Une ville, deux écoles, deux univers

Deux écoles bruxelloises. Deux univers à des années-lumière l’un de l’autre. A l’athénée Jean Absil (Etterbeek) comme au centre scolaire Marie-la-Sagesse (Schaerbeek), les enseignants se disent à leur place et ne voudraient pas l’échanger. Mais beaucoup crient leur révolte : pourquoi tant de différences ?

 » On est là pour enseigner « 

Dans un agréable quartier d’Etterbeek, l’athénée royal Jean Absil accueille plus de 1 100 élèves. Un public international plutôt privilégié. Ici, la discipline se règle chez M. le préfet. Et les profs sont là pour enseigner…

 » Dag allemaal « ,  » Dag Mevrouw « . C’est le signal : les élèves peuvent s’asseoir. Cours de néerlandais, première année. Il y a beaucoup d’interaction en classe. Lorsque Mme El Bousouali pose ses questions, les doigts se lèvent comme des flèches. L’élève interpellé répond, in het Nederlands. Tout se déroule dans l’ordre et le calme. Quelques élèves chuchotent.  » Tu veux bien t’asseoir convenablement « , lâche l’enseignante à l’un d’eux.

Dans la salle des profs – spacieuse, lumineuse – on ne se plaint pas des jeunes.  » Ils sont parfois chiants, mais c’est anecdotique, confie un professeur de français. Le plus dur est de mettre au travail ceux qui ne veulent pas. Mais globalement, on a des élèves brillants, vifs, intéressants. Le taux d’échec est d’ailleurs ridicule. En fait, ici, rien n’est très difficile. Le plus lourd, c’est la charge des corrections… « 

Une autre insiste sur la gestion des parents :  » Certains mettent en doute ce qu’on enseigne ou la manière dont on le fait. Ils nous demandent comment on cote. Les réunions de parents se terminent généralement tard.  » M. Milants est professeur de langues. Il semble franchement heureux.  » Je ne souhaiterais pas aller dans une école plus difficile. Moi, je suis là pour enseigner, pas pour m’occuper des problèmes de chacun. « 

 » Pour la discipline, il suffit de faire « bouh » « 

Toutes les personnes croisées le confirment : l’athénée Jean Absil est un établissement privilégié. Qui ne peut accueillir tous les élèves qui le souhaiteraient.  » Certaines de mes classes dépassent déjà le nombre normal autorisé, regrette Charles-Henri Capelle, préfet des études.  » Malgré la surpopulation, il connaît chacun de ses élèves. Et tient à s’occuper personnellement de la discipline.  » Mais en réalité, les problèmes disciplinaires ne sont pas très compliqués à gérer. Dans le chef des élèves, il y a une part de jeu. Souvent, il suffit de faire « bouh » ! »

Dans la cour de récréation, on trouve des élèves de toutes les origines.  » Une magnifique soupe « , sourit le préfet. Mais dans laquelle il n’y a pas de primo-arrivants.

Quand on évoque un enseignement à deux vitesses, M. Capelle élargit le débat.  » Bruxelles est une ville à deux ou plusieurs vitesses. Je comprends qu’on veuille réguler la mixité sociale mais, dans notre ville, c’est impossible. L’enseignement reflète les différences de la ville. Ecoles favorisées ou défavorisées ? Ce qui me révolte, moi, ce sont les inégalités sociales, globalement ! « 

 » On nous a abandonnés « 

Absentéisme, mariages forcés, méconnaissance du français… Au centre scolaire Sainte-Marie-la Sagesse, les difficultés sont de taille. Mais les profs sont motivés, même si la colère et le désespoir guettent.

Bienvenue en  » petite Anatolie « , à quelques encablures de la gare du Nord, à Schaerbeek. L’école Sainte-Marie-la Sagesse accueille près de 400 jeunes de toutes origines… ou presque : on n’y trouve aucun  » Belge de souche « .

Ce matin, un  » café des parents  » est organisé. Autour de croissants, quelques responsables de l’école dialoguent avec les sept mamans qui ont répondu à l’appel. On converse à bâtons rompus. De la place du Web dans la vie des jeunes, de l’importance des origines, des stigmatisations… Le but : créer du lien, briser les barrières. Une femme paraît plus marquée que les autres. Inquiète :  » Mon enfant ne va plus à l’école, je ne sais plus quoi faire… « 

Au même moment, Christine Vanderlinden enseigne l’anglais à des élèves de la section tourisme. La classe est petite. L’ambiance est spontanée, on fait des blagues. Un élève suit le cours debout.  » Le métier est fatigant mais je ne voudrais pas travailler ailleurs, lâche l’enseignante. Ici, on n’a pas les parents sur le dos. Mais cela veut dire que, souvent, les jeunes n’ont personne derrière eux. « 

Du coup, le prof est souvent obligé de changer de casquette : confident, psychologue, assistant social… Car derrière les élèves peuvent se cacher des situations dramatiques. Grossesses non désirées, précarité, mariages forcés, parents drogués… Une médiatrice scolaire de la Communauté française est détachée à Sainte-Marie. Son rôle est d’ouvrir un espace d’écoute.  » Des histoires invraisemblables  » se partagent dans la confiance de son bureau.

 » C’est l’école de la première chance « 

En salle des profs, un enseignant ne cache pas sa colère.  » Le système est piégé. Pourquoi tant de différences entre les écoles ? C’est une atteinte aux droits des jeunes ! On cultive la différence avant de la stigmatiser.  » Il n’échangerait pourtant pas sa place.  » Ceux qui recherchent le confort pédagogique iront ailleurs…  » Car, pour tenir, il faut y croire. On fait face aux cas les plus difficiles.

 » Il y a des fous dans ces classes, confie une enseignante. Il faut être un saint pour y donner des cours.  » Wasso y est professeure de religion catholique.  » Spontanément, les jeunes ont souvent des réactions agressives. Il y a eu des agressions. Parfois ça donnait envie d’arrêter. Mais il faut des profs qui se jettent à l’eau ! « 

A l’heure des inscriptions, cet établissement constitue rarement le premier choix des parents. Aucun enseignant de l’école n’y a d’ailleurs placé ses enfants. Une école de la dernière chance ?  » Une école de la première chance, réagit Marc Timmerman, le directeur adjoint. Ici, plus qu’ailleurs, on donne des chances : on cherche des solutions, on exclut moins vite. « 

L’homme s’alarme toutefois du taux d’échec de ses élèves : plus de 35 % en 2011. Et de l’échec de la politique de mixité sociale.  » C’est pire qu’avant les décrets.  » Une autre responsable se fait plus ferme encore :  » Les moyens supplémentaires ne suffisent pas. Il faudrait que la Fédération Wallonie-Bruxelles adapte ses procédures et ses règlements à ce type d’écoles. J’ai le sentiment qu’on nous a abandonnés. « 

VINCENT DELCORPS

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