Yvan Mayeur « Ma loyauté à Di Rupo Ier a des limites »

Pensionnés et chômeurs sous pression : la nausée guette Yvan Mayeur. La loyauté du député fédéral PS à Di Rupo Ier a des limites :  » Toucher à l’index, ce sera franchir la ligne rouge.  » Sa patience envers le gouvernement bruxellois de Picqué (PS) est à bout.  » Il est temps qu’il se bouge ! « 

Le Vif/L’Express : La dégressivité des allocations versées aux sans-emploi est chose faite. Di Rupo Ier n’aime pas les chômeurs ?

Yvan Mayeur : La mesure me choque, parce qu’elle se base sur un présupposé idéologique :  » Les gens sont au chômage parce qu’ils le veulent bien. Il suffit, pour travailler, de se lever tôt et d’un bon coup de pied au derrière…  » C’est évidemment insuffisant. Ce n’est certainement pas comme cela qu’on crée de l’emploi.

La mesure ne va-t-elle pas inciter les chômeurs à se remuer ?

La mesure est surtout présentée comme une économie budgétaire, alors qu’elle va coûter plus qu’elle ne rapportera à l’Etat. Ce que l’Etat pense gagner par la dégressivité des allocations de chômage sera compensé par le coût lié à l’engagement de contrôleurs. Absurde !

D’accord avec les syndicats pour attribuer un zéro pointé ?

Tout à fait. Cette mesure n’est rien d’autre que stigmatisante.

Les CPAS devront aider les chômeurs touchés par la mesure, mais cet impact financier ne pourra être chiffré avant 2013 : coupable négligence de ne pas prévoir les conséquences ?

C’est la technique Dehaene : on ne soulèvera la question que quand elle se posera. On en est toujours là. Comme dans beaucoup d’autres domaines d’ailleurs.

Vous annoncez  » une misère sociale inévitable « …

Bien sûr, alors que la situation est déjà insupportable, inadmissible à Bruxelles. En tant que président du CPAS de Bruxelles-Ville, je vois au quotidien des gens qui ne s’en sortent pas. Tout est réuni pour une explosion sociale. Et là, je vise le gouvernement bruxellois. Il est temps qu’il se bouge ! Il lui manque une dynamique. Il faut cesser de rester béat devant 20 % de chômeurs en Région bruxelloise.

Fameux constat de carence pour le gouvernement régional (PS-CDH-Ecolo-CD&V-Open VLD-Groen) présidé par Charles Picqué, socialiste comme vous. Le MR ou la N-VA, dans l’opposition, ne disent pas autre chose…

La N-VA n’a rien à proposer d’intéressant, et le MR revient avec des formules d’un classicisme qui n’a pas porté ses fruits. Il faut qu’il y ait enfin des grands chantiers d’investissements sur Bruxelles : dans les transports publics, dans le non-marchand qui est un énorme vivier d’emplois, dans les structures d’enseignement. Voilà l’enjeu.

La répression de la fraude sociale, mise en £uvre par John Crombez (SP.A), relève d’une  » politique d’annonce inefficace « , dites-vous. Décidément, vous collectionnez les déceptions…

Lutter contre le phénomène des adresses fictives, moi je veux bien. Mais c’est un peu sommaire : on s’en prend à des gens sans avoir cherché à savoir pourquoi ils agissent ainsi, et sans s’être demandé qui leur accorde ces adresses fictives. On va ainsi donner la chasse à une fraude sociale minuscule, mineure, pratiquée par des gens qui n’ont pas le choix d’agir ainsi : c’est pour gagner 200 euros qu’ils obtiennent une adresse fictive auprès d’un propriétaire véreux qui se sucre au passage. 200 euros, ça compte quand il faut survivre à Bruxelles avec 750 euros par mois. Se rend-on bien compte de quoi on parle ?

Le monde syndical n’est pas tendre à l’égard de la politique de la ministre fédérale de l’Emploi, la socialiste flamande Monica De Coninck : à tort ou à raison ?

Monica De Coninck a été présidente du CPAS d’Anvers, je la connais bien. Si j’ai un reproche à lui faire, c’est d’être trop anversoise. On ne peut pas calquer un raisonnement ou une recette que l’on pratiquait à Anvers à une situation comme celle de Bruxelles : à Anvers, c’est le plein- emploi ! Monica de Coninck doit se  » fédéraliser « , elle doit ouvrir les yeux sur une réalité de l’emploi et du chômage qui existe à l’échelle fédérale.

Si on vous suit, vous votez ces mesures en vous pinçant douloureusement le nez. Votre loyauté envers le travail du gouvernement est donc sans bornes ?

Ah non ! J’ai mis des limites, je les ai exposées au bureau du PS, en présence du Premier ministre. Toucher à l’index serait franchir la limite de l’acceptable. Si le modèle social belge vole en éclats, la survie du pays n’a de toute façon plus beaucoup de sens. Il est de mon devoir de dire que les mesures prises en matière de pensions ou de chômage sont injustes et mal ciblées.

Mais ces mesures, vous les soutenez néanmoins. Vous votez par désespoir ?

C’est vrai : comme beaucoup de collègues, je vote souvent avec des pieds de plomb. Nous soutenons un gouvernement de survie nationale sur le plan institutionnel, qui va de la gauche à la droite. Il faut bien passer par des mesures de droite, non pertinentes, vexatoires et blessantes pour ce que certains appellent les  » petites gens « . Ce serait, dit-on, le prix à payer sur le plan social pour permettre aux libéraux de faire mal aux gens. Il faut bien en donner un peu à tout le monde.

Entre la gauche et la droite au sein de Di Rupo Ier, les comptes sont-ils équilibrés ?

On perd beaucoup, mais on gagne un petit peu. Notamment en Sécu, en santé publique. A côté de cela, on est confronté à une droite globalement dominante. Il faut vivre avec la réalité politique : à gauche, on est plutôt dans une forme de résistance politique…

Vous faites la démonstration : Di Rupo Ier est bien un gouvernement de centre-droit…

Non. Maintenir l’index, sauver la Sécu, garder une politique de santé publique, c’est mener une vraie politique de gauche. Vouloir faire mal aux gens, ce sont des mesures de droite.

L’électeur saura-t-il faire la distinction, à l’heure de juger le gouvernement ?

Il faudra lui répondre loyalement, lui dire la vérité. J’assume ce que je vote, mais je ne vais pas revendiquer la paternité de ce que j’ai approuvé sans aucun enthousiasme. Il ne faudrait pas exagérer !

Le PS a du pain sur la planche : comment séduire l’électorat de gauche dans des conditions aussi ingrates ?

Equation difficile, mais jouable. En tout cas, le PS ne peut pas se permettre de devenir un CVP, du temps où ce parti se confondait avec le gouvernement. Il faut éviter la confusion entre le parti et le gouvernement. Il faut admettre que notre opinion ne triomphe pas dans tous les domaines au sein du gouvernement, et faire clairement connaître la position du PS sur des décisions où nous étions en désaccord. Il faut parier sur l’intelligence de l’électeur.

Raison de plus pour avoir un président  » fort  » à la tête du PS, afin de relever ce défi crucial de la visibilité ?

Thierry Giet est arrivé à la tête du PS dans une situation peu commode et surtout inédite, puisqu’il fallait remplacer notre président devenu Premier ministre. Thierry Giet est un président  » normal « , et je le lui ai dit. Moi, je trouve ça chouette. Il faut quelqu’un pour tenir la boutique, stabiliser les choses, être un pilier de référence à l’égard des militants et des élus. Et ne pas chercher autre chose.

Le PS débordé sur sa gauche : ça craint ?

Non, pas du tout. A moins que la FGTB ne devienne révolutionnaire… Qu’est-ce qu’il y a de crédible à la gauche du PS ?

L’après-Moureaux a commencé au PS : Philippe Moureaux a cédé la présidence de la fédération bruxelloise à Rudi Vervoort. Comment combler ce vide qui se profile à la gauche du PS ?

Philippe Moureaux est une référence du socialisme et le restera. De là dire qu’après Moureaux ou Picqué, ce sera le grand vide, c’est du n’importe quoi. Le PS bruxellois regorge de talents qui ne demandent qu’à s’exprimer. Pas de tracas : quand les aînés quitteront la place, nous la prendrons.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

 » Comme beaucoup de collègues, je vote souvent avec des pieds de plomb les mesures du gouvernement « 

 » La gauche perd beaucoup, gagne un petit peu. Le prix à payer pour permettre aux libéraux de faire mal aux gens « 

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