« Tous les bénéfices des antibiotiques risquent d’être anéantis »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

En 2017, la Belgique était le 9e plus gros prescripteur d’antibiotiques au niveau européen. Le Centre Fédéral d’expertise des Soins (KCE) tire la sonnette d’alarme sur cet usage excessif.

C’est un fait alarmant et avéré: un usage excessif et inapproprié d’antibiotiques rend les bactéries de plus en plus résistantes avec comme conséquences des maladies plus longues, des hospitalisations plus fréquentes et plus de décès. La Belgique est championne en consommation d’antibiotiques. Neuvième plus gros prescripteur d’antibiotiques en Europe, elle n’est précédée que par la France et la Grèce, où les médicaments s’y vendent au marché noir depuis des décennies.

Le KCE, le Centre Fédéral d’expertise des Soins de santé, tire la sonnette d’alarme. Il formule 21 recommandations notamment à l’adresse des médecins généralistes, qui, en tant que prescripteurs, sont les premiers acteurs dans la chaîne de consommation de ces médicaments. Et il y a urgence, car « tous les bénéfices des antibiotiques risquent d’être anéantis » alarme le centre. Selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, la résistance croissante aux bactéries provoquera en moyenne 33.000 décès sur le sol européen entre 2015 et 2050. Pour certains experts, si rien ne change, la planète connaîtra bientôt un « âge de pierre antibiotique » où des accidents et des maladies aisément traitables à l’heure actuelle entraîneront des décès, sans que les médecins n’y puissent plus rien, avance Le Soir.

« Nous sommes en train de perdre la bataille »

Interviewé par Le Soir, le docteur Frédéric Frippiat, chargé de cours adjoint à la Faculté de médecine de l’ULiège et attaché au Service de maladies infectieuses du CHU de Liège, est d’avis que « nous sommes en train de perdre la bataille« . Il explique : « C’est très comparable avec la question du réchauffement climatique. Le constat est posé depuis des années, des ressources essentielles sont en train de disparaître et on se contente de quelques incantations. »

Paul Tulkens, professeur émérite en pharmacologie à l’UCL, rappelle sur les ondes de la RTBF, l’importance de ne pas prescrire des antibiotiques à tout va : « Il faut traiter par antibiotique dès qu’on est sûr d’être face à une infection bactérienne. Le bon exemple, c’est la pneumonie. Elle est très souvent bactérienne, mais elle peut aussi être d’origine virale« , explique-t-il. Le professeur insiste sur la formation des médecins généralistes. Ceux-ci doivent effectuer le bon diagnostic, une tâche souvent difficile. Une infection virale peut devenir bactérienne. Elle peut aussi rester dans le seul spectre du virus. Paul Tulkens invite par ailleurs les médecins généralistes à résister à la pression du patient. « Il faut que le patient accepte la possibilité qu’un médecin généraliste ne prescrive pas« , insiste-t-il.

Car le patient, de son côté, met souvent la pression sur son médecin pour obtenir des antibiotiques. La médecin Marie Hechtermans interviewée par la RTBF explique en effet qu’il n’est pas rare qu’elle reçoive en consultation un patient qui exige un antibiotique avant même d’être passé sur la table d’auscultation. Elle privilégie alors le dialogue avec ce dernier.

« Ce n’est pas le patient qu’il faut responsabiliser »

Depuis mai 2017, les antibiotiques ne sont plus remboursés comme les médicaments de catégorie B, mais comme ceux de catégorie C, ce qui entraîne une hausse des prix pour les patients. Cette diminution de remboursement décidée par le gouvernement fédéral pour s’attaquer à leur surconsommation, n’a pas eu l’effet escompté, constate la Mutualité Chrétienne (MC) sur base de ses propres chiffres. Il ressort des chiffres de la MC que le nombre d’utilisateurs et le volume d’antibiotiques ont baissé d’à peine 1% dans l’année qui a suivi l’introduction de la disposition, c’est-à-dire entre le 1er mai 2017 et le 30 avril 2018.

« Une diminution très faible, difficilement imputable à la hausse du coût à charge des patients puisque, ces dernières années, la consommation d’antibiotiques a toujours varié à la hausse comme à la baisse d’environ 3% », souligne-t-on. « C’est en soi une noble intention, mais nous avions prévenu la ministre fédérale de la Santé que la mesure n’était pas la bonne« , réagit Jean Hermesse, secrétaire général de la Mutualité Chrétienne, cité dans un communiqué. « Ce n’est pas le patient qu’il faut responsabiliser, car ce n’est pas lui qui décide de prendre des antibiotiques. Ce sont les médecins qui les prescrivent. »

Face à la problématique persistante de la surconsommation d’antibiotiques en Belgique et aux problèmes de résistance des bactéries que cela entraîne, la MC suggère donc de faire davantage d’efforts pour inciter les médecins à adopter un comportement prescriptif responsable. La MC se dit favorable à une responsabilité financière des médecins. « Celui qui prescrit beaucoup d’antibiotiques sans raison valable devrait supporter lui-même une partie des dépenses« , juge la MC. « 

En réponse à ce constat, la ministre de la Santé, Maggie De Block a souligné que les prix plus élevés des antibiotiques font partie d’une stratégie plus large pour limiter leur usage. Parmi d’autres actions, elle évoque les campagnes annuelles de sensibilisation à destination de la population ou encore celles promouvant l’hygiène des mains dans les hôpitaux. Les médecins généralistes reçoivent par ailleurs des retours personnalisés quant à leur attitude en matière de prescription, mais aussi des recommandations sur les bonnes pratiques, poursuit-elle.

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