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Coronavirus : il ne faut pas compter sur un vaccin avant le milieu de l’année prochaine

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Il n’existe aucun vaccin ni traitement contre le coronavirus. Où en est la recherche ?

Mike Pence, le vice-président américain était assez optimiste au début du mois. Selon lui, les premiers essais cliniques pour un vaccin pourraient avoir lieu « dans les six prochaines semaines », soit vers la mi-avril.

La BBC affirme de son côté que des vaccins commencent à être testés sur des animaux. Ils pourraient ensuite être testés sur les humains dans le courant de l’année. Même si les scientifiques parviennent à mettre au point un vaccin avant la fin de l’année, il restera la tâche colossale de la produire en masse. Si l’on veut être réaliste, il ne faut ainsi pas compter sur un vaccin utilisable avant le milieu de l’année prochaine.

En France, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont lancé de premiers tests de prototypes de vaccins sur des souris, ce mercredi. « Les tests vont durer un mois, un mois et demi : on vaccine des souris, ensuite, on leur prend régulièrement du sang pour voir si elles ont fait des anticorps contre le vaccin. Si elles ont fait des anticorps, on les infecte avec le coronavirus et on voit si elles résistent », explique l’un d’eux sur RTL. L’Institut Pasteur annonce également un délai de 18 mois [soit l’été 2021], « or il est tout à fait probable que d’ici 18 mois, l’épidémie de coronavirus n’existe plus dans ces conditions et que, même s’il y a une nouvelle épidémie de coronavirus chinois dans 18 mois, le vaccin développé pour la souche actuelle ne fonctionne plus, c’est ce qui s’est passé pour le SRAS », précise le porte-parole.

Un vaccin qui arrivera trop tard

Certains spécialistes affirment d’ailleurs qu’un vaccin arrivera trop tard pour sortir le monde de la pandémie de Covid-19 et que seule la quarantaine sera un outil efficace. « Nous espérons tous qu’un vaccin soit à portée de main, tout près », a expliqué, dans un entretien accordé à l’AFP-TV, un responsable du département universitaire des maladies infectieuses de l’hôpital Sacco à Milan (nord de l’Italie). Mais tous les épidémiologistes et virologues habitués à ces problématiques savent que sur le parcours de mise au point du vaccin, « on ne sait pas quels obstacles on trouvera ». « Je serais très heureux s’il était confirmé que le vaccin pourrait être prêt pour avril », a-t-il dit, sur un ton plutôt sceptique.

Pour le professeur, le plus probable est que « cette épidémie s’arrêtera, non pas grâce à un vaccin, qui n’arrivera jamais assez tôt pour l’arrêter, mais grâce aux mesures de confinement que nous arriverons à prendre, aux mesures de limitation de la circulation du virus ».

De plus, un éventuel vaccin pourrait s’avérer moins efficace chez les personnes âgées (les plus menacées par le Covid-19, faut-il le rappeler), car les immunités âgées réagissent moins à la vaccination.

Une pénurie de souris de laboratoires

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Les souris utilisées pour tester les vaccins dans les laboratoires ne sont pas les mêmes que celles qui courent dans votre cave. Et pour cause, une souri banale peut être infectée par le coronavirus, mais ne développera que peu de symptômes cliniques. Pour leurs recherches, les scientifiques utilisent donc des souris génétiquement modifiées, en quelque sorte « humanisées » pour réagir au virus comme le fait le corps humain.

Cependant, comme le Covid-19 se répand dans le monde entier, il est presque impossible de trouver les souris ACE2 transgéniques nécessaires à l’étude du coronavirus. Il n’existe pas de statistiques mondiales sur la disponibilité de ces animaux, mais plusieurs vendeurs de souris transgéniques affirment n’en avoir aucune, et les chercheurs s’attendent à ce qu’il faille des semaines ou des mois pour développer un approvisionnement suffisant, relève Bloomberg.

Le Jackson Laboratory, une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis qui fournit des animaux aux chercheurs, vend plus de 11 000 variétés de souris. Mais lorsque le coronavirus a commencé à faire la Une des journaux en janvier, Jackson n’en avait pas avec le gène nécessaire.

Lorsque les commandes ont commencé à affluer, l’équipe de Jackson a commencé à parcourir la littérature médicale pour trouver des personnes qui avaient travaillé avec des souris humanisées et qui pourraient en donner pour la reproduction. Ils ont trouvé le laboratoire Perlman (USA), un spécialiste des coronavirus qui avait utilisé des souris transgéniques dans la lutte contre le SRAS. Mais il n’avait pas de souris vivantes, car il y a dix ans, il avait décidé que son laboratoire ne pouvait pas se permettre de les entretenir. Il avait tout de même extrait des échantillons de sperme au cas où.

Le mois dernier, il a envoyé ces restes congelés à Jackson, qui les utilise actuellement pour féconder des souris et commencer une nouvelle lignée. « Nous recevons nos premiers animaux et nous sommes en train de faire d’autres élevages », dit Charles Miller, le chef de la logistique mondiale de Jackson. « Pour l’instant, nous nous adaptons aussi vite que possible. »

Les souris gravides ont besoin d’environ trois semaines pour mettre bas, et les nouveau-nés ont besoin d’environ six semaines supplémentaires pour atteindre la maturité afin que le cycle puisse recommencer.

De son côté, la société chinoise Cyagen Biosciences Inc. affirme qu’elle aura des souris prêtes le mois prochain. GenOway, un laboratoire français, vise à développer une nouvelle race mieux ciblée sur les coronavirus, mais cela pourrait prendre un an ou plus.

Des tests humains en premier plan ?

Le manque de souris est donc l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas réaliste de parler d’une introduction rapide d’un vaccin. Sans souris à étudier, les scientifiques ne peuvent tout simplement pas tester pleinement les médicaments et vaccins potentiels. « C’est un goulot d’étranglement majeur », déclare Nikolai Petrovsky, professeur à la faculté de médecine de l’université Flinders à Adélaïde, en Australie. Il affirme que les tests sur les animaux sont « absolument essentiels » et met en garde contre les pressions politiques visant à accélérer le processus. « Je sais que certains parlent de contourner les animaux et d’aller vers des études sur l’homme », dit Petrovsky. « Mais c’est très difficile et dangereux. »

En attendant, certains sur le terrain explorent des alternatives. Bowen, le chercheur de l’État du Colorado, dit qu’il essaie des tests avec des furets, des hamsters, des cochons d’Inde et des lapins, bien qu’ils présentent tous des inconvénients par rapport aux souris.

Xavier Saelens, chercheur principal au VIB, un institut de recherche en sciences de la vie à Gand, en Belgique, envisage d’utiliser d’autres souris comme mesure provisoire, en faisant valoir qu’elles sont mieux que rien. Et il étudie la possibilité d’élever des souris humanisées sur place, car il est très difficile de les obtenir auprès des sources habituelles. « C’est le moyen le plus sûr », dit-il, « d’obtenir les souris. »

Le temps perdu de la recherche depuis le SRAS

Malgré deux précédentes crises liées à de nouveaux coronavirus, le monde n’a pas investi pour vraiment les combattre, regrettent des chercheurs qui espèrent que cette troisième épidémie meurtrière sera le « dernier signal d’alarme » pour se préparer aux suivantes.

Coronavirus : il ne faut pas compter sur un vaccin avant le milieu de l'année prochaine

Il y a encore 20 ans, seulement quatre virus de la famille des coronavirus étaient connus comme transmissibles aux humains, et tous généralement bénins.

Mais au début des années 2000, tout a changé, avec l’émergence d’un cinquième membre de la famille: le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui fait 774 morts dans le monde en 2002-2003. Vient ensuite le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers) qui a fait plus de 850 morts depuis 2012.

Des recherches sont alors lancées, pour mettre au point traitements et vaccins. « Mais trop souvent, l’attention accrue envers la recherche et l’investissement généré par une nouvelle épidémie décline rapidement une fois que l’épidémie se calme », explique à l’AFP Jason Schwartz, de l’École de santé publique de l’université de Yale. « Résultat, des stratégies prometteuses de recherche — particulièrement des recherches fondamentales — sont mises de côté ou perdent leurs crédits, alors que ce travail pourrait être précieux pour accélérer la réponse à de futures épidémies », poursuit-il.

Face à la « menace mondiale » que représentent désormais les coronavirus, cette recherche fondamentale est importante « pour servir de base à de futures innovations, même quand il n’y a pas immédiatement d’application commerciale », souligne le virologue.

Certains programmes de recherche avaient bien été lancés, notamment avec le soutien de l’Union européenne, note Bruno Canard, spécialiste des virus au CNRS. Puis « ça a diminué, il y a eu des changements de politiques, la crise (financière) de 2008… », regrette-t-il, décrivant un « monde scientifique sous perfusion financière ».

Pour ces spécialistes, si la recherche sur les coronavirus avait continué de façon assidue depuis 2002, on aurait peut-être aujourd’hui un médicament capable de s’attaquer à la maladie Covid19.

Il y a bien des « molécules en essai » contre le Covid19, issu de cette recherche fondamentale sur le SRAS et d’autres virus, comme le remdesivir, note Bruno Canard. Mais « Il y en a peu et il aurait pu y en avoir beaucoup plus ». Certes, les trois coronavirus mortels ne sont pas identiques, mais suffisamment similaires. Le nouveau est même « le frère jumeau de celui de 2003 », selon le chercheur.

Mais même avec des différences, la science aurait eu la capacité de développer « un médicament pan-Corona, actif contre n’importe quel nouveau coronavirus qui apparaîtrait », assure Johan Neyts, professeur en virologie à l’université KU Leuven en Belgique. « On connaissait six membres de la famille des coronavirus, donc nous en avions suffisamment pour essayer de trouver un médicament efficace contre ces six, mais aussi contre un numéro sept, huit, neuf… », poursuit celui qui dirige une équipe travaillant à un vaccin et à un traitement contre le nouveau virus.

Un coûte de 250 à 300 millions d’euros

« C’est une attaque que nous aurions pu éviter, des gens vont mourir et c’est vraiment une honte », a-t-il ajouté.

Mais pour cela, il faut de l’argent. « Développer un tout nouveau médicament peut coûter 250-300 millions d’euros, cela permettrait à l’OMS d’avoir des réserves d’un traitement actif contre n’importe quel coronavirus », indique le chercheur belge.

Coronavirus : il ne faut pas compter sur un vaccin avant le milieu de l'année prochaine
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Mais l’argent n’est pas le seul problème, tempère Bruno Canard: « Pour développer une molécule, il faut des années, il faut faire des essais cliniques et pour ça il faut des malades, et des malades il n’y en a pas entre les crises ».

Tous espèrent en tout cas que cette fois la leçon sera retenue. Cette épidémie devrait être « notre dernier signal d’alarme », lance ainsi Johan Neyts. « C’est vrai pour la famille des coronavirus, mais aussi pour d’autres familles de virus: tout le monde a déjà oublié le Zika… »

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