L'attitude émotionnelle du vice-Premier ministre CD&V irrite ses partenaires au sein de la majorité fédérale. L'homme va désormais défier Bart De Wever aux communales à Anvers. © BART DEWAELE/ID PHOTO AGENCY

2016 : l’année où Kris Peeters a failli faire tomber le gouvernement

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le vice-Premier ministre CD&V a bien failli provoquer la chute de la suédoise cet automne. Ses « bouderies » irritent ses partenaires, au même titre que les saillies du patron de la N-VA.

Quand Kris Peeters pas content, lui toujours faire comme ça… A l’image du lama des aventures de Tintin, qui crache au visage des interlocuteurs qui l’incommodent, le vice- Premier ministre CD&V défie les lois de la raison avec ses états d’âme depuis le début de la suédoise. En cette année 2016, sa bouderie a même été à deux doigts de provoquer la fin prématurée de la coalition fédérale.

Sans crier gare

Au soir du lundi 10 octobre, dans la dernière ligne droite de la négociation budgétaire, le vice-Premier ministre CD&V claque la porte des négociations au Lambermont, résidence du Premier ministre, sans crier gare. Il doit consulter les ténors de son parti avant d’éventuellement poursuivre les discussions. Le temps presse, pourtant : le lendemain, en début d’après-midi, Charles Michel doit se rendre à la Chambre pour sa déclaration de politique générale. Qu’importe : le chef de file des démocrates chrétiens veut obtenir une taxation des plus-values, une revendication déposée sur la table en dernière minute pour amender un projet d’accord bien trop déséquilibré.

Inquiet de ne pas voir Kris Peeters revenir autour de la table, le chef du gouvernement joue du sms. En vain. C’est par voie de presse qu’il apprend la décision unilatérale du CD&V de reprendre la négociation le mardi à 9 heures.  » C’est intolérable, ce n’est pas encore eux qui décident de l’agenda « , tonne-t-on au Seize. Depuis le début de la législature, le Premier ministre libéral francophone sait que si sa fonction lui confère bien un atout, c’est celui de jouer avec le temps, de mettre les dossiers sur la table quand ils sont mûrs. En pratiquant la politique de la chaise vide, Peeters lui plante un couteau dans le dos. Qu’il enfoncera en diffusant sa proposition de taxe deux jours plus tard via… le réseau social Twitter.

Bart De Wever aime jouer avec les pieds de ses partenaires pour se profiler sur les thèmes qui lui sont chers : immigration, socio-économique, communautaire...
Bart De Wever aime jouer avec les pieds de ses partenaires pour se profiler sur les thèmes qui lui sont chers : immigration, socio-économique, communautaire…© TIM DIRVEN/ID PHOTO AGENCY

Voilà le patron de la coalition fédérale contraint de reporter sa déclaration de politique générale. Un camouflet. Ses communicants rappellent très vite que ce n’est pas une première, son prédécesseur, Elio Di Rupo (PS), avait été contraint de faire la même chose. Mais le contexte est différent : dans ce cas-ci, il en va de la survie même de la suédoise. Mardi 11 octobre, Charles Michel refuse de répondre aux questions d’une opposition francophone démontée. Jeudi, après quelques contacts en coulisses, il lance un appel vibrant à la cohésion de sa majorité depuis la tribune de la Chambre :  » Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise.  »  » Pathétique « , fustigent des éditorialistes.

Le cordon sanitaire avec le Belang remis en question.
Le cordon sanitaire avec le Belang remis en question.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Irrité, l’Open VLD Alexander De Croo s’exclame :  » C’est le monde à l’envers. On ferait mieux d’organiser un débat sur la manière d’offrir aux investisseurs un meilleur rendement plutôt que de veiller à taxer toujours plus.  » Le nouveau credo libéral : mobiliser l’épargne au service des investissements. La N-VA mise, quant à elle, sur une réforme de l’impôt des sociétés pour relancer l’activité.  » A ce moment-là, si nous avions exigé son adoption, le gouvernement tombait « , affirmera quelques semaines plus tard Bart De Wever, tout-puissant patron des nationalistes. Résultat de ce capharnaüm : les trois réformes sont reportées. En attendant que le climat s’apaise.

« Des mondes parallèles »

Nous menons une politique qui est bonne pour la Flandre et les Flamands

Kris Peeters n’en est pas à son coup d’essai. A l’été 2015, déjà, il avait provoqué une crise après l’atterrissage des négociations sur le tax-shift. L’homme n’avait pas apprécié qu’un de ses rivaux flamands dévoile une note démontrant la faiblesse des avancées obtenues par le CD&V dans l’accord final.  » Une rupture de confiance « , clame-t-il alors.  » Une stratégie incompréhensible, pour ne pas dire carrément débile « , rétorque-t-on chez les libéraux. D’apparence pragmatique et stoïque, le vice-Premier CD&V est en réalité un être émotionnel, dont les réactions sont souvent épidermiques.  » Ce CD&V est ingérable et ce sera comme ça jusqu’en fin de législature « , grince-t-on au MR. Où l’on ajoute : si la N-VA irrite aussi par ses déclarations, elle reste loyale au gouvernement. Elle…

Quand Kris Peeters fâché, lui bouder… Il faut avouer que l’ancien ministre- président flamand a avalé bien des couleuvres politiques, depuis deux ans. Le poste de Premier lui était promis, mais son parti a préféré, à l’automne 2014, celui de commissaire européen pour Marianne Thyssen, à l’issue d’une nuit de psychodrame qui préfigurait déjà les suivantes. Ancien patron des patrons flamands, le ténor de l’aile droite du parti social-chrétien doit défendre, depuis, des positions de gauche au sein de la coalition.  » Dignes du PTB « , ironisent des libéraux. Ancien parti dominant au nord du pays, le CD&V tente aujourd’hui de sauver ce qui peut l’être face à l’arrogante N-VA, tout en veillant à ne pas trop fâcher un mouvement ouvrier chrétien de plus en plus tenté par l’aventure Groen ou SP.A.

Maggie De Block moins populaire.
Maggie De Block moins populaire.© BART DEWAELE/ID PHOTO AGENCY

 » Il semble parfois que les partenaires de la majorité fédérale vivent dans des mondes parallèles « , analyse Carl Devos, politologue de l’université de Gand, dans son livre consacré à l’année politique 2016, DeFailed State ? (Van Halewyck). Selon lui, les tensions entre les anciens partenaires de cartel N-VA et CD&V, qui ont fait vie commune entre 2003 et 2007, s’expliquent par des raisons rationnelles, des stratégies électorales et idéologiques, et des éléments irrationnels et personnels.  » Le CD&V veut montrer de façon démonstrative ce pourquoi il se bat, souligne le politologue. Il veut préserver l’équilibre dans la politique pour rester le seul vrai parti populaire. La N-VA veut démontrer, via des changements stratégiques à partir du centre-droit, qu’elle est un parti de gouvernement qui peut faire la différence.  » Or, en Flandre, on commence à en douter.

Et le duo Vuye - Wouters quitte la N-VA. Cela secoue en Flandre.
Et le duo Vuye – Wouters quitte la N-VA. Cela secoue en Flandre.© TIM DIRVEN/REPORTERS

En cette année faite d’empoignades à répétition entre les trois partis flamands de la majorité, la N-VA n’a pas été en reste en matière de provocations. Sa situation est fragilisée par des sondages inquiétants, qui signalent une remontée des extrémistes du Vlaams Belang. Voilà qui avait déjà incité Bart De Wever à multiplier les sorties en 2015, en marge de la crise de la migration, pour réclamer une révision de la Convention de Genève sur le droit d’asile ou la fermeture temporaire des frontières.

2017 : ce sera chaud

La cuvée 2016 est davantage orientée sur le terrain communautaire. Et pour cause : le Mouvement flamand regrette la mise au frigo de l’institutionnel durant cette législature et s’impatiente de ne rien entendre pour 2019. Hendrik Vuye et Veerle Wouters, deux députés fédéraux N-VA en charge d’une réflexion sur le confédéralisme interne au parti nationaliste, claquent la porte fin septembre, faute de pouvoir poursuivre en toute indépendance leur mission. Un mois plus tard, ils lancent un mouvement baptisé  » VW  » pour oeuvrer à  » une Flandre indépendante dans une Belgique confédérale « .

Quand Bart De Wever fâché, lui toujours réagir. Le président de la N-VA publie une lettre pour confirmer sa volonté d’atteindre le confédéralisme développé par son parti lors d’un congrès en janvier 2014.  » Nous menons une politique qui est bonne pour la Flandre et que les Flamands réclament depuis une décennie déjà, plaide-t-il. Laurette Onkelinx ne parle pas de « flamandisation » pour rien. Tôt ou tard, la pression sur le PS deviendra intenable. Peut-être pas aujourd’hui, ni demain, mais rapidement.  » Au moment où le PS s’oppose à la signature du traité européen de libre-échange avec le Canada (Ceta), fin octobre, il en rajoute une couche :  » Le PS, qui a été vingt-cinq ans au pouvoir et n’a pas eu peur de bloquer le niveau belge, utilise maintenant son pouvoir en Wallonie pour encore bloquer.  » La seule conclusion est que les deux démocraties doivent suivre des voies séparées.  » En fin d’année, c’est le secrétaire d’Etat Theo Francken qui sème le trouble en remettant ouvertement en question le cordon sanitaire qui exclut le Vlaams Belang du pouvoir.

L’année 2017 ne s’annonce guère plus sereine, en raison de l’ouverture de la campagne pour les élections communales de l’année suivante. Ce sera chaud, d’autant que Kris Peeters déménagera à Anvers pour y défier Bart De Wever. Objectif ? Tenter de forcer une majorité sans la N-VA.

Or, quand Kris et Bart fâchés…

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