients belges des banques LGT (Liechtenstein), HSBC (Suisse) et UBS (Suisse) ont abouti à un enrôlement sur quelques milliards d’euros. Certains capitaux placés à l’étranger ont, par ailleurs, subi en toute légalité leur régime fiscal en Belgique, mais ils ne constituent qu’une minorité. Bref, même si on soustrait tout cela aux 57 milliards estimés par la BNB, on peut facilement prédire qu’il reste un gros paquet d’argent noir à régulariser.
Epée de Damoclès
Mais comment persuader les détenteurs de ces capitaux de s’amender ? Le mécanisme d’échange automatique d’informations fiscales qui prévoit une plus grande transparence entre Etats et qui a commencé avec le Luxembourg pour les intérêts perçus va bientôt s’étendre à d’autres types de produits financiers. En 2018, la Suisse jouera également le jeu. « C’est une épée de Damoclès pour les détenteurs de capitaux à l’étranger, explique François Parisis, juriste fiscaliste, professeur à l’ULg. En 2013, lors de la troisième DLU, ce n’était pas le cas. On en parlait mais la Suisse et le Luxembourg n’avaient pas encore cédé sur le principe d’échange généralisé. Cette fois, la pression est plus forte. Les contribuables concernés savent qu’ils n’ont plus d’alternatives, si ce n’est de changer de pays de résidence ou de vider leur compte pour mettre l’argent cash dans un coffre, mais pas sûr que les banques suisses ou luxembourgeoises acceptent. »
Les plus fortunés peuvent aussi monter une construction juridique, de type fondation ou Limited Liability Company, dans une place offshore. « Mais cela nécessite, au départ, la complicité de la banque suisse ou luxembourgeoise où l’argent est placé. Or celles-ci se montrent moins coopératives, vu la pression internationale », confie Me Litannie. Il y a aussi le risque de se faire rattraper par la nouvelle taxe Caïman, publiée au Moniteur fin août, qui lutte justement contre ce genre de construction dans des paradis fiscaux. Bref, l’étau se resserre.
Reste toutefois à savoir ce qui sera régularisé. Les précédentes DLU permettaient une régularisation partielle limitée aux intérêts du capital placé à l’étranger. Or, on sait que, dans la majorité des cas, ce capital trouve son origine dans des revenus professionnels non-déclarés qui ont donc échappé à l’impôt (IPP) et aux lois sociales. Le SDA, qui a géré les dossiers DLU, n’a jamais investigué sur l’origine des capitaux déclarés. Tout au plus, dans ses rapports annuels, a-t-il ventilé ceux-ci selon leur nature apparente : il en ressortait une proportion dérisoire de revenus professionnels (entre 2 et 6 %,) et une surreprésentation de revenus autres (90 %) dont une majorité de revenus mobiliers (plus de 60 %) régularisés à un taux de 15-20 %. Quant aux capitaux prescrits fiscalement, ils sont soumis à un prélèvement tournant autour de 35 %. Soit bien moins lourd que le taux IPP… Dans une proposition de loi datant de 2011, Ecolo en avait déjà fait la démonstration éloquente, regrettant que les DLU pénalisent finalement peu les fraudeurs.
Les Régions en profitent
Les régularisations fiscales sont tout bénéfice pour les Régions. D’après les publications du SDA, les trois entités fédérées se sont partagé 33 % des recettes de la DLU-bis et 25 % pour la DLU-ter. Pas négligeable. Cela explique peut-être que le PS et le CDH, qui forment les majorités wallonne et bruxelloise, se soient montrés plutôt nonchalants dans leurs critiques à l’égard d’une DLU-4 annoncée par le gouvernement Michel. Dans le nord du pays, la régionalisation flamande du service des droits de succession depuis janvier dernier risque tout de même de poser problème. La DLU-4 nécessitera une bonne collaboration avec le fédéral pour gérer les régularisations des contribuables flamands concernés par les prélèvements de succession.