Quand l’audace rejoint le jeu

Guy Gilsoul Journaliste

En réunissant 90 chefs-d’oeuvre souvent issus de collections privées, le musée de Cassel révèle l’incroyable diversité du  » maniérisme  » flamand apparu au début du XVIe siècle.

Il fait des manières « , dit-on d’un homme dont le comportement apprêté paraît trop poli pour être honnête. Peut-on appliquer la formule au  » maniérisme  » ? En Italie, ce mouvement né au XVIe siècle devient une façon de se distinguer de l’héritage contraignant du  » raphaélisme  » qui le précède. Au diable donc le désir de peinture claire et ordonnée, harmonieuse et idéale dans ses formes et ses contours.

En Flandre et dans les milieux anversois particulièrement, le propos est plus complexe. Si les artistes s’abreuvent bien en Italie, soit en s’y rendant, soit en compulsant les livres de modèles, ils vont plutôt intégrer l’héritage des maîtres transalpins et les libertés nouvelles aux traditions réalistes de leurs prédécesseurs locaux, les Primitifs flamands. En réalité, la demande a changé. Le client devenu roi est pressé. Du coup, dans les ateliers qui se développent et se multiplient, le temps n’est plus aux techniques lentes des glacis d’hier ni aux sujets de piété. En plus, les peintres sont moins pieux que lettrés. Ils cherchent donc à renouveler l’approche des anciens sujets traditionnels et à en inventer d’autres. Pour ce faire, ils vont rivaliser d’audace afin que, par le truchement de la composition, des coloris, des poses et des anatomies, soit créé un climat dramatique sinon étrange. D’où le goût pour les ciels ténébreux, les mers mouvementées, les corps musculeux ou au contraire trop graciles, les architectures à tiroirs et les teintes irréelles. En revanche, comme les Italiens, ils goûtent aux subtilités des citations et des références faisant parfois des oeuvres, des rébus pour lettrés avertis. Il se dégage alors de ce moment de l’art, une impression contrastée entre expressions exacerbées et émerveillements diaphanes comme si l’homme, grâce à l’art, pouvait désormais s’écarter de la réalité, s’en distancier ou encore recourir aux seuls pouvoirs de l’imagination. Comme si l’art devenait un jeu dont les acteurs, artistes et amateurs, de la même manière qu’aujourd’hui, dans l’art contemporain, pouvaient commenter le monde à distance confortable.

Un seul de ces peintres du XVIe siècle osera affronter la réalité terrible de ce temps, même si, à son tour, il recourt à des métaphores et des symboles complexes : Bruegel l’Ancien. Aucun de ses tableaux ne donne ici la réplique aux 90 chefs-d’oeuvre rassemblés. Des anonymes anversois (un très beau nocturne évoquant l’histoire de Loth et ses filles) à Pieter Aertsen (une étonnante Danse des oeufs) en passant par l’énigmatique Pieter Coecke (Saint Luc peignant la Vierge), les paysages imaginaires de Herri Met de Bles et une Musica de Van Hemessen aussi curieuse que discordante, le parcours atteint son but : révéler la grande diversité formelle du maniérisme flamand.

Splendeurs du maniérisme en Flandre 1500-1575, à Cassel (Nord de la France), Musée départemental de Flandre, 26, Grand-Place. Du 4 mai au 29 septembre, du mardi au vendredi 10 heures à 12 h 30 et de 14 à 18 heures, le samedi et le dimanche de 10 à 18 heures. https://museedeflandre.cg59.fr

– A lire, catalogue édité chez Snoeck sous la direction de Sandrine Vézilier.

GUY GILSOUL

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