Certains lots de chocolats Kinder (Ferrero) sont au centre d'un nouveau scandale alimentaire. Comment l'expliquer? © belga

Scandale alimentaire Kinder: pourquoi le chocolat est connu « comme étant un aliment à risque »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les deux scandales alimentaires qui touchent simultanément Ferrero (Kinder) et Nestlé (Buitoni) remettent la question de l’hygiène des grands industriels au centre de l’actualité. Quels risques pour le consommateur? Comment expliquer ces accidents? Le point sur la situation avec Georges Daube, expert en hygiène alimentaire (ULiège).

A deux semaines de Pâques, plusieurs dizaines de cas de salmonellose ont été détectés en Europe, les soupçons se tournant vers des produits chocolatés Kinder fabriqués en Belgique et rappelés par le fabricant Ferrero.

Mercredi dernier, les autorités sanitaires françaises ont établi un lien entre des pizzas surgelées de la marque Buitoni, du groupe Nestlé, et plusieurs cas graves de contamination par la bactérie E.coli. Des dizaines d’enfants français sont tombés malades, et deux sont morts, bien que le lien n’ait pas été confirmé pour ces deux décès.

Pour mieux comprendre comment apparaissent ces accidents alimentaires, Le Vif fait le point en 10 questions en compagnie de Georges Daube, expert en hygiène alimentaire (ULiège).

  • 1. Ces cas de figure (Kinder et Buitoni) sont-ils préoccupants?

On n’est jamais à l’abri de maladies liées aux aliments. Ces cas de figure sont bien connus dans nos pays. « Ces vingt dernières années, le mode de contamination a fort changé. Avant, il s’agissait de maladies animales qui se transmettaient à l’homme. Maintenant, ce sont des germes qui sont naturellement présents chez les animaux ou dans l’environnement et qui contaminent nos aliments », contextualise Georges Daube, spécialiste en hygiène alimentaire. Aujourd’hui, les animaux peuvent être porteurs « sains » de ces maladies, ce qui les rend difficilement détectables. « Des contaminations d’aliments, c’est toujours possible. Les pratiques dans l’industrie agroalimentaire visent justement à minimiser ce genre de contaminations, mais le risque zéro n’existe pas. Retrouver des foyers de ce type n’est donc pas étonnant. »

  • 2. En quoi les grosses industries agroalimentaires sont-elles une source de risques?

« Le problème avec les grosses multinationales, c’est qu’elles produisent des lots énormes. Et donc, les conséquences sont démultipliées. Un même produit est envoyé dans plusieurs pays. On se retrouve donc régulièrement avec des cas qui s’étendent à l’international. »

  • 3. Comment la lutte contre ces accidents alimentaires a-t-elle évolué au cours du temps?

On a connu une suite de périodes. Il y a un siècle, il s’agissait de maladies humaines qui se transmettaient à l’homme (le choléra, par exemple). Depuis lors, l’hygiène a évolué, les stations d’épuration et l’eau potable les ont éliminées. « Au niveau animal, on a supprimé des maladies importantes qui avaient des répercussions économiques. Aujourd’hui, il reste des maladies qui sont sous-jacentes car elles ne sont peu ou pas perceptibles dans le monde animal. Malheureusement, l’homme y est sensible. »

  • 4. Quels sont les risques des bactéries liées aux scandales Kinder et Buitoni?

Concernant le cas de Buitoni avec la bactérie E.coli, ce sont des bactéries présentes chez les animaux, mais qui ne les rendent pas malades. « Elles peuvent donc peuvent contaminer des aliments en direct ou par contamination croisée. Les salmonelles (Kinder), c’est la même chose : la salmonelle de l’homme a été éradiquée, mais il reste des salmonelles qui sont portées chez les animaux avec peu de symptômes, et qui peuvent toucher des aliments. Dans le cas du chocolat, il s’agit clairement de contaminations d’origine animale, fécales« , explique Georges Daube, qui pointe une préoccupation spécifique liée au chocolat. « Le problème du chocolat, c’est que les bactéries y sont préservées par la matière grasse. Le chocolat est bien connu comme étant un aliment à risque parce que de très faibles doses peuvent donner la maladie. Avec un autre aliment, la maladie est détruite dans l’estomac. Avec le chocolat, elle n’est pas détruite dans l’estomac, elle arrive dans l’intestin grêle, se multiplie et cause la maladie », explique-t-il.

« En général, les salmonelloses ne sont pas mortelles. Les cas sont plus préoccupants chez les enfants car ils sont plus rapidement déshydratés. Mais normalement, on ne meurt plus, chez nous, de salmonellose. Par contre, les bactéries E.coli, c’est costaud. Si elles touchent des jeunes enfants ou des personnes âgées, elles peuvent toucher les reins de façon très grave. C’est beaucoup plus préoccupant et c’est une bactérie qui est vraiment très difficile à maîtriser », alerte l’expert.

Ce faisant, ce sont des cas de figure qui sont emblématiques et très bien connus par les scientifiques. Le problème avec Kinder et Buitoni est le nombre important de lots contaminés. « Même si le risque n’est pas grand, comme il y a beaucoup de produits, cela peut faire des centaines de malades. »

  • 5. Pourquoi les grandes industries alimentaires sont souvent visées?

Ce genre d’accident peut arriver partout, mais dans les grosses industries, le risque est multiplié par le volume de production. « Au final, c’est moins fréquent dans les grosses entreprises, parce qu’elles ont plus de procédures de prévention, mais quand cela arrive, c’est beaucoup plus grave. Il est également plus facile de détecter des foyers importants que quelques cas isolés dans une région. De façon générale, « toutes les denrées alimentaires crues, qu’elles soient végétales ou animales, sont à risque. Elles contiennent des micro-organismes pathogènes. Il y a donc des risques. D’où la nécessité de traitements assainissants dans le processus de fabrication. »

  • 6. Certains syndicats accusent les grands industriels de bafouer certaines mesures d’hygiène pour réduire leurs coûts et augmenter leur production, avec moins de contraintes. Est-ce une réalité?

Les grandes entreprises doivent remplir une série de certifications et de contrôles externes. Au niveau législatif, il y a donc plus d’exigences pour les grosses entreprises que pour les petits producteurs. « Cependant, la fraude peut exister partout. On ne peut pas garantir qu’il n’y a aucun problème dans les grandes entreprises. Mais a priori, elles sont plus contrôlées », détaille Georges Daube. « Dans les deux cas actuels, on ne peut pas encore dire s’il s’agit d’un accident ou d’une fraude. Pour le chocolat, c’est moins étonnant, mais pour les bactéries E.coli dans les pizzas, ils auraient dû pouvoir les éliminer. C’est plus interpellant de retrouver cette bactérie qui est normalement détruite par la cuisson (ces produits ont été précuits, et recuit par le consommateur). » Pour l’expert en hygiène alimentaire, « c’est plus difficile à comprendre. »

  • 7. Constate-t-on davantage de rappels alimentaires actuellement que dans le passé?

Oui, il y a plus de rappels, car toute la chaîne de contrôle est mieux organisée. Avec le régulateur européen, les rappels sont désormais transfrontaliers. « Dans la microbiologie, on a de meilleurs outils pour typer et caractériser les bactéries. C’est donc plus facile, aujourd’hui, de relier des cas. Par exemple, si des cas de salmonelles contiennent la même souche, on sait que l’origine est la même et on la retrouve facilement. Avant, quand on avait des cas de salmonelles, on ne savait pas d’où elles venaient. On est donc plus pointus pour arriver à tracer les bactéries », explique Georges Daube.

« Concernant les outils de typage de souches, on a fait un bond extraordinaire depuis 10 ans. On peut comparer des génomes en 48 heures. Avant, c’était impossible à faire. C’est grâce à cela qu’on arrive à pointer l’origine. Aujourd’hui, on sait donc réagir et prendre des mesures adéquates rapidement. »

  • 8. En quoi la présence d’E.coli dans des pizzas précuites est-elle interpellante?

« En général, le risque est plus présent en consommant des viandes crues. La cuisson détruit la bactérie. Dans les produits qui ont été transformés, comme les filières de pizzas industrielles précuites, il ne devrait pas y en avoir. S’il y en a, c’est qu’il a vraiment quelque chose de grave qui s’est passé. Le risque existe chez nous aussi, car nos bovins sont porteurs, tout comme les bovins français. Les foyers qu’on a eus avec cette bactérie en Belgique ont toujours été associés à la consommation de filet américain, de viande hachée crue de boeuf. Ce n’est donc pas classique que cela touche des pizzas précuites. »

  • 9. La bactérie E.coli peut-elle être présente dans d’autres aliments que la viande de boeuf crue?

« L’autre grand foyer de cette bactérie se situe dans les fromages au lait cru. On ne sait pas les détruire, comme il n’y a pas de traitement thermique. Dans le lait, il y a toujours un peu d’E.coli, et donc le risque existera toujours dans les fromages au lait cru. D’autant plus que la dose minimale infectieuse est faible. Il suffit d’ingérer une cinquantaine de ces bactéries. Comme la source se trouve dans les matières fécales animales, il faut raisonner en se demandant s’il peut y avoir une contamination fécale animale et s’il y a un traitement assainissant ou non. S’il y a une possibilité de contamination sans traitement assainissant, il y a un risque. Dans un produit qui a été traité thermiquement, comme c’est le cas avec les pizzas précuites, elle doit être théoriquement détruite. Donc, ce n’est peu compréhensible, même si l’on ne sait toujours pas s’il s’agit d’une fraude ou d’un accident. »

  • 10. Suite à la guerre en Ukraine, divers risques de pénurie apparaissent. Au point que certains produits vont probablement changer leur composition. Est-ce une manipulation dangereuse?

« Je ne dirais pas ‘dangereuse’, car on parle plutôt de pénuries avec des produits d’origines végétales. Au niveau du risque microbiologique, ça ne devrait pas être majeur. Les souches de contaminations par des micro-organismes sont surtout liées à des contaminations fécales animales. Mais il est certain que si une entreprise doit changer de fournisseur, et a fortiori de matière première, elle n’aura peut-être pas eu le temps d’analyser tous les dangers qui sont associés. Elle mettra donc peut-être sur le marché des produits qui n’ont pas été totalement validés. Il est certain qu’il y a un risque théorique dans ce cas de figure. Mais il faut encore voir quelles matières premières sont concernées. Au niveau des céréales et des huiles de tournesol, il y a plutôt des risques chimiques, mais pas microbiologiques. Au niveau de l’UE, les entreprises sont obligées de réaliser leur autocontrôle. C’est elles qui ont la responsabilité de mettre sur le marché des produits qui sont sans risque. Dans l’UE, tous les producteurs doivent donc mettre en place ces procédures-là, qui sont vérifiées par les autorités de contrôle national. En l’occurrence, l’Afsca en Belgique. Mais également par des organismes tiers qui sont accrédités. »

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