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Ce nouveau dispositif prédit les « coulées de déchets »

Stagiaire Le Vif

Les villes-décharges sont une réalité vécue par des millions de gens. Beaucoup s’y installent, car ils n’ont pas le choix et connaissent pertinemment les risques encourus : les maladies, la pauvreté et les coulées de déchets. Des chercheurs australiens ont développé un programme pour les anticiper et aider les gens qui y travaillent et y vivent.

Se lever, explorer les détritus, vendre ses trouvailles et survivre. Tel est le quotidien des 15 millions de gens qui vivent dans ces « villes-décharges ». Ils y construisent des maisons de fortune en bois, en taule, en plastique et en tout ce qui peut leur être utile. Des ordures ménagères et toxiques en tout genre jalonnent ces paysages presque apocalyptiques. À force de s’accumuler, ces montagnes d’ordures sont susceptibles de s’effondrer à tout moment.

La plus grande décharge des Philippines se trouve à Manille. A quelques arrêts de métro de la riche ville, les Smokeys Moutains pointent le bout de leurs nez. En 2000, une montagne de quinze mètres de haut et de cent mètres de large s’est effondrée à la suite de typhons successifs, faisant 200 victimes. Mais ce n’est pas un accident isolé. En 2017, un éboulement de déchets à Addis Abeba a provoqué la mort de 113 personnes et a détruit de nombreuses maisons.

Piégés sous un amas de déchets, les chances de survies sont quasi nulles. En effet, la nature des matériaux est propice à la formation de méthane qui se crée sous ces gisements. Il agit comme un poison. Selon le rapport de la Banque Mondiale « What a waste 2.0 », le monde produit aujourd’hui 2,01 milliards de tonnes de déchets par an et les chiffres risquent d’atteindre 3,40 milliards de tonnes annuelles d’ici 2050.

Une bombe à retardement

Un groupe de scientifiques australiens ont récemment développé un programme informatique capable de prévoir les coulées de déchets jusqu’à deux semaines à l’avance. Un laps de temps suffisant pour permettre aux habitants de se mettre en lieu sûr et aux ingénieurs de sécuriser la zone. L’application IA se sert des mathématiques appliquées pour détecter la moindre anomalie dans ces piles de déchets : des glissements subtils et des fissures infimes, signes d’une chute imminente. A l’avenir, ce système pourrait peut-être servir à entretenir les montagnes de déchets dans ces nouvelles villes et empêcher ces catastrophes.

« Nous avons étudié des données relatant les mouvements des matériaux granulaires pour comprendre leur ‘rythme de chute » explique Antoinette Tordesillas, professeur à la faculté des sciences de l’Université de Melbourne et auteure principale de l’étude dans une interview à la BBC. Les scientifiques ont utilisé toutes sortes de matériaux granulaires dans leur étude pour appuyer leurs hypothèses (sable, pierre, céramique, béton, etc.). Ils ont créé un amoncellement avec chaque matériau jusqu’à l’échec, c’est-à-dire à l’écroulement de l’amas solide du matériau. « Nous avons remarqué une sorte de schéma récurrent dans les étapes précédant la chute. »

Sa technologie utilise les lois de la physique pour « guider l’IA et lui permettre d’identifier le modèle d’action le plus efficace’ : un algorithme qui prend en compte le mouvement du sol, la dynamique d’échec et les éléments extérieurs comme la pluie (qui diminue l’adhérence entre les particules et les déchets) afin de créer une base de données fiable. Elle pourrait servir à l’avenir d’alarme pour des zones à risques comme les villes-décharges, les mines sous-terrines et les zones d’avalanche.

Une équipe de recherche en Ethiopie après la catastrophe.
Une équipe de recherche en Ethiopie après la catastrophe.© Reuters

Matériaux instables

Contrairement aux pentes naturelles, les montagnes de déchets ne se sont pas formées à partir de matériaux stables. Elles sont maintenues grâce à du verre, de la matière organique, du métal, de la pierre. Ce sont des éléments facilement amovibles et donc incapables de supporter des perturbations intenses.

Une montagne naturelle a mis des milliers d’années à se former. Ses pentes sont constituées de particules de terre (terre, argile, pierre, etc.) qui ont fusionné entre elles. Elles ont donc une nature beaucoup plus stable tandis que les montagnes d’ordures bougent petit à petit à la moindre perturbation en raison de leur caractère granuleux. Les facteurs sont nombreux : un mauvais compactage des ordures, un mauvais approvisionnement des voies de drainage, la décomposition des déchets organiques, les glissements souterrains provoqués par des explosions de méthane formées par les détritus, et enfin, l’amoncellement excessif de déchets dépassant la quantité recommandée.

« Certains de ces facteurs rendent le phénomène plus difficile à prédire que les coulées de terre », explique Isaac Akinwumi, professeur en ingénierie géotechnique à la Convenant University au Nigéria, dans une interview à la BBC. Le traitement des ordures est très différent dans les pays en voie de développement. Il est généralement beaucoup moins régulé et compacté différemment que dans les pays riches. Et ces différences contribuent malheureusement à l’amoncellement instable de déchets. « Si le programme du professeur Tordesillas arrive à prédire les éboulements de déchets, il pourra également devenir un outil vital pour empêcher les coulées de boues » ajoute Akinwumi.

Un tel système d’intelligence artificielle pourrait être, certes, très utile pour optimiser la communication entre les services d’urgences et les habitants. Mais l’équipe de scientifiques et les organisations de traitement des déchets avec qui elle collabore devront surmonter des défis financiers et politiques .

Il faut d’abord prouver la fiabilité de leur appareil auprès d’experts. L’installation des technologies et l’évaluation des risques coûteront de l’argent aux opérateurs locaux. Les autorités risquent également d’avoir des difficultés à évacuer correctement les gens. De plus, cette technologie ne permettra pas d’éliminer toute les problématiques environnementales et épidémiques liées aux déchets.

Les coulées de déchets seraient donc un phénomène auquel il faudra simplement s’adapter ? Selon certaines associations majeures dans le domaine des ordures insistent pour que ces décharges soient remplacées par des installations plus modernes ou qu’elles soient mieux régulées. « Cela vaut la peine de tester cette technologie pour voir si elle peut apporter une solution à ce problème grandissant » dit David Biderman, PDG de l’entreprise de service public Waste Association of North America (SWANA).

Les montagnes de déchets ne datent pas d’hier et risquent d’affecter les pays plus lointains dans le futur. L’accroissement de la population risque de mener à un surplus de déchets et il est désormais urgent de trouver un moyen pour les traiter de façon durable et efficace. Cette technologie IA n’est pas la solution à tous nos problèmes et elle est encore très jeune, mais elle pourrait potentiellement révolutionner les efforts de secours en cas de catastrophe, grâce à son approche géociblée. Elle permettrait une prévention et intervention efficace de la part des services internationaux.

Traduit par Thomas Bagnoli

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