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Pourquoi le coronavirus n’affecte pas tous les malades de la même façon ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le coronavirus ne se comporte pas comme un virus classique. Ses spécificités peuvent expliquer pourquoi il n’affecte pas chaque malade de la même manière. Car outre les comorbidités et le facteur de l’âge, le comportement du virus varie entre les individus. Tour d’horizon.

Le coronavirus est encore très mystérieux, même si les scientifiques le cernent un peu plus chaque jour. Ils savent déjà à quoi ressemble le virus et quelle est sa composition génétique. On en sait également plus sur sa manière d’infecter notre corps. Mais pourquoi les conséquences de l’infection sont-elles plus graves chez certains patients ?

La question de la charge virale

Un paramètre important est la charge virale, qui mesure le nombre de particules virales qui circulent dans un corps. Des études préliminaires menées en Chine et en Corée du Sud montrent qu’il y a entre 10 millions et 10 milliards de particules virales dans un frottis nasal. Pour la gorge, il y en a moins : entre 100 000 et 1 milliard.

Dans de nombreuses maladies d’origine virale, il semble y avoir un lien direct entre la charge virale et la gravité de la maladie. C’est notamment le cas pour la grippe et la rougeole, mais aussi pour le SRAS en 2003. Mais le coronavirus responsable du Covid-19 semble se comporter d’une manière particulière. Une étude rudimentaire sur les deux premiers patients sud-coréens a suggéré, à la surprise générale, que la charge virale était la plus élevée au début de l’infection, alors qu’avec le SRAS, elle ne l’était qu’au cours de la deuxième semaine.

Les toutes premières données en provenance de Chine et d’Italie semblaient indiquer qu’il n’y avait pas de lien direct entre la charge virale et la gravité de la maladie. Toutefois, une étude plus vaste portant sur 76 patients, également originaires de Chine et publiée dans la revue The Lancet Infectious Diseases, a conclu que la charge virale est 60 fois plus élevée pour les cas graves que pour les cas légers.

La réaction face à l’infection

L’étude a confirmé que le virus diminue rapidement après l’infection initiale. Dès le 7e jour après la détection, le virus commence à diminuer de manière significative, alors qu’un patient n’atteint en moyenne le pic de sa maladie qu’au 12e jour. Lorsque les dommages aux poumons deviennent visibles sur les rayons X, le virus a souvent presque complètement disparu. Il montre que les symptômes les plus graves de la maladie ont moins à voir avec le virus qu’avec la réaction du système immunitaire du patient.

Ces résultats ont été confirmés par une analyse de 82 patients chinois dans la revue The Lancet : le pic du virus a chuté cinq ou six jours après l’infection, généralement avant que des symptômes graves de la maladie ne soient visibles. Une analyse des premières données allemandes dans la revue Nature a donné des résultats identiques. Cependant, la quantité de virus dans les échantillons des patients individuels variait énormément. Tout le monde ne réagit donc pas de la même manière au virus.

Ce qui est clair, c’est que plus vous être en contact avec le virus au début de votre infection, plus vous risquez de tomber gravement malade. Le virus prend alors un bon départ par rapport à votre système immunitaire, ce qui lui permet d’atteindre rapidement des niveaux élevés. Si vous êtes infecté par une faible dose de virus, vous pouvez développer une résistance avant que le virus ne puisse frapper en masse. La « dose » de virus dépend notamment de la distance et de la durée d’un contact, mais aussi de l’infectiosité de la personne avec laquelle vous interagissez.

La génétique en question

Des chercheurs de l’Université de Gand (UGent) pensent que les différences génétiques entre les habitants peuvent expliquer pourquoi le coronavirus fait plus de victimes dans certains pays. Ce qui expliquerait que les pays scandinaves, comme la Suède, ou ceux de l’Europe de l’Est semblent moins touchés.

Les chercheurs ont trouvé un lien évident entre un gène (ACE1) et le développement du Covid-19. Selon eux, plus les citoyens ont le polymorphisme D (le polymorphisme étant la variation entre individus de la séquence de gènes) du gène en question, moins on a dénombré de décès dans ce pays. « En général, plus on va à l’est de l’Europe, plus le polymorphisme D du gène ACE1 est courant », explique le professeur Joris Delanghe. « En même temps, vous voyez que la gravité de l’épidémie de Covid-19 diminue à mesure que vous passez de l’Europe occidentale à l’Europe centrale et orientale. » Jusqu’à 41% des différences de contamination entre les pays pourraient s’expliquer par la fréquence de ce polymorphisme particulier.

Les hommes plus exposés

Le Covid-19 semble également cibler davantage la population masculine, particulièrement ceux en surpoids ou obèses. D’après des données portant sur environ 2.200 patients au Royaume-Uni admis en soins intensifs, le sexe masculin semble donc être un facteur de moins bon pronostic : 55,4% des femmes survivent, contre moins de la moitié pour les hommes (47,8%). Pourquoi autant d’hommes parmi les cas graves? Il n’y a pas aujourd’hui de réponse claire. Une piste avancée pour l’expliquer : les meilleures défenses naturelles des femmes face aux virus. C’est une situation « connue » en matière de maladies virales. En moyenne, les hommes sont d’ailleurs plus exposés aux maladies mortelles, comme les maladies cardiaques ou certains cancers. Ils ont également une espérance de vie moyenne plus basse.

Surpoids et tabac, des facteurs aggravants

Le décompte suggère également que les malades en surcharge pondérale ont sensiblement moins de chance de sortir vivant de leur passage en soins intensifs : 42,4% des malades obèses (indice de masse corporelle supérieur à 30) survivent contre 56,4% pour ceux de poids moyen ou faible (IMC inférieur à 25). Pour la surreprésentation des personnes en surcharge pondérale, l’explication la plus immédiate est la fréquence nettement accrue des cas de diabète et d’hypertension parmi les sujets obèses. Or, tension élevée et diabète sucré sont deux facteurs aggravants pour le Covid-19, clairement identifiés.

Selon de premières études, les fumeurs sont également plus à risque. Pas plus à risque d’attraper le coronavirus, mais plus susceptibles de développer des complications pouvant conduire à la respiration artificielle, voire à la réanimation. Pourquoi ? Le tabagisme endommage les cils dans les voies respiratoires. Or le mouvement de ces cils est nécessaire pour éliminer la poussière, les bactéries, les virus et le mucus, explique la Fondation belge Contre le Cancer. Lorsque ces cils sont confrontés à la fumée, ils sont paralysés ou endommagés, et cet important mécanisme de protection s’arrête.

Des groupes sanguins mieux protégés

Une étude chinoise affirme de son côté que les personnes appartenant au groupe sanguin A seraient plus sensibles au coronavirus. Le docteur Wang Xinghuan et ses collègues ont examiné 2.173 cas de patients porteurs du Covid-19. Parmi ce groupe, ils ont constaté que les personnes appartenant au groupe sanguin A ont un taux de mortalité supérieur de 20 %. À l’inverse, les personnes du groupe sanguin O, ont un taux de mortalité inférieur de 33%. Lorsque les chercheurs tiennent compte de l’âge et du sexe, ces différences demeurent. Une étude qui doit cependant encore être consolidée et validée par la communauté scientifique.

Dans le cas de l’épidémie de SRAS en 2003, le groupe sanguin était déjà pointé du doigt. Il était ressorti que les personnes du groupe O étaient moins susceptibles de contracter la maladie, car ils possèdent des anticorps que les personnes des groupes A et AB ne possèdent pas.

Aux États-Unis, les Noirs plus concernés

Dans plusieurs régions des États-Unis, le Covid-19 tue de façon disproportionnée les Noirs. Pour l’instant, les statistiques sont publiées de manière disparate, selon les États et les villes, et ne permettent pas de comprendre si une inégalité spécifique au Covid-19 est à l’oeuvre, ou si la disproportion ne fait que refléter les inégalités socio-économiques et d’accès aux soins.

Si l’État de New York, plus gros foyer américain de l’épidémie, ne publie pas ce genre de statistiques, d’autres juridictions ont choisi de publier des chiffres qui sont alarmants: dans l’Illinois, les Noirs représentent 14% de la population mais 42% des décès de l’épidémie. À Chicago, c’est 72% des morts, alors qu’ils représentent moins d’un tiers des habitants.

Pourquoi? « Nous savons que les Noirs sont plus susceptibles d’avoir du diabète, des maladies du coeur et des poumons », expliquait notamment le médecin en chef des États-Unis, Jerome Adams, sur CBS. Or ces maladies augmentent le risque de complications du Covid-19; les expériences chinoise et européenne l’ont montré. Mais le facteur « racial » n’est pas peut-être pas l’unique explication: il est aussi avéré que les quartiers pauvres et noirs ont moins de médecins et des hôpitaux de moindre qualité, et que les couvertures médicales des emplois de service sont inférieures à d’autres emplois mieux rémunérés.

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