Depuis l'été dernier, les mouvements d'extrême droite infiltrent les manifs de contestation autour de la Covid, comme ici aux "Boums" du bois de la Cambre. © belga image

Un Jürgen Conings wallon, c’est possible

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le danger ne vient pas que de Flandre. L’extrême droite et les néonazis sont aussi bien présents dans le sud du pays. Moins que dans le nord, mais une étincelle peut suffire.

Jürgen Conings pourrait-il être wallon? Autrement dit, existe-t-il, dans le sud du pays, un terrain favorable à l’émergence de ce genre de combattant dangereux et déterminé, comme en Flandre? Quel est le niveau de la menace côté francophone? On a l’habitude d’entendre qu’il y a surtout des fachos et des néonazis chez les Flamands qui ont voté en masse pour le Vlaams Belang aux dernières élections législatives: 800 000 voix (près de 12% des votes). Il est vrai qu’à côté, les partis Agir et Nation, pseudo-podes de feu le Front national belge, faisaient grise mine, le 26 mai 2019, avec respectivement 7 600 (0,11%) et 10 580 voix (0,16%). D’ailleurs, après cette bérézina électorale, de nouvelles divisions internes ont éclaté. Une habitude pour l’extrême droite wallonne.

Le Hainaut est le fief de l’extrême droite depuis le dimanche noir de 1991.

Au parti Nation, la moitié des cadres, déjà pas nombreux, ont créé, en décembre 2019, une nouvelle formation: le Parti national européen (PNE), mené par Jean-Pierre Borbouse, 66 ans, ancien député régional du FN. On se rappelle que Nation, fondé en 1999 par l’ancien chef de la mouvance néonazie francophone Hervé Van Laethem, relevait déjà d’une dissidence du FN. Lequel FN est devenu Agir, en 2017, à l’issue d’une longue saga judiciaire avec Marine Le Pen qui ne voulait plus que le parti belge soit apparenté au Front National original, de France, en profitant de son nom et de son sigle. Avant cela, les luttes de clans n’ont cessé de diviser le FN, usé par les guerres d’ego.

Le fief du Hainaut

Cette culture des querelles et du divorce est ce qui différencie le plus l’extrême droite francophone et flamande. « Sans ces bagarres et avec davantage de structures, le FN qui avait obtenu un élu au Parlement fédéral en 1991 et deux élus régionaux bruxellois en 1989, aurait sans doute gardé une force de frappe bien plus dangereuse, analyse Manuel Abramowicz, fondateur de RésistanceS, l’observatoire belge de l’extrême droite. Résultat des courses, aujourd’hui, Nation ne parvient plus qu’à réunir une quinzaine de personnes, lors du dernier 1er mai, et le PNE ne fait pas mieux. Quant à Agir, cela ressemble à l’amicale des papys anciens du FN. » Il ne subsiste d’ailleurs plus qu’un seul élu d’un parti d’extrême droite francophone: Salvatore Nicotra (Agir), au conseil communal de Fleurus.

Cela n’empêche toutefois pas de voir apparaître des groupes d’action extrémistes dans le sud du pays, même s’ils sont moins nombreux que dans le nord. Selon une note du ministère de l’Intérieur remise à la Chambre il y a six mois, deux tiers des personnes enregistrées par la police comme membres d’un groupement d’extrême droite viennent de provinces flamandes. Un bon 20% dans les provinces wallonnes. C’est surtout le Hainaut qui est épinglé, avec 13%, puis Liège (moins de 4%). « Pas étonnant, commente le fondateur de RésistanceS. Le Hainaut est le fief de l’extrême droite depuis le dimanche noir de 1991, en particulier Charleroi Métropole où subsiste le dernier élu, à Fleurus, et où est basé le PNE, Borbouse étant carolo. Mais il y a aussi des noyaux durs à Ath, d’où venait Daniel Féret, à Mouscron et à Tournai, avec les groupes En colère, et un peu à Mons et La Louvière, avec des activistes dans les supporters de foot ultra. »

Fan club d’Adolf Hitler

Ces groupes sont souvent sporadiques. Ceux qui sont actifs sont donc récents. Certains, comme l’asbl Valeurs nationales (VN), créée il y a deux ans à Liège et dirigée par trois ex-candidates de Nation en mai 2019, sont nés d’une dissidence avec le parti. VN, qui a scellé des liens avec Agir en mars 2020, est spécialisé dans l’aide aux démunis à des fins militantes, en vue des prochaines élections. D’autres semblent beaucoup plus dangereux, comme Honneur et Nation, la section belge du groupe néonazi français du même nom, dont six activistes, soupçonnés de préparer des actes terroristes, ont été arrêtés dans l’Est de la France il y a un an. Apparu en juillet 2020 sur les radars de RésistanceS, H&N Belgique s’est déjà rebaptisé Alliance Belgique. Sa page Facebook rassemble 230 abonnés.

« C’est un vrai fan club d’Adolf Hitler. Son meneur, le jeune skinhead surnommé Duss, se présente sur les réseaux sociaux comme NSDuck88, NS pour National-socialisme, 88 pour HH ou Heil Hitler, explique Abramowicz. Ce Duss et les quelques membres ou sympathisants du groupe sont liés, d’une manière ou d’une autre, au mouvement Nation. Ils sont présents dans le Hainaut et un peu à Liège. » Dans un article du 21 mai, RésistanceS note que les Belges de ce réseau de suprémacistes blancs qui, issus des fanatiques de Blood&Honor, évoquent la guerre raciale, pourraient être concernés par une enquête française.

Si le risque violent existe en Wallonie, les groupuscules semblent surveillés de près. Il y a quelques années, la police a ainsi démantelé le Front Eolh (NDLR: lettre rune de l’alphabet germano- nordique), qui rassemblait, en Ardenne, une petite dizaine de jeunes skinheads armés, prêts à passer à l’acte. Depuis lors, ce groupe a disparu.

Militaires de l’extrême

Pour Manuel Abramowicz, le danger peut aussi venir de loups solitaires, comme l’est sans doute Jürgen Conings. « Le loup solitaire est un individu qui a un problème de santé mentale et s’accapare une idéologie conspirationniste typique de l’extrême droite xénophobe et antisystème qui attise sa paranoïa, explique-t-il. S’il a des compétences militaires et accès à des armes, il peut être très dangereux. La responsabilité morale des groupes qui alimentent ces individus est énorme. » Un constat partagé par l’Ocam, pour qui le processus de radicalisation extrémiste violent est très similaire à d’autres processus tels que le djihadisme.

Les liens entre extrême droite et militaires de carrière sont également étroits. On en retrouve un peu partout. C’est le cas d’Hervé Van Laethem ou du dirigeant de feu le Front de Belgique. Nation compte ou a compté, par ailleurs, nombre d’anciens militaires, dont un attaché au Shape, le QG de l’Otan. Le nouveau groupe Alliance pour la Wallonie, proche du PNE, très anti-immigration, est quant à lui composé de cinq membres dont deux anciens militaires et deux ex-policiers. Sur les réseaux sociaux, les exemples de militaires en service qui affichent leurs sympathies pour l’extrême droite sont légion. En outre, aujourd’hui, la crise de la Covid est devenue un terreau pour les mouvements d’extrême droite qui infiltrent les manifs antirègles sanitaires ou de soutien à l’Horeca en Wallonie ou encore les antivax. On en a vu, wallons et flamands, lors des « Boums » organisées au bois de La Cambre, à Bruxelles.

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