Vous risquez gros !

Poker, Lotto, casinos… Les jeux de hasard illégaux foisonnent sur Internet. Avec le risque de se faire escroquer et de devenir accro. Une nouvelle loi doit bientôt être appliquée… Pour autant qu’il y ait un gouvernement en exercice.

C’est un véritable emballement.  » On joue quinze fois plus qu’il y a vingt ans « , se plaît à répéter Etienne Marique, président de la Commission des jeux de hasard. Comme la plupart de ses voisins, le Belge aime de plus en plus acheter du rêve. Chaque semaine, entre 1,5 et 1,6 millions de nos compatriotes remplissent leur bulletin de Lotto. Près d’un Belge en âge de jouer sur quatre ! Aujourd’hui, à l’ère d’Internet, ce sont surtout les jeux en ligne qui connaissent un succès fulgurant.

Depuis le mois de mars, La Loterie nationale s’est lancée sur la Toile. Plus besoin d’aller chez le libraire. Les internautes peuvent tenter leur chance au Lotto, Keno, Joker et Euro Millions, en quelques clics de souris.  » Plus de 90 000 joueurs ont déjà créé un compte sur notre site, sans que cela influence le nombre de joueurs sur papier, constate Pierre-Laurent Fassin, porte-parole de La Loterie nationale. On atteindra certainement les 100 000 inscrits, début octobre, d’autant qu’il y aura alors un gros jackpot à 100 millions d’euros. « 

En 2009, La Loterie a étudié le marché belge du jeu sur Internet (1). Résultat : 145 000 joueurs réguliers y dépensent, en moyenne, 682 euros par an. Les plus mordus déboursent, en moyenne, 1 450 euros. Au total, rien que pour le Web, cela représente 100 millions d’euros par an, dont 40 millions de recettes pour les organisateurs de ces jeux ! Un vrai jackpot quand on sait que la proportion des joueurs online a doublé depuis 2006. Selon le Crioc (2), après le pic de l’année dernière, la courbe s’est cependant inversée. Sans doute à cause de la diminution du pouvoir d’achat.

Cela dit, les jeux et paris sur Internet continuent à attirer les amateurs. Surtout des jeunes. L’étude de La Loterie a révélé que 43 % des joueurs sur Internet avaient entre 18 et 34 ans et qu’on pouvait attribuer 50 % des mises totales à cette tranche d’âge. L’an dernier, le Crioc s’est également intéressé aux jeunes joueurs (3). Constat : plus d’un jeune de moins de 18 ans sur cinq a déjà joué pour de l’argent, même à des jeux qui sont interdits pour leur âge. Ceux-ci dépensent, en moyenne, 38 euros par mois.

Génération poker

Près de deux tiers des jeux de hasard pratiqués sur Internet sont des jeux de poker… Significatif : 250 000 internautes sont branchés en permanence sur PokerStars, qui se targue d’être la plus grande salle de poker en ligne du monde. Le poker, réel ou virtuel, est un des jeux les plus prisés par les jeunes. Il s’agit d’une véritable culture chez les ados, popularisée par Hollywood à travers des blockbusters comme Casino Royale, l’avant-dernier James Bond. Le phénomène est tellement préoccupant que la Commission des jeux de hasard a conçu un dossier pédagogique, étoffé d’un film long-métrage bilingue ( » Bluff ! « ), qui tourne avec succès dans les écoles depuis janvier dernier. Objectif : montrer la spirale infernale dans laquelle on risque de tomber si le jeu devient une drogue.

Sur Internet, le poker – comme d’ailleurs les jeux de hasard en général – est encore plus dangereux. Dans un rapport au ministre français du Budget (4), le criminologue Alain Bauer pointe les principaux risques du jeu en ligne et notamment la manipulation de logiciels. Sur certains sites, les joueurs se confrontent, sans le savoir, à des robots, ou des  » bots  » en cyber-jargon, programmés pour les conditionner à toujours miser davantage. Au départ, les gains tombent régulièrement, donnant de l’espoir à l’internaute qui se fera finalement plumer. Il n’y a, ici, plus aucun hasard… La majorité des sites proposent aux curieux de tester les plates-formes de jeu, mais ces démonstrations sont très souvent tronquées.

Sur les nombreux forums consacrés à ces arnaques, les victimes se plaignent également de problèmes de règlements de la part de casinos en ligne. Extrait choisi sursos-casino.monforum. com :  » Je joue au casino rich reel depuis 3 jours ; je suis monté à 5 100 euros en y passant au moins 30 heures. Hier, en pleine partie, mon compte se bloque. Impossible de me connecter, compte verrouillé  » (Babydoud, 2010).

Jeux d’argent et criminalité

De tout temps, les réseaux criminels se sont intéressés aux jeux de hasard. En France, selon Bauer, entre 6 000 et 7 000 machines à sous clandestines rapportent, chacune, de 4 000 à 7 000 euros tous les mois à ses propriétaires mafieux.  » Aujourd’hui encore, en Belgique, on déplore, en moyenne chaque année, quatre meurtres liés aux jeux de hasard, que ce soit des règlements de compte, des crimes pour dettes… « , observe Etienne Marique.

Il n’est pas surprenant qu’Internet soit également contaminé. Selon Europol (European Police Office) et le groupe Lexsi (spécialisé dans la sécurité du Net), on peut estimer que de 75 à 80 % des jeux en ligne dans le monde se trouvent dans les mains de criminels. Aujourd’hui, en Belgique, l’anarchie complète qui règne sur les jeux en ligne favorise l’essor de cette criminalité.

En théorie, excepté pour La Loterie nationale, les jeux de hasard sur Internet sont interdits. En théorie seulement. Car, face à la prise d’assaut du Web par les jeux de hasard, les parquets ont finalement fermé les yeux. Au point que la société Unibet qui exerce en toute illégalité sur le Web belge reçoit les paiements des internautes via une banque anversoise !

Outre les risques de fraude et de dépendance, le problème des jeux en ligne est qu’ils permettent au crime organisé de blanchir de l’argent sale. En Afrique du Sud, lorsqu’ils ont légalisé les jeux en ligne en 2008, les parlementaires ont attiré expressément l’attention, dans une annexe à la loi, sur les risques de blanchiment par les organisations mafieuses et de financement du terrorisme. La plupart des sites sont logés à Malte ou à Gibraltar, Etat ou territoire plutôt laxistes et fiscalement attrayants. Contrairement aux casinos belges avant leur légalisation en 1999, les jeux clandestins sur le Web constituent une perte de revenus fiscaux pour l’Etat.

Cette situation absurde (qui n’est pas propre à notre pays) est identique à celle des casinos réels avant 1999. Pendant près d’un siècle, la seule loi applicable en Belgique était celle de 1902 qui interdisait tous les jeux de hasard sur le territoire du pays. Malgré cela, huit casinos fonctionnaient, en étant tolérés par les autorités publiques, et s’acquittaient de leurs impôts. La loi du 7 mai 1999 a légalisé cette situation de fait, avec un régime de licences accordées aux casinos et aux salles de jeux par la Commission des jeux de hasard. En 2005, un nouveau casino a d’ailleurs vu le jour, en toute légalité cette fois, à Bruxelles.

Bloquer les sites étrangers

Bref, il était grand temps de remettre de l’ordre, en légalisant d’une manière ou d’une autre les jeux en ligne organisés par le secteur privé. Une nouvelle loi a été votée en 2009. Elle devrait être appliquée à partir de janvier 2011. Désormais, seuls les opérateurs réels basés en Belgique, soit les 9 casinos et 180 salles de jeux, pourront exploiter des jeux de hasard sur Internet, moyennant l’octroi d’une licence par la Commission. Pour avoir accès aux sites, les joueurs devront d’ailleurs s’inscrire auprès de ces établissements, ce qui permettra de contrôler leur âge. Il ne sera possible de jouer que sur un seul site à la fois, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : certains mordus misent sur plusieurs sites en même temps… Des pertes horaires maximales seront également prévues, comme pour les jeux réels.

Idem pour les paris en ligne :  » Les parieurs sont des gens plus prudents. Le noyau dur est resté fidèle aux agences de courses et de paris sportifs qui ont d’ailleurs vu se développer un réseau parallèle d’agences clandestines ces dernières années. Mais, l’an prochain, le Web, qui sera sécurisé, attirera davantage de parieurs « , analyse Alain d’Hoghes, de Ladbrokes Belgique, président de l’Union des agences de paris.

Les sites étrangers, actuellement illégaux, n’auront qu’une solution : s’associer à un casino ou une salle de jeux en Belgique. Pour éviter le crossboarding gaming, la Commission pourra fermer les vannes.  » Aujourd’hui, il y a un vide juridique qui nous empêche d’agir, mais, bientôt, il sera possible de faire bloquer les sites pirates ainsi que les paiements bancaires des internautes « , explique Etienne Marique. Révélateur : PokerStars a déjà montré sa bonne volonté en arrêtant de bombarder le Web belge de publicités et en venant discuter avec la Commission.

Tout est prêt pour donner enfin un cadre légal aux jeux en ligne. Tout, sauf le gouvernement. Les arrêtés royaux d’exécution de la nouvelle loi, préparés avant Pâques et pour lesquels il fallait l’avis du Conseil d’Etat, de la Commission de protection de la vie privée, etc., ne requièrent plus qu’une signature ministérielle. Mais l’équipe d’Yves Leterme est en affaires courantes. Aucun ministre ne peut signer… Sur 40 arrêtés, une trentaine ne seront vraisemblablement pas prêts pour le 1er janvier, date fixée pour lancer la nouvelle procédure !

En attendant, la législation européenne risque, elle aussi, d’évoluer. Actuellement, malgré la pression des gros opérateurs, tel Unibet, qui veulent totalement libéraliser les jeux en ligne, la jurisprudence de la Cour européenne de justice (arrêt Liga Portuguesa du 8 septembre 2009) stipule que les jeux de hasard ne constituent pas des services comme les autres. Ceux-ci ont d’ailleurs été exclus de la fameuse  » directive services « , dite Bolkenstein, en 2006. Les Etats membres restent donc relativement libres de fixer leurs propres règles en la matière.

Mais, le 8 septembre, la même Cour de justice de Luxembourg a suspendu le monopole public des loteries et paris allemands. La Cour a rappelé que les Etats avaient la possibilité de restreindre la liberté d’établissement des sociétés privées de jeux pour autant qu’ils respectent des règles de prévention à l’addiction aux jeux, notamment en limitant la publicité pour les loteries et paris du monopole public. Cette décision, qui a eu l’effet d’une bombe dans le secteur des jeux de hasard, a ouvert une brèche importante. Les opérateurs privés vont s’y précipiter et raviver leur lobby auprès de la Commission européenne qui leur prête déjà une oreille très attentive.

(1) Sur un échantillon représentatif de 1 003 personnes âgées de plus de 18 ans.

(2) Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs.

(3) 2 600 interviews quantitatives d’élèves francophones et néerlandophones en primaire et secondaire (décembre 2009).

(4)  » Jeux en ligne et menace criminelle « , Alain Bauer, 2009, La Documentation française.

THIERRY DENOËL

4 meurtres par an liés aux jeux de hasard en belgique

il ne sera possible de jouer que sur un seul site à la fois

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