Des Philippines à la France en passant par la Birmanie et la Thaïlande, l'ONG oeuvre à la réhabilitation des récifs coralliens. © Mathieu Cugnot / Divergence

Avec les sauveteurs de corail, en mer et en labo (Reportage)

Le Vif

Et si on sauvait le corail sans recourir à des récifs artificiels ? Depuis 2010, l’ONG Ocean Quest Global essaime sa technique de réhabilitation naturelle aux quatre coins du globe. Reportage sur ses formations, en Thaïlande et en France.

Dans sa combinaison de plongée, Maurilo surplombe les branches orangées et blanches qui s’étalent sur quelques mètres carrés au fond de l’eau. Il palme lentement, pour observer ce petit jardin de corail qui fleurit depuis plusieurs mois, près de la côte thaïlandaise de Koh Phi Phi. En Thaïlande, mais aussi en Indonésie, en Birmanie, aux Philippines et en France, Ocean Quest Global a installé une centaine de nurseries semblables. Cette ONG, née en Malaisie, s’est lancée dans la réhabilitation des récifs coralliens en 2010. L’enjeu est majeur : plusieurs rapports montrent que ces petits animaux marins, qu’on assimile souvent à des plantes, risquent de disparaître d’ici à 2050. Une telle extinction aurait des répercussions sur toute la biodiversité marine et sur notre propre écosystème, tant les récifs coralliens jouent un rôle crucial dans l’absorption du dioxyde de carbone par l’océan.

Avec les sauveteurs de corail, en mer et en labo (Reportage)
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Sauver le corail est ainsi devenu le combat de très nombreuses associations et organisations. L’immense majorité d’entre elles recourent aux récifs artificiels, en tentant de recréer un habitat pour les coraux, qu’elles accrochent à des matériaux variés : structures métalliques, murs de béton, morceaux de plastique, lanières de cuir, pneus, épaves de voitures, de bateaux… Plus récemment, une entreprise a même imprimé un récif en 3D. Pour illustrer son propos, Anuar Abdullah, fondateur d’Ocean Quest Global, utilise une métaphore : celle d’un perroquet sur un perchoir.  » Le perchoir, ce n’est pas sa maison, observe-t-il. Les coraux sont des animaux, ils n’ont pas à être attachés. Il faut faire pousser le corail comme on ferait pousser un arbre.  » Au début des années 1980, Anuar a quitté la Malaisie pour rejoindre l’Institut de technologie de Floride, où il a étudié l’océanographie. Et plus particulièrement les coraux. L’homme de 58 ans leur consacre ses jours – et parfois même ses nuits. Une vingtaine d’années, des dizaines d’expériences infructueuses, et une détermination sans faille ont été nécessaires pour que ce passionné mette au point sa propre technique de réhabilitation. Une technique qui frôle le  » 100 % naturel « . Le principe ? Réaliser des  » boutures  » de corail sur leur habitat naturel : des rochers trouvés au fond de l’eau.  » C’est une méthode très facile, et ma responsabilité, c’est de l’apprendre au plus grand nombre « , affirme Anuar.

Avec les sauveteurs de corail, en mer et en labo (Reportage)
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Plongée à Koh Phi Phi

Koh Phi Phi, île au large de la Thaïlande envahie par les touristes dix mois sur douze, accueille régulièrement des stagiaires d’Ocean Quest Global. Ils viennent de Grande-Bretagne, des Etats-Unis, des Pays-Bas, de France… ou de Belgique, comme Charlotte, qui a débarqué à Koh Phi Phi pour plonger, il y a maintenant six ans. Le petit groupe a rendez-vous ce matin pour une session pratique. Entre les boutiques de souvenirs, les restaurants et les centres de plongée, les volontaires trimballent leur matériel jusqu’à une baie, où ils pourront se mettre à l’eau. Bouteilles sur le dos et masques sur la tête, ils chaussent leurs palmes avant de disparaître dans une mer plutôt agitée.

Un premier groupe remonte des rochers, qui serviront de substrat aux coraux.  » Assurez-vous qu’ils n’abritent pas qui que ce soit « , leur a recommandé Anuar la veille, lors d’une journée de théorie. Au fond de l’eau, Léna scrute le sable ; avant de déposer son rocher dans sa corbeille en plastique, elle le retourne, l’examine. Si elle aperçoit une crevette ou un coquillage, elle le repose à sa place. Un peu plus loin, Charlotte est en quête de coraux cassés.  » Anuar m’a montré lesquels prélever « , signale-t-elle une fois à la surface. Pour chaque morceau recueilli, les plongeurs veillent à repérer l’endroit où ils l’ont trouvé, et notent sur une plaquette la profondeur à laquelle il reposait, dans le but de le faire repousser dans des conditions semblables.

Avec les sauveteurs de corail, en mer et en labo (Reportage)
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Travail à la chaîne

Sur la baie, les différentes espèces de corail récoltées sont réparties dans des bassines remplies d’eau de mer. Les outils sont prêts : tenailles à ongles et pinces à épiler ont été désinfectées pour ne pas contaminer les coraux, très fragiles.  » Si vous avez du parfum, de la crème solaire ou du savon sur les mains, c’est nocif pour le corail « , ajoute Anuar, qui demande à ses jardiniers d’enfiler des gants.

Il a apporté un petit tube de glu, seul élément non naturel de cette technique. Une ou deux gouttes de cette colle, soigneusement choisie car utilisée en chirurgie, suffisent pour chaque bouture. Elle se dissout ensuite rapidement grâce à un dernier ingrédient, magique : le  » catalyseur « . Ce liquide blanchâtre, confectionné par Anuar, permet à la bouture de se solidifier et de croître plus vite. La recette, gardée secrète par son inventeur, a été brevetée : impossible pour quiconque de la copier et de la commercialiser. Anuar tient à envoyer gratuitement sa mixture aux bénévoles d’Ocean Quest Global. Un produit qu’il conçoit, déclare-t-il, essentiellement à partir de calcium issu de squelettes de coraux. Un sourire en coin, comme toujours, le scientifique montre à ses stagiaires la poudre qu’il mélange à de l’eau pour obtenir son  » catalyseur  » :  » On dirait de la cocaïne « , plaisante-t-il.

Un travail à la chaîne se met ensuite en place. Première étape : découper les branches du corail en fragments de quelques centimètres. Puis, avec la pince, un premier volontaire les dépose un par un sur le substrat. Charlotte verse une ou deux gouttes de glu, et dans la foulée, Chris, à côté d’elle, appuie délicatement sur la seringue qui contient le catalyseur. Un troisième volontaire arrose régulièrement la bouture qui, selon les instructions d’Anuar, doit  » rester mouillée « .  » Il faut que ce soit fluide, ajoute-t-il en supervisant les mouvements de ses stagiaires. Les coraux sont stressés quand ils restent trop longtemps hors de l’eau.  » Sur un même rocher, deux voire trois bébés sont replantés avant d’être remis à la mer, dans les fameuses nurseries.

Avec les sauveteurs de corail, en mer et en labo (Reportage)
© Mathieu Cugnot / Divergence

Une formation en France

A l’autre bout du monde, au large de Toulon, dans le sud de la France, Pauline, Stéphanie, Guy, Adrien et Raphaël sont eux aussi concentrés sur leurs boutures. Couper, coller, catalyser… Leurs gestes sont précis, malgré l’instabilité du bateau qui leur sert de laboratoire.  » N’aie pas peur, tu ne vas pas leur faire de mal « , rassure Sandrine Treyvaud, qui conduit la formation. En 2017, elle est revenue d’un périple asiatique avec Anuar, avec une idée en tête : former des jardiniers du corail en France. Mais la Méditerranée ne regorge pas d’espèces de coraux tropicaux…  » J’ai cherché durant plusieurs semaines « , signale la monitrice de plongée. Et elle a finalement trouvé Sandy : une boule de corail, qui sert de  » mère  » aux boutures toulonnaises.  » Je la remonte pour les formations, puis je la remets dans un endroit tenu secret, et je vais la voir tous les jours « , sourit Sandrine, avec qui le terme de  » bébés  » coraux prend tout son sens.

Anuar Abdullah (au centre) et ses
Anuar Abdullah (au centre) et ses « jardiniers » du corail : en dix ans, un millier ont été formés.© Mathieu Cugnot / Divergence

A Toulon, elle a mis sur pied une formation sur mesure. Avant de s’entraîner à la propagation, ses stagiaires plongent une première fois pour repérer et faire un état des lieux des coraux cousins de Sandy. Tablettes, crayons et règles en main, les voilà sous l’eau pour noter leur profondeur, observer leur couleur, les mesurer, repérer des anomalies…  » C’est un exercice pseudo-scientifique pour les mettre dans le bain « , justifie Sandrine.  » On s’y croirait !  » confirme Pauline en remontant. La plongeuse est  » tombée amoureuse des jardins de corail  » :  » Je voulais suivre une formation à une technique qui utilise des récifs artificiels, en PVC… Puis, j’ai découvert Ocean Quest Global, dont la méthode est beaucoup plus naturelle.  » Et a priori plus efficace, comme a pu le vérifier Sandrine :  » En Indonésie, notre nurserie est située à côté d’une nurserie artificielle. Anuar m’a demandé de constater par moi-même. Et en effet : de très nombreux poissons gravitaient dans la nôtre, mais pas dans la seconde… L’avantage d’une nurserie naturelle, c’est que si on la laisse, elle continue à se développer, poursuit la monitrice, alors que les récifs artificiels nécessitent beaucoup d’entretien « . Et donc du matériel et de l’argent supplémentaires.

Le principe : réaliser des
Le principe : réaliser des « boutures » de corail sur leur habitat naturel, les rochers.© Mathieu Cugnot / Divergence

De vastes projets de réhabilitation

En moins de dix ans, un millier de jardiniers du corail ont été formés, dont une quarantaine à Toulon. Certains ne sont pas plongeurs, l’essentiel de la plantation s’effectuant en surface. L’ONG a même été choisie pour réhabiliter Maya Bay, rendue célèbre par le film La Plage. Fermée au public tant elle était dégradée, elle accueille de nouveau, depuis quelques mois, diverses espèces marines… dont des milliers de bébés coraux, replantés par Ocean Quest Global.  » On faisait environ 1 000 boutures par jour !  » témoigne Sandrine, qui a été la première Européenne à contribuer à ce projet. Elle-même souhaiterait lancer une campagne similaire, en Guadeloupe. Car si la Méditerranée reste avare de coraux tropicaux, les littoraux français dans le reste du monde n’en manquent pas : la France est le quatrième pays qui compte le plus de récifs coralliens. Former des jardiniers en métropole, et les embarquer pour développer des cultures en outre-mer ; tel est le projet de la monitrice toulonnaise.

Anuar Abdullah, lui, est persuadé d’une chose :  » Je ne sais pas quand exactement, mais nous allons changer le monde de la conservation du corail. Nous allons devenir le Facebook de la préservation des coraux !  »

Par Camille Jourdan.

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