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Une sacrée paire| « Toujours est-il que les hommes avaient changé. Ils avaient cessés d’être des assistés »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Elles devaient avoir envie d’évasion. Ça devait être ça, forcément. Leurs mecs avaient dû insister « mais non, chérie, vraiment, tu en fais déjà tellement, j’y vais », mais elles avaient besoin de s’enjailler en achetant des tomates pelées, d’exulter en attrapant le dernier paquet papier WC, de se réjouir en repérant un gin non encore testé.

Alors ces dames – une quinzaine – faisaient la file de caddies, cet après-midi-là, devant le Carrefour de Nivelles. Parce que c’était le clou de leur semaine de confinées. Certainement pas parce qu’il s’agit d’une corvée et qu’elles étaient les seules, à la maison, à s’en charger.

Quelle archaïque idée. C’était avant le Covid-19, ça ! Durant cette étrange période où, même dans les familles où monsieur ne bossait pas, contrairement à madame, il continuait à moins faire le ménage qu’elle (18 heures par semaine, contre 23). Pareil quand ils trimaient chacun à temps plein : 19 heures hebdomadaires pour elle, 13 heures pour lui. C’est un organisme scientifique public très sérieux – l’Iweps – qui avait calculé tout ça, alors que la Belgique était encore en quarantaine.

A la même époque, une autre étude tout aussi sérieuse et scientifique – de l’UCLouvain – avait mis au jour que le corona induisait un mal-être psychologique chez 56 % des femmes, contre 42 % des hommes. Pour plusieurs hypothétiques raisons, dont celle des  » conflits de rôle sans doute aiguisés par la situation « , selon l’auteur de l’enquête, le sociologue Vincent Lorant. Plus platement dit, parce que bobonne se tapait principalement nettoyage, repassage, astiquage, enfantage, alors que pépé n’avait plus l’excuse d’être débordé.

Des milliers de fois, qu’elle lui avait hurlé  » espècedepourrijesuispastamère, remuetoilapaire  » et que ça n’avait strictement rien changé. Mais quelque part vers le trente-cinquième jour d’enfermement, un phénomène étrange, presque surnaturel, s’était produit. Comme ça, sans que quiconque comprenne pourquoi, tel un virus chinois.

Les intellectuels, bien des décennies plus tard, continueraient à émettre des hypothèses. Estimant que tout cela avait débuté lorsque le monde avait réalisé qu’il pouvait momentanément se passer de maçons, de mécaniciens, d’ingénieurs, de managers. Mais pas – même pas une journée – de médecins, d’infirmières, de pharmaciennes, de caissières. Pendant que toutes celles-là avaient continué à travailler, qu’il n’y avait plus d’école, plus de garderie, plus de grands-parents pour suppléer, les compagnons avaient dû assumer. Ou alors la pandémie les avait rendus fous. Un effet secondaire insoupçonné. Certains égalitosceptiques n’en démordraient pas.

Toujours est-il que les hommes avaient changé. Ils avaient cessé d’être des assistés. Ils avaient réalisé l’importance d’éduquer leurs gamins, même s’ils ne les avaient pas portés. Ils avaient trouvé normal de cuisiner et de récurer, puisqu’eux-mêmes mangeaient et salissaient. Ils s’étaient même mis à rabaisser la lunette des WC.

Les femmes avaient changé. Elles avaient cessé d’être des assistantes. Elles avaient réalisé l’importance de laisser une réelle place aux pères. Elles avaient arrêté de craindre d’être moins aimées, si elles ne s’empressaient pas de cuisiner et de récurer. Elles avaient même stoppé de s’exciter pour des lunettes de WC non rabaissées.

 » Madame ? Madame !  » Une voix, derrière, étouffée par la distance sociale et le tissu d’un masque. Dans la file, la cliente de devant avait avancé jusqu’à la porte d’entrée. La barre du caddie, là où les listes de courses sont accrochées, ça laisse de sales traces, sur une joue. Bon. Où sont les tomates pelées ?

Girl power

L’une les coud, l’autre les brode. Un grand drama queen sur du coton uni, ça s’accorde avec toutes les tenues. Et puisqu’on va tous devoir sortir masqué.e.s… L’auteure Myriam Leroy et la journaliste Florence Hainaut confectionnent des masques, donc, comme beaucoup d’autres pour le moment. Mais les bénéfices de leurs créations seront reversés à Utsopi, un collectif des travailleurs et travailleuses du sexe, dont l’activité a été particulièrement touchée lors de la quarantaine. Plusieurs associations de soutien aux sans-abris aident désormais un nouveau  » public  » : les femmes qui ne peuvent plus se prostituer et qui se retrouvent sans revenus, leur métier étant rarement déclaré.

80 %

Une sacrée paire|
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d’activité en moins : tel est le constat tiré par les 42 centres de la Fédération laïque des planning familiaux. Les consultations pour dépistage d’infec- tions sexuellement transmissibles, prescriptions de contraceptifs et même les IVG sont en net recul. Dans une lettre adressée à Sophie Wilmès (Première ministre) et Maggie De Block (Santé), la Fédération s’inquiète d’un boom des grossesses non désirées et d’une vague d’avortements (trop) tardifs.

C’est ça de gagné

jenesuispasseule@protonmail.com : cette adresse mail a été créée, mi-avril, par un groupe de militants français luttant contre le cyberharcèlement et le revenge porn. Durant le confinement, une augmentation de  » comptes fishas  » a été constatée. Ceux-ci diffusent des photos dénudées, le plus souvent de filles (sans leur consentement, évidemment) sur les réseaux sociaux. Nuire aux autres occuperait certains, en quarantaine… Le collectif Stop fisha a donc décidé de traquer ces comptes et de permettre aux victimes de le contacter par mail, pour demander des conseils juridiques ou simplement pour témoigner.

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