Une des causes de la pénurie: les chaînes de production impliquent des matières premières de plusieurs pays. Un grain de sable dans l'engrenage et tout peut dérailler. © getty images

Comment faire face aux pénuries alimentaires? « Soyons clairs, on ne retombera pas dans des logiques de circuits courts »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

L’Europe paie le prix des politiques agricoles menées ces dernières années et de son manque d’anticipation dans la gestion de crise, estime Didier Van Caillie, professeur de stratégie d’entreprise et de contrôle de gestion à HEC (ULiège).

Bloquer les prix des produits de première nécessité pour préserver le pouvoir d’achat, une fausse bonne idée?

Politiquement, c’est une idée qui paraîtra très sympathique aux yeux de l’électorat mais elle ne sera pas efficace dans un marché mondialisé et globalisé comme le nôtre. Soyons clairs, on ne retombera pas dans des logiques de production en circuit court. Ça restera toujours de l’ordre du long et du distant. Or, si les intermédiaires de la chaîne sont bloqués, ils iront tout simplement proposer leur production ailleurs. La seule solution envisageable, si on veut bloquer les prix, serait de faire appliquer la mesure à l’échelon mondial. Mais ça reste utopique…

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La France l’a pourtant fait récemment pour les gels hydroalcooliques et les masques. Ne pourrait-on pas cibler certains produits?

Didier Van Caillie, professeur de stratégie d'entreprise à HEC - école de gestion de l'ULiège.
Didier Van Caillie, professeur de stratégie d’entreprise à HEC – école de gestion de l’ULiège.© DR

Dans ce cas précis, la mesure était compensée par des stocks suffisants et pouvant être produits à l’échelon local. Ici, on parle d’agroalimentaire, secteur pour lequel on dépend de la nature et des cycles de production existants. D’où l’importance de prendre en compte les conséquences de plus en plus notables du réchauffement climatique car les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont systémiques. Si on pousse sur le mauvais domino, c’est tout le jeu qui s’effondre.

Comment envisagez-vous l’évolution de la situation dans les prochaines semaines, les prochains mois?

L’origine des problèmes dans la chaîne logistique est toujours la même: l’incertitude. La grande distribution, c’est deux tiers de produits alimentaires et un tiers de non-food, et pour l’ensemble de ces produits on est face à un énorme point d’interrogation au sujet des quatre paramètres concernant l’approvisionnement: la quantité de ce qu’on pourra acheter – tant pour les matières premières que pour les produits intermédiaires et sachant que plus il y a d’intermédiaires, plus il y a d’inconnues -, la qualité de ce qui sera disponible, le prix et le moment où ce sera disponible. C’est cette incertitude intervenant en même temps sur les quatre paramètres qui provoque le goulot d’étranglement. Ça, c’est pour ce qui passe en amont. En aval, à l’échelon de la demande des consommateurs, planent aussi deux doutes majeurs qui, en temps normal, sont bien contrôlés: c’est, à nouveau, quelle quantité et à quel moment. La crise que nous traversons et les multiples pénuries annoncées ont pour conséquence que les consommateurs ajustent leur comportement et se ruent de façon totalement irrationnelle sur un certain nombre de biens.

L’Europe paie les choix posés ces dernières années en matière de politiques agricoles.

Pour l’instant, les consommateurs font plutôt preuve de sang-froid…

Oui, mais peut-être parce qu’ils pensent que la crise ne durera pas. Or, les effets de ce conflit n’apparaîtront que dans les semaines et les mois à venir, une fois que les accords politiques et économiques auront été renégociés. L’Ukraine est considérée depuis longtemps comme le grenier de l’Europe. A partir du moment où on se dirige vers une redéfinition géopolitique de la région, et notamment de la mer d’Azov, les trajets de transport risquent inévitablement d’être modifiés, avec des durées plus longues, des frais supplémentaires, des navires d’autres gabarits…. Face à cette incertitude, les entreprises réagiront mais on n’adapte pas une stratégie d’approvisionnement du jour au lendemain, surtout quand la chaîne compte autant d’intervenants.

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Nous ne serons donc jamais à l’abri d’une pénurie?

L’Europe paie le prix des choix posés ces dernières années en matière de politiques agricoles. On n’a pas mesuré le risque géopolitique. On pourrait revenir en arrière mais ça prendrait au moins cinq ou dix ans. Une fois que la crise est passée, on a tendance à oublier qu’il faut se préparer à la prochaine. On n’anticipe pas.

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