Dans le Hannover Cannabis Social Club comme dans d’autres cercles agréés, on s’apprête à vendre du cannabis aux membres consommateurs à partir du 1er avril. © Getty Images

Le cannabis récréatif dépénalisé en Allemagne: un encadrement strict et quelques incertitudes

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

La nouvelle loi entre en vigueur à partir du 1er avril. Elle prévoit une procédure complexe. Et suscite des interrogations sur son application.

Branle-bas de combat chez les consommateurs allemands de cannabis. Après des années de débats et de controverses, le gouvernement d’Olaf Scholz ouvre les portes à une dépénalisation par étapes, comme prévu dans le contrat de coalition qui unit depuis trois ans le SPD aux Verts et aux libéraux du FDP. Partout dans le pays, des clubs de consommateurs se mettent en place, à la recherche de locaux adaptés à la culture, de jardiniers au fait des besoins d’une plante résistante mais exigeante et aux rendements capricieux, et de spécialistes de la prévention, puisque chaque «club» de consommateurs devra avoir son protocole de protection de la jeunesse et de lutte contre l’addiction. De leur côté, les fournisseurs en ligne de graines, de serres, de systèmes d’éclairage LED ou d’irrigation font face à une demande accrue.

A la tête de l’association berlinoise de consommateurs Green Social Club depuis début 2023, Christian Schmidt est dans les starting-blocks. Son club regroupe 240 membres. La taille maximale des «cannabis social clubs», ces cercles de culture et de distribution prévus par la loi, est fixée à 500 membres. «Nous avons une liste de 3.000 à 4.000 candidats, précise ce Berlinois tranquille au regard attentif. Qui va-t-on choisir? C’est un peu comme pour une colocation, on regarde qui va « coller » avec le groupe. Nos membres paient dix euros de cotisation par mois. Tous les profils s’y retrouvent. On a des avocats, des retraités… Des personnes de tous âges. Le plus vieux a 77 ans. Et on compte environ 40% de femmes. Nous sommes un club très actif. Nous proposons des conseils en matière de culture, pour nos membres qui souhaiteraient cultiver des plantes chez eux, et nous avons entretenu de nombreux contacts en amont avec le monde politique, lors de la rédaction du texte.»

«Pour nous, l’atout du club, c’est surtout de pouvoir cultiver nous-mêmes du cannabis de qualité.»

Cultiver du cannabis

Selon le calendrier prévu par le gouvernement, la consommation sera dépénalisée le 1er avril. Les Allemands seront alors autorisés à posséder 25 grammes de cannabis sur eux, 50 grammes à la maison. La culture du cannabis sera autorisée dans une seconde étape, à partir du 1er juillet dans le cadre des clubs de consommateurs. «Nous planterons la première graine le 1er juillet, pour une première récolte en novembre», se réjouit Christian Schmidt, particulièrement satisfait de s’être assuré les services d’un spécialiste de la culture ayant accumulé de l’expérience en Espagne avant de rentrer en Allemagne. «Une très grande technicité est nécessaire, tout comme une culture entièrement automatisée pour avoir le moins de personnel possible et un produit de bonne qualité», précise le président de l’association.

Le jardinier du club, dont la rémunération ne pourra excéder 520 euros par mois, conformément à la loi, sera chargé de combiner au mieux éclairage, irrigation et engrais, en vue d’une récolte optimale. «Nous avons pour l’instant sélectionné 30 sortes de cannabis différentes. Nous en présenterons dix aux membres, pour qu’ils choisissent lesquelles seront cultivées, à raison d’une récolte par mois. Nous allons cultiver des variétés contenant maximum 10% de THC (NDLR: tétrahydrocannabinol, composé organique de la famille des cannabinoïdes), les seules autorisées pour les personnes âgées de moins de 25 ans, et des espèces plus concentrées pour les plus âgés qui le souhaitent.» Les exigences pour la culture du cannabis récréatif sont presque aussi strictes que celles appliquées au cannabis thérapeutique. Le cannabis vendu sur ordonnance en pharmacie est autorisé en Allemagne, depuis janvier 2017, dans certaines médications telles que les cancers, l’épilepsie ou la sclérose en plaques, mais les ventes restent modestes en raison, notamment, des réticences du corps médical.

«Nous avons sélectionné trente sortes de cannabis différentes. Nous présenterons un choix de dix sortes aux membres.»

Prix en dessous du marché

Pour l’heure, Christian Schmidt est en contact avec une association de prévention pour mettre en place le protocole de protection de la jeunesse prévu par la loi. Il est surtout à la recherche de locaux adaptés: 400 mètres carrés pour la plantation, à l’extérieur de Berlin, ainsi qu’un local en ville, pour l’activité du club. C’est là que les membres pourront venir acheter leur cannabis, dans les limites prévues par la loi: 50 grammes par adulte de plus de 21 ans et par mois. Mais hors de question de consommer sur place, selon les termes de la nouvelle loi. «Nous avons choisi un modèle de vente aux membres, 7 à 8 euros par gramme, sans tarif dégressif, car nous ne voulons pas encourager à consommer plus, précise Christian Schmidt. La politique de prix est laissée au choix des clubs. Selon un sondage réalisé auprès de nos membres, la consommation moyenne est de 18 à 20 grammes par personne et par mois.»

Sept à huit euros le gramme… C’est légèrement moins que sur le marché noir. «Aujourd’hui, dans la rue, il faut compter environ dix euros le gramme, précise Christian Schmidt. Pour nous, l’atout du club est surtout de pouvoir cultiver nous-mêmes un cannabis de qualité. Sur le marché noir, on ne trouve que du cannabis largement coupé, avec du sable quand on a de la chance, assez souvent avec du plomb et d’autres produits toxiques. Pour les dealers, la seule chose qui compte est de truquer le poids pour vendre plus cher. Les risques d’effets secondaires sont considérables.» La loi prévoit également la possibilité de cultiver chez soi jusqu’à trois plantes femelles, à l’abri du nez des voisins, qu’il sera interdit d’importuner avec les effluves de la culture domestique.

La consommation sera autorisée aux seuls adultes, dans la limite d’un périmètre de plus de 100 mètres des écoles et des clubs de jeunesse, et hors des zones piétonnes en journée.

A partir de juillet prochain, les clubs pourront lancer leur propre culture de cannabis. Une première récolte est attendue en novembre. © Getty Images

Les doutes de la police

A force de vouloir bien faire, la coalition a accouché d’un texte extrêmement complexe. Du moins aux yeux de la police et de la justice, qui se demandent comment contrôler et faire appliquer la nouvelle loi. «Le texte a deux objectifs: la protection de la jeunesse et la simplification du travail de la police et de la justice, rappelle Benjamin Jendro, porte-parole du syndicat des policiers GDP. La loi échoue sur les deux tableaux! On ne trouve rien dans le texte qui renforce la protection de la jeunesse. Quant au travail de contrôle de la police, il sera impossible. En théorie, lorsque quelqu’un fumera du cannabis en rue, il sera envisageable de l’accompagner à son domicile pour vérifier la quantité détenue à la maison. Comment procéderont nos collègues? Qui saura reconnaître une plante mâle d’une plante femelle ? Comment feront-ils pour contrôler le pourcentage en THC? Et puis, on a d’autres problèmes. Si la consommation est légale, alors, en théorie, les policiers ont eux aussi le droit de consommer… Mais que fait-on avec un collègue qui aurait consommé du cannabis à la maison? Peut-il ensuite venir travailler? Et quid du cannabis au volant?»

Même scepticisme du côté de la justice, alors que la loi prévoit l’amnistie des personnes condamnées pour un délit lié au cannabis qui ne serait plus pénalisé. Les tribunaux s’attendent à devoir rejuger, libérer et réhabiliter des milliers de personnes derrière les barreaux ou condamnées à des amendes liées à l’ancienne législation sur les stupéfiants.

«Quel policier saura reconnaître une plante mâle d’une plante femelle?»

Quel effet sur la consommation?

Jusqu’à la dernière minute, fin mars, lors du débat devant la seconde chambre du Parlement, le Bundesrat, l’approbation du texte a semblé pouvoir capoter sous la pression de la CDU et même des spécialistes de politique intérieure du SPD. «La police a mené une campagne inhabituelle contre la loi, estime Christian Schmidt. C’est difficilement compréhensible, d’autant qu’aujourd’hui déjà, elle ne fait pas respecter l’interdiction, ni à proximité des écoles, devenues un haut lieu du deal, ni dans les parcs publics. Quant à la circulation routière, il existe pour le cannabis des tests salivaires, un peu comme ceux pour détecter le Covid. Il faudrait juste que les policiers suivent une formation.» Un policier à la retraite, sous couvert d’anonymat, confirme: «Pour mes anciens collègues, il sera plus motivant de contrôler un vélo qui n’a pas les phares réglementaires qu’un dealer potentiel, dont on sait qu’il n’aura sur lui que les quantités autorisées. Avec la nouvelle loi, ce sera encore pire, puisqu’en théorie, les dealers aussi pourront posséder 25 grammes sur eux!»

Cette loi suscitera-t-elle une augmentation du marché noir, comme le soupçonne les forces de l’ordre? Voire dopera-t-elle la consommation, comme l’indique, en privé, un procureur voulant lui aussi conserver l’anonymat? Que le cannabis soit de longue date une réalité dans les rues de villes allemandes comme Berlin, Cologne ou Hambourg est une évidence. Mais il n’en va pas de même dans le sud conservateur du pays, notamment la Bavière, qui avait jusqu’ici une politique de tolérance zéro en matière de cannabis. La Bavière, qui redoute une hausse en flèche de la consommation, a d’ailleurs pris la tête de la fronde contre la libéralisation «que Berlin impose à l’ensemble du pays», selon le parti conservateur bavarois CSU.

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