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Pourquoi les vidéoconférences sont-elles si épuisantes ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Durant cette période de confinement, les vidéoconférences nous permettent de continuer à travailler et garder le contact avec nos proches. Mais pourquoi cette manière de communiquer nous épuise-t-elle autant ?

L’écran se fige. La voix devient métallique et se coupe. Une dizaine de visages vous fixent. Il y a les réunions de travail, les rendez-vous individuels et puis, une fois la journée terminée, les rencontres avec les amis et la famille. Depuis le début de la pandémie de coronavirus, nous utilisons la vidéoconférence plus que jamais et beaucoup d’entre nous trouvent cela épuisant.

Qu’est-ce qui nous fatigue exactement ? Pour le savoir, un journaliste de la BBC s’est entretenu avec Gianpiero Petriglieri, professeur associé à l’Insead, qui étudie l’apprentissage et le développement durables sur le lieu de travail, et Marissa Shuffler, professeure associée à l’université de Clemson, qui étudie le bien-être sur le lieu de travail et l’efficacité du travail en équipe, pour connaître leur point de vue.

Plus de concentration

Selon Gianpiero Petriglieri, un appel vidéo demande plus de concentration qu’une discussion en face à face. La vidéo implique que notre cerveau doit se concentrer davantage pour traiter les signaux non verbaux comme les expressions faciales, le ton et le volume de la voix et le langage corporel. Prêter plus d’attention à tous ces éléments nous demande beaucoup d’énergie.

Le silence, un autre défi

« Le silence crée un rythme naturel dans une conversation de la vie réelle. Cependant, lorsqu’il se produit dans un appel vidéo, cela nous inquiète à cause de l’utilisation de la technologie », explique Gianpiero Petriglieri.

Cela met également les gens mal à l’aise. Une étude réalisée en 2014 par des universitaires allemands a montré que les retards dans les systèmes de téléphonie ou de conférence façonnaient négativement notre perception des gens : même des retards de 1 ou 2 secondes faisaient que les gens percevaient leur interlocuteur comme moins amical ou moins concentré.

Se sentir regardé

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Un facteur supplémentaire, selon Marissa Shuffler, est que lorsque nous sommes physiquement devant la caméra, nous sommes très conscients d’être observés. « Quand vous êtes en vidéoconférence, vous savez que tout le monde vous regarde. Vous êtes sur scène, donc il y a la pression sociale et le sentiment que vous devez faire une performance. Or, être performant est éprouvant et plus stressant ». Il est également très difficile pour les gens de ne pas regarder leur propre visage s’ils peuvent le voir à l’écran, ou de ne pas être conscients de leur comportement devant la caméra.

Pourtant, si les appels vidéo s’accompagnent de facteurs de stress supplémentaires, notre fatigue ne peut pas être attribuée uniquement à cela. Les circonstances – qu’il s’agisse de confinement, de quarantaine, de travail à domicile ou autre – y contribuent également.

Gianpiero Petriglieri pense que le fait que nous nous sentions obligés de passer ces appels peut être un facteur de fatigue supplémentaire. L’appel vidéo met face à nous les personnes que nous avons perdues temporairement. « C’est ce que l’on ressent à chaque fois que l’on voit quelqu’un en ligne, par exemple un collègue, qui nous rappelle que nous devrions vraiment être ensemble sur le lieu de travail », dit-il. « Ce que je constate, c’est que nous sommes tous épuisés. Peu importe qu’on soit introverti ou extraverti. Nous vivons tous la même perturbation pendant la pandémie ».

Séparation travail/vie privée

Il y a également le fait que des aspects de notre vie qui étaient autrefois séparés – le travail, les amis, la famille – se déroulent maintenant tous dans le même espace et devant un écran.

La théorie de l’auto-complexité affirme que les individus ont de multiples facettes. Ainsi, leurs rôles sociaux, leurs relations, leurs activités et leurs objectifs dépendent du contexte. Cette diversité est saine, dit Petriglieri. Lorsque ces facettes sont réduites, nous devenons plus vulnérables aux sentiments négatifs.

Imaginez que vous alliez dans un bar, et que dans le même bar vous parliez avec votre supérieur, rencontriez vos parents ou sortiez avec quelqu’un, ne serait-ce pas étrange ? C’est pourtant ce que nous faisons actuellement…

« La plupart de nos rôles sociaux se déroulent dans des endroits différents, mais maintenant le contexte s’est effondré », explique M. Petriglieri. « Imaginez que vous alliez dans un bar, et que dans le même bar vous parliez avec votre supérieur, rencontriez vos parents ou sortiez avec quelqu’un, ne serait-ce pas étrange ? C’est pourtant ce que nous faisons actuellement… Nous sommes confinés dans notre propre espace, dans le contexte d’une crise très anxiogène, et notre seul espace d’interaction est un écran ».

Pas de pause

Selon Marrissa Shuffler, le manque de temps de pause après avoir rempli nos engagements professionnels et familiaux peut être un autre facteur de fatigue. Alors que dans le même temps, certains d’entre nous deviennent plus exigeants à cause de leurs inquiétudes concernant l’économie, les congés et les pertes d’emploi. Il y a aussi ce sentiment accru de « devoir être performant ». Certains sont en quelque sorte trop performants pour tenter de conserver leur emploi.

Une conversation entre amis pour se détendre

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Beaucoup de personnes participent pour la première fois à des discussions de groupe. Qu’il s’agisse de cuisiner, de manger un dîner de Pâques virtuel, d’assister à un rattrapage de cours entre étudiants ou d’organiser une fête d’anniversaire pour un ami. Si l’appel est censé être amusant, pourquoi devrait-il être fatigant ?

Selon Marrissa Shuffler, une partie du problème est de savoir si vous participez parce que vous le voulez ou parce que vous pensez que vous devez le faire, comme un apéro virtuel avec des collègues de travail. Si vous considérez cela comme une obligation, cela signifie que vous consacrez plus de temps à votre travail plutôt que de faire une pause. Tandis qu’une bonne discussion avec des amis vous donnera l’impression d’être plus sociable et il vous ressentirez moins de fatigue lors d’une conversation ou vous avez eu l’occasion d’être vous-même.

Comment atténuer la fatigue liée à une vidéoconférence ?

Les deux experts suggèrent de limiter les appels vidéo à ceux qui sont nécessaires. L’allumage de la caméra devrait être facultatif et, de manière en générale, les caméras ne devraient pas être allumées pendant toute la durée de la réunion.

Avoir l’écran éteint décalé sur le côté, au lieu d’être droit devant, pourrait également aider à la concentration, en particulier dans les réunions de groupe, explique M. Petriglieri. Cela vous donne l’impression d’être dans une pièce voisine, c’est donc moins fatigant.

Dans certains cas, il est utile de se demander si la vidéoconférence est vraiment l’option la plus efficace. En ce qui concerne le travail, Marissa Shuffler suggère que le partage de fichiers avec des notes claires peut être une meilleure option qui évite la surcharge d’informations.

Elle suggère également de prendre le temps de se parler pendant les réunions avant de plonger dans le vif su sujet. « Prenez le temps de réellement vérifier que les gens vont bien », insiste-t-elle. « C’est une façon de nous reconnecter avec le monde, de maintenir la confiance et de réduire la fatigue et l’inquiétude ».

La mise en place de périodes de transition entre les réunions vidéo peut également nous aider à nous ressourcer – essayez de faire des étirements, de boire un verre d’eau ou de faire un peu d’exercice, disent nos experts. Les limites et les moments de transition sont importants. Nous devons créer des moments tampons qui nous permettent de mettre une identité de côté et de passer à une autre lorsque nous passons du travail à la vie privée.

Et peut-être, si vous voulez garder le contact, allez-y à l’ancienne. « Écrivez une lettre à quelqu’un au lieu de le rencontrer en vidéo. Dites-lui que vous vous souciez vraiment de lui ».

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