© Jonas Lampens

Euthanasie : Trois médecins témoignent

Aider un patient à mourir. Même chez les médecins convaincus du bienfondé de la chose, cela reste une intervention prenante. Si pour certains cela devient plus facile avec le temps, pour d’autres, c’est à chaque fois un peu plus difficile. Knack a demandé à trois médecins quel effet leur faisait l’euthanasie.

On cantonne souvent l’attitude de certains médecins confrontés aux demandes d’euthanasie de leurs patients uniquement à une question de croyances et de principes. C’est oublier que le médecin est aussi une personne qui doit vivre avec l’idée qu’il a aidé une autre personne à mourir.

Il y a des médecins, qui inspirés ou non par leurs croyances religieuses, rejettent systématiquement toutes les demandes. Il y a ceux qui accordent la priorité au droit à l’autodétermination de leurs patients et qui répondent par l’affirmative à toutes les demandes qui répondent aux critères légaux. Et puis, entre ces deux opposés, il y a tous ceux, soit un large groupe, qui sont pour l’euthanasie, mais qui trouve très difficile d’aider un patient à mourir. Certains de ces médecins ne peuvent justifier cet acte que si le patient est en phase terminale. D’autres ont du mal avec les demandes euthanasies de personnes qui souffrent mentalement ou de toute une série d’affections dites de vieillesse. La plupart des médecins craignent également que les choses se passent mal au moment voulu. Voilà autant de raison pour laquelle certains médecins ne veulent pas (ou plus) effectuer d’euthanasie.

Pour moi, les critères juridiques ne suffisent pas, dit Koen D’Halleweyn, médecin généraliste à Wommelgem. Lui ne pratique l’euthanasie que s’il parvient à se la justifier.

La première fois, c’était avec un patient atteint de multisclérose. Je savais depuis un certain temps qu’il traversait une période difficile et qu’il ne souhaitait pas que la situation s’éternise. J’ai quand même été choqué lorsqu’il a parlé d’euthanasie. Mais quand il l’a vraiment demandé, nous avions déjà parcouru un tel chemin ensemble qu’il n’était pas question de faire machine arrière. J’aurais eu l’impression de le laisser tomber. Alors j’ai accepté. Le médecin LEIF (un médecin qui a suivi une formation spécifique sur la fin de vie, ndlr) avec qui j’ai pris contact était prêt à administrer le médicament mortel à ma place. Cela a rendu les choses un peu moins difficiles. Mais au moment crucial, il m’a tout de même passé la main. Apparemment, on s’était mal compris. Que devais-je faire ? Nous chamailler au chevet de mon patient qui allait mourir? Avant que je ne m’en rende compte, ma première euthanasie était terminée.

Koen D'Halleweyn
Koen D’Halleweyn© Jonas Lampens

C’était il y a plus de dix ans. Et même si cette première euthanasie m’est un peu brutalement tombée dessus, j’ai tout de suite su que je pouvais le refaire. Mais à mes conditions. Bien que je respecte le droit de mes patients à l’autodétermination, les critères juridiques ne me suffisent pas. Je ne le fais que si je peux vraiment me le justifier à moi-même. Cela signifie que je dois être capable d’imaginer que, dans les mêmes circonstances, je songerais moi-même à l’euthanasie et que j’ai la certitude que toutes les options thérapeutiques ont été épuisées. Sinon, j’en suis incapable.

Entre-temps, j’ai pratiqué l’euthanasie cinq fois, dont trois fois au cours de cette dernière année. Toujours avec un patient qui était très malade physiquement et qui n’irait pas mieux. L’une était une veuve paralysée d’un côté de son corps à cause d’une hémorragie cérébrale et l’autre un vieil homme atteint d’un cancer du poumon qui s’était transformé en douloureux cancer généralisé. À chaque fois, j’étais très tendu les jours précédents. Parce que jusqu’au dernier moment je me demande si je fais ce qu’il faut, mais aussi parce que j’ai peur que quelque chose tourne mal au moment crucial. Les patients sur lesquels j’ai pratiqué l’euthanasie étaient tous assez âgés et avaient souvent de mauvaises veines. C’est pourquoi je laisse toujours les infirmières mettre la perfusion parce qu’elles ont plus l’habitude. Ce n’est que lorsque l’aiguille est en place que j’administre le produit mortel. Même si ce n’est pas une garantie que tout se passera bien. Chez les deux derniers patients, l’infirmière a dû piquer plusieurs fois avant de pouvoir insérer l’aiguille, tandis que je l’éclairais avec la lampe torche de mon GSM. Bien sûr, nous étions tous les deux très nerveux, mais c’est quelque chose que l’on ne veut pas montrer au patient et à la famille.

Une fois que l’aiguille est dans une veine, c’est très simple. C’est comme vacciner quelqu’un contre la grippe. Avant même que la seringue ne soit vide, les yeux du patient se ferment et la couleur disparaît de son visage. C’est aussi un moment d’émotion pour moi. En fin de compte, il s’agit d’une personne avec qui j’ai établi une relation et qui m’a parlé quelques minutes auparavant. Mais il ne s’agit pas de moi. Je salue la famille et me retire discrètement. Cela aide aussi d’en parler après avec les infirmières. Je fais toujours l’euthanasie le soir ou le samedi matin, pour avoir le temps de reprendre mon souffle.

Au fil des ans, j’ai également reçu plusieurs demandes d’euthanasie que j’ai déclinées. Chez certaines personnes, il est évident que c’est ce qu’elles souhaitent, mais chez d’autres on sent le doute qui affleure. Je refuse aussi de le faire pour des personnes très âgées qui disent qu’elles en ont marre de vivre. Comment être sûr qu’un tel sentiment est définitif ? Et si, dans quelques mois, quelque chose changeait et donnait au patient un nouveau sens à sa vie ? Les médecins spécialisés dans la fin de vie disent qu’une telle personne peut obtenir l’euthanasie parce que l’addition des différents maux dont elle souffre pèsent lourd. C’est possible, mais personnellement je ne suis pas capable de le faire dans de tel cas. S’il suffit qu’une personne âgée souffre de nombreuses maladies, la moitié de mes patients qui vivent dans un home peuvent demander l’euthanasie. Certains médecins disent trop facilement oui dans ce cas. Quand l’euthanasie n’était pas encore légale, nous devions chercher des moyens d’alléger la souffrance d’un patient. Aujourd’hui, il arrive qu’on ne le fasse pas assez et qu’on se dirige trop promptement vers une procédure d’euthanasie. Pourtant, une telle demande est parfois simplement un appel à l’aide.

Refuser une euthanasie n’est néanmoins pas une chose facile. Il n’y a pas si longtemps, une dame âgée m’a fait une demande d’euthanasie. Elle pensait avoir un cancer de l’intestin et a subi une série de tests qui ont finalement conclu qu’il ne s’agissait pas d’un cancer. Mais, pour elle, cet épisode a été un tournant : elle ne voulait pas continuer à vivre. Parce qu’elle me semblait surtout fatiguée de vivre et que je n’étais pas certain qu’elle ne revienne pas à de meilleurs sentiments par la suite, je n’ai pas donné suite à sa demande. Suite à mon refus, elle n’a plus voulu s’alimenter ni sortir de son lit et s’est laissée mourir à petit feu. Bien sûr que je m’en suis voulu, surtout quand sa famille a à son tour insisté. Mais je refuse de pratiquer l’euthanasie sous pression.

Si vous ne voulez pas effectuer vous-même l’euthanasie, vous pouvez renvoyer votre patient vers un autre médecin. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. La plupart des collègues ne se sentent de pratiquer l’euthanasie que chez leurs propres patients – c’est d’ailleurs mon cas. Pourtant, trois personnes à qui j’avais refusé l’euthanasie ont fini par être euthanasiées.

En moins d’un an, j’ai pratiqué l’euthanasie trois fois et c’était vraiment difficile. Je pense parfois qu’il serait préférable d’établir une année sabbatique : pas d’euthanasie pendant douze mois, même si je sais que le patient en question y a droit. Mais bien sûr, ce n’est pas réaliste. Quoi qu’il en soit, j’espère que la fréquence diminuera. Si je devais chaque année en faire trois, je sais que je ne tiendrais tout simplement pas le coup.

« Mon travail ne s’arrête pas une fois que le patient a été soigné. Pour Sylvie Rottey, oncologue médicale à l’UZ Gent, l’euthanasie fait partie de son travail.

Quand j’entre dans la chambre, je demande toujours au patient s’il est prêt ou s’il préfère avoir plus de temps. La plupart d’entre eux ont attendu ce moment avec impatience et ne veulent plus le retarder. Ensuite, je vais chercher les produits et je dis quelque chose du genre « nous allons faire ça aussi bien que possible ». À ce moment-là, le patient et sa famille sont généralement complètement concentrés l’un sur l’autre et ils ne prêtent plus guère attention à moi. Je préfère ça. Si le patient me parle, me remercie ou raconte une anecdote, cela devient beaucoup trop proche. Je préfère me concentrer sur le côté technique. L’euthanasie en soi n’est pas difficile, mais il faut garder la tête froide. C’est pourquoi je pense qu’il est important qu’il y ait toujours une infirmière qui puisse vérifier que tout va bien. Si la perfusion est bien mise et si le médicament va dans la bonne direction, par exemple. Je cherche un endroit sur le corps du patient où je peux suivre les battements du coeur pendant l’euthanasie. C’est crucial parce que tout le monde dans la salle attend mon signal qui indique que le patient est mort. Je ne peux pas imaginer que la famille puisse encore voir une veine battre quelque part. Juste avant de commencer à injecter les produits, je touche le patient et nos yeux se croisent une dernière fois. Je lui souhaite « Bonne nuit ».

Sylvie Rottey
Sylvie Rottey© Jonas Lampens

Mon degré d’émotion varie d’une euthanasie à l’autre. Il y a des années, par exemple, j’ai eu beaucoup de mal à euthanasier une femme de mon âge qui, comme moi, avait deux jeunes enfants. Pendant un moment, j’ai même craint que je doive quitter la pièce pour reprendre mes esprits sous peine de ne pas y parvenir. J’ai fini par me ressaisir, mais j’ai eu du mal par la suite. Dans tous les cas, il est important de pouvoir reprendre son souffle après une euthanasie. Une fois, je l’ai fait alors que j’étais pressée. Un quart d’heure plus tard, j’étais déjà dans ma voiture en route pour une réunion à Bruxelles. Je me suis vraiment sentie mal.

J’ai toujours su que j’étais capable de pratiquer l’euthanasie. À mon avis, mon travail ne s’arrête pas lorsqu’un patient est en fin de traitement. Je ne vois pas ça non plus comme un échec. Je trouve qu’il est bon d’amener cette mauvaise nouvelle d’une manière professionnelle afin que le patient puisse en faire quelque chose. Parfois, l’étape suivante est l’euthanasie et cela fait aussi partie de mon travail. C’est pourquoi je trouve plus difficile d’euthanasier quelqu’un avec qui je n’ai pas traversé les différentes étapes. Je le fais parfois à la demande d’un collègue qui ne veut pas le faire lui-même. Je ne suis pas très à l’aise avec cela. Cela me fait sentir comme une sorte de machine à euthanasier. Néanmoins, à l’avenir, je le ferai probablement encore avec des patients que je ne connais pas parce que je considère tout de même que cela fait là aussi partie de mon travail.

Quand un de mes patients demande l’euthanasie, ce n’est jamais un choc. Et cela arrive moins souvent qu’on ne le pense. Bien que la plupart des patients dans mon service aient un cancer métastasé, seule une petite minorité d’entre eux souhaite l’euthanasie. La plupart d’entre eux pensent au contraire à se battre pour chaque jour supplémentaire qu’ils peuvent vivre. Si j’ai une demande concrète d’euthanasie, j’en discute avec les infirmières et le psychologue. Pas pour me couvrir, mais pour être sûr que je prends la bonne décision. Bien sûr, j’aimerais que la famille soutienne le patient, mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que le patient le souhaite vraiment, mais que l’on sente de la résistance dans son entourage. Il m’arrive qu’on me regarde de travers. « Comment diable pouvez-vous faire cela » semble penser la famille. C’est dur, bien sûr, mais je me rends compte que c’est dû à leur immense douleur. Mais en fin de compte, je le fais pour mon patient et pas pour son entourage.

« C’est de plus en plus dur à chaque fois ». Frank Michiels, médecin généraliste à Asse, est un fervent défenseur du droit à l’autodétermination.

En tant que médecin, c’est mon travail d’aider les gens, et cela inclut l’euthanasie de temps à autre. C’est pour moi une évidence, car je suis un grand défenseur du droit à l’autodétermination. Non pas qu’on me demande si souvent l’euthanasie. Cela peut se produire à quelques années d’intervalle. Bien sûr, je ne l’effectue pas non plus du jour au lendemain – aucun médecin ne le fait. Je parle longuement avec le patient, j’évalue la question très soigneusement et j’essaie toujours d’impliquer son partenaire, ses enfants ou ses parents. C’est toujours rassurant quand il s’avère que ses proches comprennent son choix.

La première fois que je l’ai fait, c’était avec le patient d’un collègue qui était en vacances. Il y avait vingt personnes autour du lit de cet homme. Je me souviens même de la musique- ça me touche encore quand j’entends une de ces chansons. L’euthanasie s’est déroulée en douceur et immédiatement après, le fils du patient m’a serré dans ses bras. Un jour plus tard, quand je suis allée voir la veuve, elle m’a demandé comment j’allais. Elle a clairement senti que cela avait été un événement majeur pour moi aussi. J’en ai souvent fait l’expérience par la suite: la plupart des gens ont parfaitement conscience de ce qu’ils vous demandent.

Frank Michiels
Frank Michiels© Jonas Lampens

Bien que la première euthanasie se soit déroulée sans heurts, elle est depuis devenue un peu plus pesante à chaque fois. Je reste éveillé les nuits qui précèdent et je me rejoue souvent la scène par la suite. Bien que rien ne se soit jamais mal passé, j’ai toujours très peur de faire une erreur. Tout doit être parfait et donc à chaque euthanasie l’adrénaline s’engouffre dans mon corps. Le fait que je doive me concentrer autant sur l’aspect technique des choses m’aide cependant à prendre un peu de recul. C’est pourquoi je n’en ressens les effets réels qu’après. Au début, c’est le soulagement qui domine parce que tout s’est bien passé, mais immédiatement après, je suis complètement vidé. C’est pourquoi je m’assure toujours de ne rien avoir à faire pour le reste de la journée.

Il m’est aussi arrivé d’en sous-estimer les effets. Comme lorsque j’ai euthanasié un ami malade. Cela m’a mis à terre pendant des semaines. Mais je ne le regrette pas. Si je devais un jour demander l’euthanasie, j’espère que je pourrais demander ce service à quelqu’un que je connais et en qui j’ai confiance. C’est pourquoi je n’ai pas l’intention d’arrêter. Cela semble souvent insurmontable et cela devient un peu plus difficile à chaque fois, mais si vous voulez vivre en adéquation avec vos idées, vous n’avez pas le choix. D’une certaine manière, j’en tire même beaucoup de satisfaction si je peux m’assurer que tout se passe bien et sereinement. Après tout, une personne ne meurt qu’une seule fois.

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