Mélanie Geelkens

Coronalove| « Les vieux »: « Peut-être que c’est trop dur. De voir sa mère en mesurant mentalement un mètre et demi »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

S’aimer au temps d’un virus chinois. Episode 5 : les vieux.

Dommage qu’elle soit si peu sympa, la vieille d’à côté. Tant de bonjours ont ricoché sur son visage fermé. C’est con, parce qu’ils se distancient socialement parfaitement, les balcons. Elles auraient pu être chouettes, les conversations ensoleillées. En franco-italien, on aurait fait comme si on se comprenait bien. La corde tendue pour se passer des repas ; ça hume toujours bon la pasta, par là-bas. Même si son sourire l’a abandonnée depuis longtemps, elle fait quand même un peu de peine, la voisine. Même son fils, celui qui habite dans la cave, il skype, il regarde sa tablette, il marche sur un tapis (2,2 kilomètres ! , qu’il dit à quelqu’un en se filmant) mais il ne lui parle pas.

Peut-être que c’est trop dur. De voir sa mère en mesurant mentalement un mètre et demi. Comme ce dimanche d’anniversaire-là, quand une bouteille de vin avait été déposée devant la porte, qu’elle avait ouvert puis qu’elle avait caché sa tête derrière, pour camoufler ses yeux embués. Papa lui avait dit  » allez, chou  » et passé un bras autour de l’épaule. Ils peuvent toujours se toucher, eux.

Ils sont deux. Il y en a qui sont seuls. Plus que d’habitude. Des (petits) enfants courageux ont peut-être eu suffisamment de patience pour leur installer à distance une appli de vidéoconférence. Ersatz pandémique aux tartines de choco préparées pour la petite à 16 heures, après l’école ; aux bisous plaqués sur une joue impatiente d’aller jouer. Mieux que rien, un  » coucou mamy  » virtuel. Mais à un moment, faut raccrocher. Rude.

Aimer les aînés, c’est devenu s’en éloigner. Les laisser encore plus isolés, dans les maisons de repos où la foule est de toute façon clairsemée. Des mouroirs. Affreux mais réaliste surnom. Il a fallu du temps, pour que ceux qui s’y éteignent du corona arrachent autant de larmes que ceux qui succombent sous respirateurs hospitaliers. Même pas comptabilisés dans les statistiques officielles, au départ. Emmenés aux pompes funèbres dans des doubles sacs. Ultime solitude. Sur le Net, des théoriciens du complot ergotent sur ce virus chinois spécialement élaboré contre les trop nombreux vieux. Personne n’osera faire le compte, après, pour le budget des pensions.

Louise a 8 ans et ne comprend pas encore le cynisme. Sur son dernier bulletin, reçu juste avant le confinement, son institutrice avait inventé une note – plus qu’excellent – pour évaluer ses compétences en lecture. Mais le soin, c’est moins son fort. Ce matin-là, pourtant, elle s’était longtemps appliquée à dessiner un arc-en-ciel et à écrire avec des grandes lettres courbées, sans rature.  » Cher(e) Monsieur, Madame (NDLR : écriture inclusive, la digne filleule de sa marraine). En cette période difficile, ma maman et moi avons décidé de vous envoyer ce joli dessin pour vous soutenir et vous dire que nous pensons à vous. On vous embrasse (coeur rouge) « . Imprimé en cinquante exemplaires et déposé dans la boîte aux lettres du home, pas loin.

Tout en dessous de l’arc- en- ciel, Louise avait ajouté :  » Courage. Tout ira bien.  » Ce n’était pas tout à fait vrai. Qu’importe. C’était beau.

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