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A Charleroi, Magnette sur un boulevard, les autres sur le trottoir

A Charleroi, le prochain bourgmestre est déjà connu. Ce sera Paul Magnette. Les socialistes s’associeront plus que probablement aux réformateurs d’Olivier Chastel. Au CDH et chez Ecolo, on espère aussi être de la prochaine majorité, et on ménage le futur patron. Elle est loin, la tension de la campagne 2006.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine : L’impitoyable ascension vers le pouvoir de Paul Magnette.

La misère ferait-elle le bonheur ? A Charleroi, on serait tenté de le penser. Car seule une petite phrase, « nous vivons dans une ville pauvre habitée par des pauvres « , lâchée par l’échevin des finances, Antoine Tanzilli (CDH) a vaguement animé une campagne étale. Le jeune (32 ans) humaniste s’est attiré d’unanimes réprobations, rouges, vertes et bleues, dans un mouvement lancé par Paul Magnette et à peine réfréné par la tête de liste orange, Véronique Salvi. Et encore : si la sentence a pu énerver, elle le doit bien plus à l’identité de l’énonciateur qu’à l’impertinence d’un énoncé que personne ne conteste, tant la Ville de Charleroi est percluse d’indépassables déficits, entre recettes fiscales anémiques et dépenses sociales incompressibles. L’anecdote a valeur exemplaire, qui montre un Magnette parfois suffisant, car assuré de son triomphe autant que de sa majorité absolue, et trois autres formations soucieuses de ne pas froisser le maître du jeu, donc compréhensives, voire dociles.

Le boulevard Magnette

C’est qu’il est autrement à son aise à Charleroi qu’avec les hordes grondantes de syndicalistes cheminots, l’actuel ministre des entreprises publiques. Son choix -courageux quoiqu’inévitable- d’exercer pleinement le mayorat de la plus grande ville wallonne l’a mis sur du velours. Certain de sa victoire, Paul Magnette s’autorise une campagne moins frénétique que celles, bien plus lourdes d’enjeux, des régionales de 2009 (19 000 voix de préférence sur le territoire carolorégien) et des législatives de 2010 (26 000 voix à Charleroi). Seul petit suspense : l’ampleur de sa moisson. Il fera probablement mieux que Jacques Van Gompel (18 000 voix en 2006), mais moins que Jean-Claude Van Cauwenberghe et ses historiques 29 573 (et 35 sièges sur 51 !) suffrages de 1988. Il s’est même absenté une semaine fin septembre, retenu par l’assemblée générale des Nations Unies à New York. « Avouez que c’est fort, à trois semaines des élections « , souffle un adversaire déjà défait. Dans les débats préélectoraux, très  » Sarkozy 2007 « , il pose même à l’opposant en chef, vociférant  » la paralysie politique et administrative carolorégienne » de ces dernières années. Alors qu’aucune décision n’a été prise, ces dernières années, sans son aval. A Charleroi, où rien n’est décidément comme ailleurs, c’est donc parfois l’opposition qui défend la majorité :  » Tout n’a pas été si noir que ça ! « , s’est ainsi indigné Luc Parmentier, tête de liste écologiste, reprenant Magnette à un débat devant un select cénacle d’entrepreneurs locaux. Mais si Magnette ne fait pas vraiment campagne, c’est aussi, surtout, qu’il est déjà au pouvoir. Depuis la fin de l’été, une petite armée d’experts, en groupes de travail, rassemble, consulte, compulse, bref, boulotte sur ce que sera le pacte de majorité.

Le sort de Massin

Derrière les certitudes de Magnette, ses colistiers ferraillent. L’actuel bourgmestre, Eric Massin, joue gros. De son résultat dépendra son avenir politique. S’il atteint les 5000 à 7000 voix auxquelles il prétend, qui feraient de lui le deuxième classé derrière l’inaccessible tête de liste, il donnera à sa candidature ministérielle une légitimité. Massin aspire en effet à remplacer Magnette au gouvernement fédéral. Dans le cas contraire, il devra se contenter d’un échevinat ou de la présidence du CPAS, postes peu compatibles avec l’ambition et la fougue qui le caractérisent. C’est pourquoi il n’est pas impensable, si les vents électoraux lui sont défavorables, de voir Eric Massin s’effacer pour reprendre ses activités au Barreau de Charleroi. Philippe Van Cauwenberghe, avec qui Massin fait campagne, affiche des ambitions plus modestes : il désire récupérer l’échevinat qu’il avait dû abandonner, à ses yeux injustement, à l’été 2007. L’équipe qui l’entoure, nombreuse et abondée des bons conseils paternels, devrait l’aider à y parvenir. Son score le rendra d’autant plus difficilement contournable que Paul Magnette ne voit plus le patronyme comme sulfureux. Pas étonnant : les autres partis non plus. Et pour cause.

Trois partis dans le vent

Car au MR, au CDH et chez Ecolo, on a définitivement abandonné la pugnacité du scrutin précédent. Le MR, jadis le plus opiniâtre pourfendeur de la gouvernance socialiste, est rentré dans le rang. Sa tête de liste, le ministre fédéral du budget Olivier Chastel, sait qu’elle ne reproduira plus la prouesse de 2006, tant individuellement (17 000 voix de préférence) que collectivement (14 sièges). A la fois pour préparer l’opinion et son parti au ressac et parce qu’il est certain d’être de la prochaine majorité, il mène une campagne plus que discrète : tranquille. Tout indique en effet que les socialistes et les libéraux convoleront ensemble à l’Hôtel de Ville. De lancinantes rumeurs évoquent même un accord signé, presque inutile tant Magnette et Chastel paraissent connivents, et tant une alliance laïque a les faveurs de la base comme de la hiérarchie socialistes (jusqu’au 16, rue de la Loi, succursale, rappelons-le, du collège communal PS-MR de Mons). Les portes de l’Hôtel de Ville ne sont néanmoins pas fermées pour les deux autres formations démocratiques. Olivier Chastel plaide pour une reconduction de la tripartite PS-MR-CDH, « il est juste que les formations qui ont participé au redressement de Charleroi récoltent les fruits de ce qu’elles ont semé « , tandis que Paul Magnette a appelé à un collège d’unité communale, qui rassemblerait les quatre principaux partis carolos. La formule a, pour le petit prince de la Maison des Huit-Heures, deux avantages : elle étoufferait par essence toute opposition, et elle limiterait les mandats à distribuer, donc les ambitions de ses colistiers les plus indociles (il y en a encore…). Ce deuxième avantage la rend, de facto, peu probable :  » Un pacte a trois a déjà peu de chances d’être accepté par l’Union socialiste communale de Charleroi. Une coalition à quatre n’en a absolument aucune », assure un camarade intéressé. N’empêche : cette ouverture formelle a anesthésié la campagne, et tétanisé écologistes et humanistes, qui craignent, en étant critiques, d’offenser le futur mayeur.

Cette timidité ouvre un espace pour les petits partis, PTB et FDF, d’autant que la disparition programmée (éparpillement en six listes oblige) de l’extrême droite du conseil communal (4 sièges en 2006) devrait mécaniquement abaisser le seuil d’éligibilité. « Avec 3 500 voix, on peut espérer accrocher le dernier des 51 sièges à pourvoir. C’est dans nos cordes, vu la colère qui sourd dans la population carolorégienne « , augure Germain Mugemangango, secrétaire provincial du PTB hennuyer. Le FDF, qui nourrissait de forts espoirs à son arrivée au printemps 2010, s’est abîmé en querelles et en bisbilles. Il ne devrait pas entrer au conseil communal. Comme quoi, de la chaussée de Charleroi, siège bruxellois du FDF, au boulevard Magnette, il y a plus loin qu’on ne le croit.

Nicolas De Decker

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