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Voitures de société: pourquoi les entreprises boudent (encore un peu) les marques chinoises

Les voitures électriques chinoises convainquent de plus en plus de particuliers. Elles semblent toutefois peiner, pour l’instant, à rivaliser avec les mastodontes européens sur le segment du leasing.

«Les voitures chinoises n’ont actuellement pas d’arguments suffisants pour que les salariés les réclament à cor et à cri», sourit Frédéric Bastin, membre fondateur de l’Association des Mobility Managers, qui regroupe les responsables fleet d’une cinquantaine de sociétés francophones. Ces propos seront-ils toujours valables d’ici quelques années? Rien n’est moins sûr.

Lorsqu’on se penche sur les statistiques de la Fédération belge et luxembourgeoise de l’automobile et du cycle en Belgique (Febiac), les marques chinoises font plutôt bonne figure. «Au premier semestre, elles représentaient 7,3% de l’ensemble des immatriculations de voitures électriques auprès des clients particuliers (690 unités), et 5,3% auprès des clients professionnels (3.703 unités)», relève Christophe Dubon, son porte-parole. Plus précisément, Polestar (détenue par Volvo, elle-même propriété du groupe chinois Geely) est 14e avec 2% de parts de marché, BYD 15e (1,6% de pdm) et Xpeng 22e (0,8% de pdm). Ces nouvelles venues sont encore très loin des habituées des premières places (BMW, Volkswagen, Audi, Mercedes-Benz), mais leurs chiffres sont clairement en hausse. Au cours des huit premiers mois de l’année, BYD affiche par exemple une augmentation de ses ventes de l’ordre de 75% (particuliers et professionnels confondus). «Nous visons 10.000 unités écoulées annuellement d’ici à quatre à cinq ans», affirme Thomas De Meûter, PR Manager chez BYD Belux.

Du côté des sociétés de leasing, le catalogue est déjà bien fourni en véhicules chinois. Aux marques précitées s’ajoutent MG, Lynk & Co, Jaecoo ou encore Leapmotor. «Nous évaluons les nouvelles marques en fonction de la capacité des fabricants à déployer un réseau commercial et après-vente robuste et fiable, ce qui est une condition primordiale avant une intégration dans notre catalogue, commente Tony Peetermans, directeur de la communication chez Arval. Aujourd’hui, les EV chinois représentent une part encore minoritaire dans nos immatriculations: environ 2% en 2025. Mais cette proportion connaît une hausse croissante

«Plus on les verra dans les rues, plus la méfiance se dissipera.»

Une réputation à acquérir

Cette percée encore toute relative sur le marché des professionnels n’étonne pas Bart Jourquin, professeur en économie des transports à l’UCLouvain. «Les fabricants chinois visent à toucher tant les particuliers que les entreprises, mais ils souffrent d’un déficit d’image, estime-t-il. Pour le combler, il est plus facile de commencer par les particuliers

Une analyse corroborée par MG. «Pour l’instant, nous souhaitons avant tout faire découvrir notre marque à un large public, avant de renforcer notre présence auprès des professionnels. Actuellement, 31% de nos ventes concernent des clients professionnels et/ou du leasing», rapporte Bart Hendrickx, PR Manager de la marque en Belgique.

Une marque chinoise n’est pas l’autre. Chez BYD, sept ventes sur dix concernent les professionnels. Contrairement à MG, qui vend encore des voitures à essence, elle ne fait que dans le plug-in hybride (PHEV) et le 100% électrique (BEV). Cela peut paraître logique, dans la mesure où le marché de l’électrique est principalement soutenu par les entreprises. Sur les 76.980 BEV nouvellement immatriculés en Belgique au cours du premier semestre, 87,7% l’ont été par des professionnels.

52%

des conducteurs belges en leasing considèrent les EV électriques chinoises comme un choix rentable.

Aujourd’hui, les marques chinoises adoptent toutefois une stratégie différente de celles qui avaient tenté le coup –sans succès– au début du XXIe siècle. Bien qu’elles semblent globalement moins chères que la concurrence, elles ne sont pas à la portée de toutes les bourses. «Elles proposent surtout des produits de milieu et de haut de gamme, qui n’ont absolument rien de low cost. Contrairement à ce que certains auraient pu attendre, les constructeurs chinois s’attaquent au marché automobile belge « par le haut »», analyse Christophe Dubon. 

Si ces marques proposent du plus haut de gamme que prévu, c’est certainement pour lutter contre le plus gros obstacle à leur pénétration du marché belge: l’image peu reluisante globalement associée à l’ensemble des produits venus de Chine. «Les Belges perçoivent généralement les produits chinois comme bon marché, mais de qualité sommaire. Les fabricants chinois doivent aussi faire face à l’image toujours incertaine des voitures électriques. Beaucoup de personnes se demandent toujours si elles sont fiables. Ce double problème les pousse à proposer des véhicules qui donnent belle impression. Plus on les verra dans les rues, plus la méfiance se dissipera», commente Philippe Vangeel, directeur opérationnel chez EV Belgium, la fédération de la mobilité électrique.

Ce déficit d’image est d’autant plus préjudiciable sur le marché des professionnels, les entreprises préférant s’en tenir aux marques premium européennes. «Lorsqu’un jeune diplômé est embauché par une société de consultance, il reçoit tout de suite une belle voiture allemande, ajoute Bart Jourquin (UCLouvain). Ni lui ni son employeur ne considèrent les marques chinoises comme attractives. Tesla est la seule marque qui a pu connaître un succès immédiat chez les professionnels sans avoir dû prendre du temps à se construire une image. C’est lié au fait qu’elle était la toute première à proposer un véhicule 100% électrique haut de gamme: certaines sociétés ont mordu à l’hameçon. Maintenant que tous les fabricants produisent des EV, il faut bien plus de temps pour se démarquer.»

Fini les maladies de jeunesse

A priori, les constructeurs chinois ont plusieurs atouts pour pénétrer le marché du leasing. D’abord parce que, même s’ils sont encore peu nombreux à franchir le pas, les employés et les entreprises sont prêts à voir ces marques s’imposer sur marché belge. Selon une étude réalisée auprès de ses clients par Ayvens (n°1 du leasing en Belgique), huit Belges sur dix s’attendent à ce qu’elles gagnent en importance. «Bien que l’incertitude persiste, 52% des conducteurs belges en leasing les considèrent comme un choix rentable», ajoute Xavier Kervyn, responsable communication d’Ayvens.

Les leasers et experts interrogés s’accordent à dire que le prix fait partie des arguments que peuvent mettre en avant les constructeurs chinois pour séduire tant les particuliers que les professionnels. Frédéric Bastin, représentant des mobility managers belges francophones, n’est toutefois pas encore convaincu. «L’intérêt réel des entreprises reste faible. Ces marques devraient être techniquement supérieures… pour un prix très inférieur. Ce n’est pas le cas actuellement, sauf au cas par cas dans les véhicules d’entrée de gamme», réagit-il.

«Certains semblent oublier qu’une partie des EV européens actuels sont équipés de batteries chinoises.»

Sur le plan technique, les fabricants chinois ont pourtant du répondant, estime Philippe Vangeel (EV Belgium): «Même si on est toujours sceptique en Europe, leurs batteries ont déjà été bien éprouvées dans leur propre pays. En quelques années, la Chine a énormément progressé en recherche et développement. Ils ont le savoir et le savoir-faire. Le made in Europe a bien meilleure presse, mais il est en réalité très difficile d’acheter une voiture dont tous les composants en sont issus. Certains semblent oublier qu’une partie des EV européens actuels sont eux-mêmes équipés de batteries chinoises», souligne-t-il.

Ce boom technologique chinois a été largement soutenu par l’Etat. «Les constructeurs ont obtenu quantité de subsides, assure Bart Jourquin. On peut assimiler cela à de la distorsion de la concurrence, que l’UE essaie désormais d’endiguer avec des taxes douanières. Mais cela ne change rien au fait qu’ils ont pu concevoir et développer leurs voitures dans des conditions économiques plus favorables que les fabricants européens. Les produits qu’ils proposent aujourd’hui sur notre marché ont déjà fait leurs maladies de jeunesse et sont de bonne qualité .»

Pour améliorer leur image, les fabricants chinois n’hésitent pas à s’allier à des noms reconnus pour gagner en légitimité. «Par sa filiation à Volvo, les gens qui achètent une Polestar ont l’impression d’acheter une voiture européenne. Même chose pour MG, qui était une marque anglaise de niche avant d’être avalée par un groupe chinois», illustre le professeur. Même chose pour la distribution: les marques chinoises passent par des distributeurs bien établis sur le marché belge. MG est importé par Astara (Hyundai, Suzuki), BYD par Inchcape (Toyota, Lexus). De quoi, espèrent-elles, rassurer sur la gestion de l’après-vente. «Nous sommes passés de neuf à 17 concessionnaires entre janvier et septembre 2025, et ce n’est pas fini», se réjouit Thomas De Meûter, chez BYD.

L’épineuse valeur résiduelle

Au rayon «obstacles», au-delà d’une image de marque à construire, les fabricants chinois doivent faire face à une législation européenne de moins en moins perméable. Depuis un an, les véhicules électriques importés de Chine se voient imposer des droits de douane allant jusqu’à 35%. Une réponse aux subventions jugées déloyales accordées par Pékin. «En parallèle, les pays qui offrent encore des primes à l’achat d’EV ne le font plus qu’à condition que le véhicule soit assemblé en Europe et que la batterie soit européenne. On est dans un modèle de plus en plus protectionniste qui peut réellement freiner la percée des constructeurs chinois chez nous. Ils pourraient répondre en installant des usines en Europe, mais ce n’est pas un processus qui se déploie en un an», épingle le Pr. Jourquin.

Un autre point épineux concerne plus spécifiquement le marché du leasing: la valeur résiduelle des véhicules électriques. Depuis quelques années, les leasers sont en délicatesse avec leurs EV. Leur prix de revente sur le marché de l’occasion ne cesse de baisser. «Cela s’explique notamment par l’arrivée de nombreux nouveaux modèles, par les évolutions technologiques et par les différences en matière de fiscalité pour les particuliers et les professionnels», énumère Tony Peetermans, chez Arval.

Les leasers préfèrent éviter de se prononcer sur la valeur résiduelle des EV chinois.

Pour l’instant, les leasers préfèrent éviter de se prononcer sur la valeur résiduelle des EV chinois. Mais ils ne sont pas les seuls acteurs que ce facteur embête. «Il s’agit d’un point clé dans le coût global des EV. La valeur résiduelle est déterminante quel que soit le mode de financement. Vu la « non-maturité » du marché de l’occasion électrique, acheter chinois est plus risqué qu’acheter européen», pointe Frédéric Bastin, à l’Association des Mobility Managers. 

Sur ce plan, une marque semble mieux dotée pour se démarquer: BYD. Le fabricant installé à Shenzhen produisait des batteries avant de se mettre aux voitures. «C’est clairement un élément que nous pouvons mettre en avant pour gagner la confiance des leasers», se félicite son représentant en Belgique.

La problématique de la valeur résiduelle pourrait toutefois ne plus se poser très longtemps, notamment du fait de la démocratisation des prix –poussée par les marques chinoises mais pas seulement. «A mesure que les EV seront plus accessibles, la demande se redressera sur le marché de l’occasion, ce qui pourrait permettre de rééquilibrer le tout», espère-t-on chez Arval.

2026, une fenêtre manquée?

Si l’électrification du parc des voitures de société progresse depuis plusieurs années, elle pourrait s’accélérer davantage en 2026. Car tout ce qui n’est pas à 100% électrique ne sera plus déductible (une exception est prévue pour les indépendants en personne physique), y compris les hybrides rechargeables. Cette déductibilité des BEV diminuera progressivement les années suivantes. Les conditions idéales pour pousser les marques chinoises à porter un grand coup sur le marché des professionnels? Pas forcément, répondent les observateurs, qui pensent que cette opportunité survient un peu trop tôt pour elles.

«Les fabricants chinois mettront du temps avant de relever leur principal défi, celui de l’image. Le marché finira par se rendre compte lui-même si leurs produits sont fiables ou non, mais cet obstacle ne sera pas franchi dès l’an prochain. A plus long terme, elles devraient y parvenir. On l’a notamment vu il y a 40 ans avec Skoda, qui était considérée comme une marque de seconde zone avant de réussir à s’établir, y compris au sein des entreprises», prévoit Bart Jourquin.

Reste à suivre l’évolution de la législation en matière de voitures de société, les débats sur le sujet se faisant de plus en plus vifs. «Nous sommes à peu près les seuls en Europe à encore offrir ce type d’avantages en nature. Cela crée objectivement un vrai problème d’équité fiscale. Si certaines forces sont parvenues à maintenir ce système jusqu’à présent, il n’est pas impossible que l’UE finisse par nous imposer du changement. Pour moi, il est impossible de prédire quel sera le régime en la matière d’ici à 2030. C’est un autre débat… mais il aura inévitablement des répercussions sur le marché du leasing et sur le succès des modèles chinois», conclut le spécialiste.

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