Sages de l’audiovisuel

Serge Moati et les blessures d’une vie, Michel Drucker et les mirages de la gloire : quand deux figures de la télé fendent l’armure.

Il n’y a pas de cuir assez épais pour protéger le coeur humain. Même tannée aux feux de la rampe, la peau d’une célébrité laisse passer les douleurs et filtrer ses émotions. On le sait pour les artistes, on l’envisage rarement pour les stars de l’audiovisuel. Deux d’entre elles, régnant au firmament du PAF (paysage audiovisuel français), inoxydables en apparence, livrent des Mémoires décalés, autobiographies un peu meurtries, un rien mélancoliques. Serge Moati mena sa carrière devant et derrière la caméra, et les deux pieds dans la politique. Michel Drucker voua tout son temps aux plateaux et se méfia du pouvoir depuis les tourments de Mai 1968. L’un est un bon vivant dont la silhouette illustre la joie d’être au monde, l’autre est un grand sportif dont l’ascèse est une jouvence. Et tous deux ont une cicatrice en guise de ligne de vie.

Pour Serge Moati, la blessure est nichée au coeur de 1957, quand il perd en quelques mois ses parents, puis le pays de son enfance, la Tunisie. La mort et l’exil, deux faces d’une même monnaie que frappe le destin pour payer la rançon de l’existence. Serge s’appelle Henry, mais prend le prénom du père défunt et part chercher la gloire – au moins la lumière. Usurpateur ? Schizophrène ? Un dépucelage homérique, une saga africaine et l’épopée mitterrandienne lui permettent de se faire un parcours, puis un nom. Enfin l’âge vient, et la sérénité baigne le crépuscule.

Mettre son amour-propre sur le tapis

Si Moati s’angoisse d’être trop nombreux en lui-même, hanté par le dialogue des morts, Drucker lutte contre la solitude. Un père, une mère, un frère qui disparaissent, et soudain l’écho seul demeure pour entendre les confidences ou les doutes. Lui n’a pas choisi de raconter sa vie au fil des ans, mais de se promener parmi les années et les rencontres, en cherchant tous les secrets de cet indéfinissable phénomène : la notoriété. Devenir et demeurer célèbre, échouer au seuil de la gloire, supporter d’avoir été ou – pire ? – de n’être jamais… L’auteur s’interroge sans relâche sur cette incandescence qui brûle si on l’atteint et dessèche si elle vous fuit. Tous les papillons croient voler vers la lumière en fonçant dans la flamme.

Pour tous ceux qui y brillent aujourd’hui, ces grandes figures de la télévision portent plusieurs leçons : celles de la ténacité et de la patience, celle du travail appuyé sur le souci du détail. Mais les deux hommes transmettent aussi un secret difficile : rien ne se joue en ce métier sans mettre sur le tapis son amour-propre, une bonne part de son identité et un morceau de son âme. Moati avec sa faconde méridionale et un style coloré qui brouille les pistes ; Drucker à travers sa pudeur provinciale et la recherche d’une prose sobre qui, là aussi, dissimule en énonçant. Et tous deux entrevoient l’heure du tomber de rideau, sans regret ni amertume. La télé aussi peut rendre sage.

Le Vieil Orphelin, par Serge Moati. Flammarion, 415 p.

De la lumière à l’oubli, par Michel Drucker. Robert Laffont, 381 p.

C. B.

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