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A quel point la mauvaise réputation des entreprises pharmaceutiques est-elle justifiée ?

Ilse De Witte
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les grandes entreprises pharmaceutiques ont la réputation de ne pas agir de manière éthique. Comment ont-elles – à tort ou à raison – acquis cette mauvaise réputation ? Et se servent-elles suffisamment de la pandémie pour redorer leur blason, s’interroge le magazine Trends.

Ces dernières semaines, les entreprises pharmaceutiques AstraZeneca et Pfizer/BioNTech ont été fustigées pour avoir annoncé qu’elles livreraient moins de vaccins à l’Union européenne que prévu. Certains critiques y voient la preuve que les entreprises pharmaceutiques ne pensent qu’à se remplir les poches. Pourtant, AstraZeneca tout comme Johnson & Johnson, a promis de ne pas faire de bénéfices sur le vaccin tant que la pandémie fera rage.

« La plupart des vaccins seront vendus au prix coûtant, ou à une petite marge bénéficiaire », déclare Kasey Vosburg de Sustainalytics, une entreprise spécialisée qui rassemble des datas sur l’éthique des entreprises. « La marge des fabricants de vaccins dépend aussi de l’aide publique qu’ils ont reçue pour le développement de vaccins. Je n’ai pas encore vu de prix excessivement élevés pour les vaccins contre le covid-19. »

« Le développement d’un vaccin est une opération très risquée », estime Eszter Vitorino Fuleky, conseillère en investissements responsables chez Kempen Capital Management. Les réglementations strictes exigent de gros investissements. « C’est pourquoi les entreprises s’efforcent d’obtenir des marges élevées et des volumes de vente importants pour compenser les risques. La question est bien sûr de savoir quel est le niveau de profit socialement responsable, aujourd’hui et à l’avenir. Ces dix dernières années, le rendement de la recherche et du développement a déjà baissé « .

Excès

Vitorino Fuleky observe qu’en Europe les prix des médicaments sont en moyenne plus bas qu’aux États-Unis. Les autorités européennes ont encouragé l’utilisation de médecins génériques, ce qui met la pression sur les prix. Elle met cependant en garde contre le revers de la médaille : trop de pression sur les prix peut avoir un impact négatif sur la qualité et la disponibilité des médicaments.

« Dans les pays où les autorités négocient avec les entreprises pharmaceutiques, les prix peuvent être fixés et régulés », déclare Vitorino Fuleky. « Dans les pays comme les États-Unis, il y a différentes parties privées qui remboursent les médicaments et négocient séparément. Dans un système aussi complexe avec des intermédiaires, il peut y avoir des récompenses erronées. Par exemple, un intermédiaire peut ne pas offrir le meilleur ou le moins cher des produits au patient, mais le produit avec la plus forte commission de vente ».

D’après Vosburg, le changement dans le secteur pharmaceutique sera surtout motivé par la régulation et la surveillance. « Aux États-Unis, Joe Biden a remporté les élections présidentielles avec un programme où il promet de réduire les prix des médicaments sur ordonnance. » Sustainalytics demande aux entreprises d’être transparentes sur la hausse de prix moyenne des médicaments dans leur portefeuille et sur leur produit qui affiche la hausse de prix la plus élevée afin de contrer les excès. Plus la transparence est grande, plus les entreprises marquent des points auprès des investisseurs durables. Sustainalytics utilise une notation ESG des risques pour évaluer les risques auxquels les entreprises sont confrontées et la manière dont elles sont gérées.

Un but noble

« Les entreprises pharmaceutiques obtiennent des résultats particulièrement médiocres en matière d’ESG », estime Steven Desmyter, co-responsable de l’investissement responsable chez Man Group. Dans le monde anglo-saxon de gestionnaires d’actifs, l’acronyme ESG est utilisé dans pour décrire les différentes facettes de l’investissement socialement responsable : S signifie social ou sociétal, E signifie environnement et G signifie bonne gouvernance. « En particulier aux États-Unis, les prix excessifs des médicaments et la crise des opiacés ont porté atteinte à la réputation de l’industrie. Les grandes entreprises pharmaceutiques devront fournir de grands efforts pour améliorer leur éthique commerciale ».

Les entreprises pharmaceutiques oeuvrent pourtant à un objectif noble. « Assurez une bonne santé et promouvez le bien-être pour tous les âges » est l’un des dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies. Avec leurs médicaments et leurs traitements, les groupes pharmaceutiques apportent une contribution importante à la lutte contre les maladies. Desmyter pense qu’ils devraient obtenir de meilleurs résultats que les autres secteurs. Il estime que les régulateurs, la direction et les investisseurs n’agissent pas assez pour lutter contre les pratiques douteuses et les conflits d’intérêts dans le secteur pharmaceutique.

Ouvert aux suggestions

« Le défi pour le secteur pharmaceutique ne réside pas dans le quoi, mais dans le comment », déclare Vitorino Fuleky. « Les entreprises gèrent-elles le prix, la sécurité et de la qualité des produits, l’influence d’hommes politiques, le marketing, les ventes, les brevets et les licences de manière éthique? L’accès aux médicaments pour les personnes à faible revenu est également une question importante ». Vitorino Fuleky note que les entreprises sont ouvertes aux suggestions des investisseurs. Ainsi, les gestionnaires d’actifs de Van Lanschot Kempen ont entamé des discussions constructives avec Roche et Novo Nordisk en 2020. « Novo Nordisk a pris une position proactive sur les tests d’anticorps en 2020. Elle a distribué gratuitement de grandes quantités d’alcool désinfectant et a baissé le prix de l’insuline afin que les personnes financièrement démunies y aient toujours accès. Roche a augmenté sa capacité de test en partageant sa recette de solution tampon de lyse avec des institutions publiques », explique-t-elle.

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