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Les technologies qui permettent aux personnes porteuses de handicap de mieux accéder à l’emploi

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Grâce aux technologies inclusives, le numérique élargit l’employabilité des déficients visuels, mais aussi auditifs. En Belgique, 2021 marque d’ailleurs un tournant en matière de mobilité et d’accès à l’emploi pour les personnes en situation de handicap.

« Roger that? » Dans la marine et l’aéronautique américaine, voilà comment un pilote demande à un autre, par radio, s’il a bien reçu son message. Une phrase qui a inspiré les concepteurs d’une impressionnante application de communication baptisée RogerVoice. Cette petite merveille de technologie permet en effet de passer un coup de fil, sachant que la personne qui téléphone ou qui reçoit l’appel peut être aveugle, malvoyante, sourde, malentendante, aphasique, ou cumuler plusieurs de ces déficiences.

Créée en 2014 et mise à jour voici quelques semaines pour pouvoir être utilisée par des personnes à la fois sourdes et aveugles, RogerVoice met en oeuvre une logistique complexe impliquant une reconnaissance vocale et une intelligence artificielle (IA) qui permettent une retranscription en direct de la conversation, façon SMS, ainsi que l’intervention d’une tierce personne qui traduit tantôt les messages en braille, tantôt en langue des signes. L’app est disponible presque partout dans le monde et peut être utilisée aussi bien avec un téléphone qu’une tablette. Parfaite pour favoriser la communication dans la vie de tous les jours, RogerVoice offre également une meilleure inclusion dans le monde du travail, puisqu’elle permet, entre autres, de passer un entretien d’embauche, une commande, voire de converser avec un client.

Cap sur la mobilité

Pour les personnes porteuses d’un handicap visuel ou auditif, pouvoir mieux communiquer est crucial au quotidien mais aussi pour trouver un travail. Pouvoir se déplacer sans encombre l’est encore plus. Selon les chiffres d’une étude réalisée par La Ligue Braille en 2018, 43% des sondés expliquaient que la mobilité était de loin le principal obstacle identifié dans leur vie et l’un des freins majeurs d’accès à l’emploi. Toujours selon cette enquête, en Belgique francophone, plus de la moitié des malvoyants en âge de travailler sont sans emploi, alors qu’ils expriment leur envie de travailler.

S’il faut montrer du doigt la faiblesse de l’offre en matière de formation qualifiante, le problème s’enracine dans la société, à cause de préjugés tenaces: pour la plupart des employeurs, « un handicapé, c’est surtout une source de problèmes », comme le soulignait, en 2019, l’étude Handicap et pauvreté en Belgique. Penser cela, c’est ignorer qu’une personne déficiente visuelle qualifiée est potentiellement un excellent employé ou manager. Sa différence en fait quelqu’un de résilient, de débrouillard, de persévérant et capable de déléguer.

La déficience d’une personne n’est plus un handicap, c’est l’environnement inadapté à cette déficience qui constitue le handicap.

Depuis les années 1980, la définition du handicap a évolué. Aujourd’hui, ce n’est plus la déficience d’une personne qui est considérée comme un handicap, c’est l’environnement inadapté à ladite déficience qui constitue le handicap. Ainsi, le fait de ne pas conformer un poste de travail aux besoins d’une personne est ce qui la privera de l’emploi qu’elle aimerait exercer et donc la handicapera.

La mobilité et l’accessibilité à toutes les applications et à tous les sites Web du secteur public sont d’ailleurs devenues des obligations légales en Belgique depuis le 23 juin 2021 et l’entrée en vigueur d’une directive européenne datant de 2016. D’une façon plus générale, on peut dire que 2021 est une année historique, puisque la Constitution a été adaptée, ce qui n’arrive pas tous les jours. Désormais, selon l’article 22ter de notre loi fondamentale: « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables. » Un plan fédéral Handicap a même été mis en place jusqu’à la fin de la législature. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’en Belgique, une personne sur mille est aveugle et une sur cent malvoyante. Toujours selon l’OMS, 15,88% des malvoyants sont aveugles ou confrontés à l’obscurité totale. Les autres (84,12%) ont une vision partielle: perception des couleurs, du mouvement, de formes ou d’intensités de lumière.

En Belgique francophone, plus de la moitié des malvoyants en âge de travailler sont sans emploi, alors qu'ils expriment leur envie de travailler.
En Belgique francophone, plus de la moitié des malvoyants en âge de travailler sont sans emploi, alors qu’ils expriment leur envie de travailler.© GETTY IMAGES

Une formation unique en Belgique

C’est dans ce contexte de promotion de l’accessibilité et de la mobilité que l’asbl Eqla (ex-OEuvre nationale des aveugles) a mis sur pied une formation de codage numérique, unique en Belgique, destinée aux malvoyants et aux aveugles. Intitulée Blindcode, elle est organisée à Bruxelles et en Wallonie et a pour objectif l’inclusion numérique, en faisant d’une pierre deux coups: d’une part, elle permettra à huit personnes de se lancer dans le monde du travail (le numérique, avec l’administratif, est un des domaines professionnels adaptés aux déficients visuels) et, d’autre part, ces huit personnes apprendront à fabriquer des applications et des sites Web respectant les normes WCAG (Web content accessibility guidelines) afin d’aider d’autres gens en situation de handicap à se déplacer sur la Toile.

Une visite sur le site du Forem nous apprend qu’aujourd’hui, pas moins de six cents profils de développeurs informatiques et d’analystes de données sont recherchés par les entreprises wallonnes. D’une façon plus générale, il existe actuellement une pénurie de main-d’oeuvre dans les métiers liés aux technologies de l’information. Or, ceux-ci peuvent parfaitement être exercés par des personnes en situation de déficience visuelle. Beaucoup peuvent d’ailleurs être effectués à distance et dans le contexte actuel de développement (contraint ou volontaire) du télétravail, il y a là un vivier potentiel de jobs accessibles aux non ou malvoyants.

La technologie met également le paquet sur l’amélioration concrète des déplacements. Aux Etats-Unis, par exemple, l’université de Géorgie vient de finaliser un sac banane parlant susceptible de remplacer la canne blanche et qui, grâce à un arsenal comprenant un GPS, une caméra, une IA, un assistant vocal et le Bluetooth, peut guider la personne malvoyante ou aveugle jusqu’à bon port, tout en lui décrivant son environnement dans ses écouteurs.

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