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Non, le smartphone n’est pas aussi addictif que le tabac

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Il y a quinze ans, Apple sortait son premier iPhone. Depuis, les smartphones ont envahi notre vie quotidienne, et certains le considèrent même comme un prolongement d’eux-mêmes.  » C’est très facile d’accuser le smartphone « , estime pourtant Damien Brevers, professeur en psychologie.

Selon certains psychologues, le smartphone est aussi addictif que le tabac. Le professeur américain spécialisé en technologie Larry Rosen va même jusqu’à dire qu’il a « piraté » notre cerveau. « Nous sommes attirés comme des abeilles par le miel, c’est dire à quel point c’est grave. Nous ne pouvons pas nous en empêcher car ils (NDLR : les smartphones) sont déjà entrés dans nos cerveaux. Ils ont littéralement piraté nos cerveaux – et nos capacités d’attention, et notre capacité à résister à l’ennui, et ainsi de suite », déclare-t-il au quotidien britannique Telegraph.

Pour Damien Brevers, professeur en psychologie à l’UCLouvain, on ne peut pas accuser le smarthone de nous avoir transformé en zombies. « C’est certain qu’il y a une hyperréactivité à l’information. Il y a un effet sur nos mécanismes d’apprentissage, mais qui sont tout à fait sains et normaux », explique-t-il au Vif. Le problème, ce n’est donc pas le smartphone en tant que tel.

« Tout dépend de ce que l’utilisateur fait sur son smartphone : est-ce qu’il travaille, est-ce qu’il regarde des jeux vidéo, est-ce qu’il regarde de la pornographie, est-ce qu’il joue aux paris sportifs, est-ce qu’il l’utilise pour contacter ses proches parce qu’il est à l’étranger, etc. », explique Damien Brevers. La fréquence d’usage peut effectivement cacher beaucoup de choses différentes.

« Très facile d’accuser le smartphone »

« À partir du moment où la personne ressent qu’il y a un usage qui la stresse ou qui n’est pas fonctionnel, qu’elle regarde son téléphone au lieu de lire un livre le soir, que ça l’empêche d’aller faire sa course à pied, ou d’entrer en contact avec des personnes en tête à tête, là, il faut aider la personne à mieux réguler son usage de téléphone, mais surtout détecter les processus psychologiques qui se cachent derrière. Si la personne vient consulter, c’est que son usage du smartphone cache une souffrance. L’usage excessif du smartphone peut en effet cacher un stress au travail, des problèmes au niveau conjugal. C’est très facile d’accuser le smartphone », ajoute le scientifique.

« Je ne suis pas d’accord qu’on soit des zombies, victimes de l’apparition du smartphone. Il est possible de l’intégrer dans le quotidien de manière ultrafonctionnelle, et la nouvelle génération l’a compris. Le problème c’est qu’il y a des ‘grands experts’ qui parlent à la place des jeunes, à la place des personnes qui souffrent un peu et en font leur interprétation. »

Si le smartphone déclenche un effet sur le cerveau, on ne peut parler d’addiction pour autant. « Il est vrai que ce sont les mêmes zones du cerveau qui s’activent lorsqu’on regarde une image avec beaucoup de likes sur Facebook que quand on prend de la cocaïne. Mais ces zones s’activent aussi quand on regarde un match de basket, quand on mange une pomme. Ces systèmes limbiques sont tout à fait sains. Cela ne signifie donc pas qu’il y a une addiction. Notre cerveau s’active tout le temps« , explique Damien Brevers.

Personnes anxieuses« Quand on va voir ce qui se cache vraiment derrière les personnes qui souffrent de leur usage du smartphone, on va trouver des personnes anxieuses, d’autres qui utilisent leur smartphone pour travailler plus parce qu’elles sont perfectionnistes ou encore des gens qui souffrent de troubles d’attachement et qui vont utiliser leur téléphone pour envoyer mille messages à leur copain ou copine », ajoute-t-il.

Supprimer le smartphone ou tenter de réguler l’usage ne servira à rien si on ne va pas voir plus loin. « Si on régule leur usage du smartphone, on va leur enlever une béquille, on va leur enlever un moyen de faire face à leur anxiété, à leur régulation des émotions. Si on ne s’intéresse pas à ce qui les amène à utiliser de manière excessive ces technologies, on va faire pire que mieux. Leur comportement va peut-être un peu s’améliorer, mais sur le long terme, elles souffriront ».

Par contre, le smartphone a bel et bien un effet sur le cerveau et particulièrement sur la mémoire. Ainsi, le cerveau est constamment en mode ‘traitement de l’information’. « La mémoire se consolide quand on ne fait rien. Il y a un réseau cérébral de repos par défaut qui est extrêmement important, non seulement pour la consolidation et l’intégration des événements que l’on vient de vivre pour les stocker dans la mémoire à long terme. Si l’on est donc toujours dans un traitement de l’info sur Facebook par exemple, le cerveau est moins en pause. Il est donc très important d’avoir des moments où on ne fait rien. Quand je dis rien, ça peut être une activité physique. Lorsqu’on fait une activité ultra-motrice, le cerveau ne fait pas de travail d’information rationnel. L’activité physique aide à consolider l’information et en plus elle fait ‘pousser les neurones’« , explique Damien Brevers.

Cadre du travail

Il pointe un autre problème créé par les smartphones, à savoir la communication professionnelle. « Là où à l’époque, il y a avait des moments de repos où il n’y avait pas d’accessibilité aux collègues, aujourd’hui, ceux-ci n’existent plus. C’est problématique, pas nécessairement dans un cadre d’addiction, ou de troubles psychiatriques, mais pour des aspects de bien-être au quotidien« .

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