Mélanie Geelkens

Coronalove| »La rencontre »: « Puis… ils comprennent qu’ils vont finir par enfreindre les règles sanitaires »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Episode 11 : la rencontre.

Pourquoi elle, virtuelle ? Tant de profils swipés, juste pour passer le temps, confiné. Puis sa photo, à elle. Pas la plus belle, mais les autres matchs ne comptent rapidement plus vraiment. Le coup de foudre, il a toujours cru que c’était de la foutaise. Encore plus sur un écran. Pourtant, l’envie de lire ses mots le saisit dès le réveil. Leurs discussions s’étalent toute la journée, commode télétravail. D’habitude, les conversations l’ennuient au bout de dix lignes. Là, il a mal au pouce de lui écrire. Textonite, lit-il sur Google. La tendinite du texto. Comme les ados.

Il n’avait plus pris le temps depuis longtemps. De parler, d’attendre, d’imaginer. De découvrir, de conquérir, de désirer. Il envisageait ce virus comme une épreuve, voilà qu’il devient une opportunité. Se connaître autant sans jamais s’être touché. Se vouloir sans se voir. La quarantaine devient leur bulle. Espace privilégié entre deux êtres qui n’avaient pas prévu de se rencontrer enfermés.  » Ça arrivera quand tu t’y attendras le moins.  » Peut-être bien. Il se pensait seul, voilà qu’il se projette à deux.

Mais, bientôt, l’impossibilité des corps le frustre. Il craint qu’elle se lasse, que d’autres l’éclipsent, qu’il ne soit qu’un passe-temps de confinement. Ses mots ne suffisent plus, il veut sa présence. Propose un repas clandestin.  » Non, merci « , elle rappelle que c’est interdit, puis elle préférerait un endroit neutre, elle lui répète qu’elle ne veut pas être comme ces filles qui passent dans son lit sans s’y attarder plus d’une nuit. Elle ne comprend pas qu’elle est déjà plus que ça. Ils se skypent, ersatz visuel. Il découvre sa voix, son accent, son visage en mouvement. Une soirée, leur vidéoconférence ne s’éteint que quand le soleil se lève.

Puis ils réalisent que la vie normale, les bars, les terrasses, les restaurants, tout ce que fait un couple se constituant, ne sera pas possible avant longtemps. Ils comprennent qu’ils vont finir par enfreindre les règles sanitaires. Il n’ose en parler à personne, car personne ne comprendrait. L’interdit ajoute, aussi, à l’excitation. Il prétextera un coup de fatigue, si des amis lui proposent un e-pero ce soir-là. Il inventera une urgence, si ses voisins s’étonnent de son absence. Il n’est socialement plus possible de n’être simplement pas là, depuis ce foutu corona. Il prépare une explication, s’il devait se retrouver dans un contrôle policier. Il se renseigne sur le montant des amendes. Tant pis s’il doit débourser. Il la verra.

Ils conviennent d’une date, l’annulent, la rapprochent. Incapables d’attendre encore davantage que ces dernières semaines. Ils passent ce jour-là à s’écrire. Et s’ils se décevaient, en se voyant ? Et s’ils ne se plaisaient pas, physiquement ? Et si l’enfermement avait exacerbé leurs sentiments ? Et s’ils devaient se contenter d’être amis, plutôt qu’amants ? Ils en rigolent, se rassurent, se répètent leurs certitudes de se plaire mutuellement. Théoriquement.

Il a réussi à dénicher un bouquet de fleurs. L’angoisse, l’excitation, l’envie tenaillent sa gorge et humidifient ses paumes. Il est devant sa porte. Il sonne.

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